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Imperium

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Frédéric Lordon

Quand Frédéric Lordon publie un article sur son blog d'économiste, La Pompe à phynance, dans l'heure les réseaux sociaux sont en transe : l'article est salué dans des hourras, partagé des centaines de fois, cité comme un nouvel évangile, et la gauche critique s'en repaît jusqu'à réciter certains "lordonismes" par cœur. 

Quand Frédéric Lordon publie un livre de philosophie - car il est philosophe, aussi - on se tient plus coi. Le pavé impressionne. La rigueur pétrifie. L'exigence intellectuelle méduse, inquiète, inhibe... Et beaucoup s'en retournent en ayant renoncé, échouant à trouver dans les pages souvent austères, et presque bilingues français-latin, les joies purement percutantes de ses articles de chroniqueur économico-politique. 

Et pourtant ses livres de philosophie sont l'essentiel : ils livrent à notre époque des outils d'une exceptionnelle robustesse pour identifier ses apories comme ses issues de secours. Ils équipent nos désarrois de concepts roboratifs, nous permettant de prendre enfin notre aliénation par le col, en donnant à notre désir d'émancipation un horizon plus clair. Ils nous arment. 

Imperium ne déroge pas à ce programme d'armement, qui consiste aussi en une sorte d'hygiène intellectuelle. Il y a quelque chose d'herculéen dans cette entreprise de nettoyage des écuries de la gauche radicale, décapant ses outils pour en restituer toute l'acuité. L'internationalisme ? Il le débarrasse de ses chimériques "citoyens du monde", pour le rendre à ses conditions concrètes d'opérabilité - conditions dans lesquelles les nations, ces corps politiques à la fois finis et en devenir perpétuel, entrent de plein droit. L'horizontalité ? Il la remet à sa place : celle d'une idée régulatrice propre à orienter nos conduites, plutôt que d'une pratique prétendument accessible mais dans les faits aveuglément bafouée. L'Etat ? Il le remet en son exacte position : apparemment "en haut", mais émergé du bas, toujours, pur produit nécessaire de la puissance de la multitude, fondé en elle, par elle, même s'il se présente sous le signe de la capture et de la verticalité.

Comme souvent chez Lordon, la recherche philosophique est une entreprise de dégrisement. Mais sortir de l'ivresse n'est pas renoncer à désirer, ni encore moins consentir au pire : si l'Etat et la nation existent nécessairement, ce n'est pas nécessairement grave, car l'un et l'autre peuvent prendre des formes favorables au projet d'émancipation que nous nourrissons : il n'appartient qu'à nous de réfléchir à ces formes désirables, et de travailler à les faire advenir. Et c'est en cela que consiste, exactement, la souveraineté populaire qu'il appelle de ses vœux : dans la capacité d'une collectivité à se rendre consciente et maîtresse de son destin. La souveraineté, nous rappelle-t-il, "ce n'est pas que les hommes fassent leur histoire - ils la font de toute façon ! - c'est qu'ils la fassent telle qu'ils l'ont voulue et telle qu'ils l'ont pensée." Cet entretien est conçu pour y contribuer. 

NB : J'avais prévu de vouvoyer Frédéric pendant l'entretien, afin de ne pas donner l'impression d'une conversation dans l'entre soi d'un club par trop "select". Mais notre camaraderie intellectuelle et artistique est si ancienne, et si connue, qu'il a considéré que le simulacre était absurde, et surtout intenable : nous n'arriverions pas à la tenir sur la durée. Il m'a demandé d'assumer le tutoiement d'emblée ; j'espère que vous n'en prendrez pas ombrage. 

Référence : 

Imperium, Structures et affects des corps politiques, La Fabrique (2015).

Pistes bibliographiques :

Etienne Balibar, Nous, citoyens d'Europe ? Les frontières, l'Etat, et le peuple, La Découverte (2001)

Pierre Clastres, La société contre l'Etat, Minuit (1974)

Eric Hobsbawm, Nations et nationalisme depuis 1780, coll. Folio Histoire, Gallimard (2001)

Alexandre Matheron, Individu et communauté chez Spinoza, Minuit (1988)

André Orléan et Michel Aglietta (dir.), La monnaie souveraine, éd. Odile Jacob (1998)

Frédéric Lordon, La Malfaçon, Monnaie européenne et souveraineté démocratique, Les Liens qui libèrent (2014)

Ivan Segré, Le Manteau de Spinoza. Pour une éthique hors-la-loi, La Fabrique (2014)

Spinoza :

Traité politique, traduction de Bernard Pautrat, Allia (2014)

Ethique, traduction de Bernard Pautrat, coll. Essais, Points, Seuil, (1999) 

Traité théologico-politique, Œuvres III, traduction Jacqueline Lagrée et Pierre-François Moreau, coll. Epithémée, PU (1999)

En accès libre , émission publiée le 17/10/2015
Durée de l'émission : 87 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

55 commentaires postés

1er commentaire pour 1er jour d'abonnement ( mercredi 31 janvier 2024 ) ; de pure forme car je n'ai encore rien vu, rien lu, rien entendu :
-les lettres blanches sur fond noir éblouissent...
-les lettres sont serrées, les textes à agrandir pour y voir clair.
Supposons que les vidéos effacent ces problèmes ;-)

Par Blowing in the Wind12 , le 31/01/2024 à 14h45

Je viens de terminer la lecture d'Imperium et je ne peux que valider ce que dit Judith dans l'entretien : la lecture n'est pas facile (comme souvent avec les livres de F. Lordon), il faut regarder très souvent dans un dictionnaire (ou un moteur de recherche) la définition de certains mots et de certains concepts, il faut aussi parfois relire certaines phrases complexes. Une fois cet "effort" de lecture réalisé, on ouvre les yeux, on comprend mieux comment la société fonctionne, pourquoi nous ressentons le besoin de nous unir aux autres, de faire corps. Un livre qui apporte beaucoup, sur la compréhension de ce qui nous entoure, la difficulté de lecture apporte finalement un enrichissement de son propre vocabulaire. On apprend en lisant, on ressort moins bête. Que demander de plus ?

Par Jean-Philippe Barbier, le 15/03/2021 à 17h12

Verbiage 17è siècle.

Par Nad Laurencin, le 26/11/2020 à 18h27 ( modifié le 26/11/2020 à 18h29 )

avec ce débat, on n´est heureux de plonger dans une vague de verticalité intelligente, ¨pour cheminer vers un plus de raison¨. ces 2 individus, j bernard et f lordon, relèvent de la mème sélection scolaire, redoutablement compétitive, et on se nourrit avec intéret...de leur déterminisme vertical. ceci dit:
je suis charlie.

Par luc lefort, le 15/06/2018 à 09h33

@Damien, message posté le 04/02/2016
Je me suis rendu sur votre lien et j'ai lu l'article en question.
D'abord désarçonné par cette quasi-incompréhensible prose (affect triste?) je me suis senti proche des nombreux commentateurs virulents (mimétisme de l'affect joyeux ?)... Après c'est peut-être que je n'ai aucune formation en socio-philo-éco et autres, et que je suis con. Mais ce que j'aime bien avec les gens comme Mme Bernard et M Lordon c'est que j'ai l'impression de l'être un peu moins, ce qui n'est pas le cas de cet autre quidam sur Rue 89.
Les uns font appel à ce qui a de plus beau en nous, l'autre ce qu'il y a de plus bas...

Bref je ne vois pas trop ce que M Lordon pourrait répondre à ça. Et pour ce que mon avis vaut je pense que se faire traiter "subtilement" de rouge-brun ne mérite que le mépris de sa part.

Par Amaury Prost, le 29/09/2016 à 21h45

Une critique de Lordon et d'Imperium ici : http://rue89.nouvelobs.com/2016/02/04/finir-lordon-roi-les-intellos-democratie-263066
Suis curieux d'avoir le retour de Judith et/ou de Lordon sur ça.

Par Damien, le 04/02/2016 à 18h58

Emission passionnante merci!

J'ai particulièrement apprécié suivre l'échange au sujet de la nature humaine, à savoir si l'homme à plus de probabilité de coopérer ou de céder à la violence, selon l'existence ou non des institutions.

Je suis ensuite demandé pourquoi en philosophie on ne faisait pas appel aux connaissances ou aux théories développées en neurosciences ou avec l'évolution. Je connais moins les découvertes en neuroscience. Mais, il y aurait certainement des choses à dire ou à mettre en perspectives pour explorer cette question.
Notre cerveau s'est formé sous les contraintes de l'évolution, c'est un organe clef qui a permis à l'homme de se créer une place, une niche bien spécifique à lui-même dans le monde vivant. La manière dont la formation des premiers groupement humain et le cerveau a évolué conditionne probablement une bonne partie de nos comportements et nos affects aujourd'hui. La part de la société (ou l'environnement) ou du fonctionnement du cerveau qui serait le plus important reste encore à définir. Cependant je pense qu'il est difficile de nier que qu'il a son importance pour parler d'affects, de raison, de coopération ou d'usage de la violence .. J'ai en tête notamment la théorie des jeux, le gène égoiste.. Cela reste simpliste mais intéressant, l'homme est avant tout un être vivant.

Je me demande si c'est parce que ce sont des domaines d'origine plus scientifique, ou bien que les philosophes se rebutent sur des études qui font des prédictions sur le comportement de l'homme à la lumière de ces théories, mais sans prendre en compte tout le champs de pensée de la philosophie..
Bon après l'évolution peut être aussi un piège pour la pensée car elle s'applique à des échelles qui nous dépassent et qu'il n'est pas exclut que le hasard prenne autant sa place que la sélection naturelle.

Quelques articles sur l'évolution de la coopération dans le monde vivant...
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982207014996
http://www.sciencemag.org/content/314/5805/1560.short

Par Gaz', le 18/12/2015 à 22h55

@little jo : la société des affects est un bouquin fondamental, mais c'est effectivement un recueil qui developpe par theme/approche les concepts spinoziens (on peut le lire par chapitre dans le desordre presque). Je l'ai toutefois trouvé plus dur d'accès que Imperium, car plus exigeant de concentration. Mais c'est aussi par sa lecture initiale que tous les autres Lordon se lisent comme du petit lait. Les différentes videos - meme courtes - en ligne de F. Lordon constituent egalement un bon moyen d'entrée en connexion avec sa pensée et celle de spinoza (la fameuse conversion du regard).
Un conseil de lecture qui rejoint la notion de raison chez spinoza : "le cerveau de Bouddha" de Rick Hanson, où la fameuse "voie du milieu" résonne, comme la "compétence inconsciente" qui en est une autre illustration. Bref, la passion, toujours.
Merci Judith pour cet entretien très structuré qui colle au texte.

Par damien Astier, le 17/11/2015 à 00h19

Emission très intéressante.
Je n'aurai pas l'audace de commenter l'étude de Frédéric Lordon sur le fond. D'abord parce que je n'ai pas lu Impérium. Ensuite parce que je n'en ai pas les moyens intellecuels. Enfin parce que la description qu'en fait Judith dans son texte de présentation me parait très claire.
Quelques impressions en vrac sur cet entretien :
- comme Judith, je constate que Frédéric Lordon accorde une place importante à l'anthropologie dans ses considérations sur la politique. L'expression "nature humaine" revient à plusieurs reprises et on a envie de dire "Enfin!". Les formes que prennent les structures sociales dépendent bien sûr de la nature des individus qui la composent. Les lois écrites, qui apparaissent comme le résultat de décisions, ne font en réalité qu'entériner des évolutions auxquelles les individus ne peuvent rien. Elles ne sont que les descriptions d'un ordre nouveau. Les utopies que l'on a vu se développer depuis deux ou trois siècles ont pavé le chemin de l'enfer en négligeant cet aspect. Les humains sont incapables d'infléchir leur histoire;
- Frédéric Lordon parait extrêmement prudent dans son discours, comme s'il craignait de choquer et de s'aliéner les gauchistes radicaux qui, réveillés en sursaut, pourraient voir en lui un traitre ;
- j'aimerais partager l'optimisme de Judith sur la nature humaine. Hélas, je crains que Judith ne soit elle aussi victime de ses affects et qu'en citant "l'entraide entre les citoyens que l'on constate lors des catastrophes naturelles", par exemple, elle ne donne un bel exemple, en prenant l'exception pour la règle, de ce que les psychologues appellent "le biais de confirmation". Il me semble en effet que l'histoire des humains est beaucoup plus riche en tableaux de guerres et de massacres en tous genres qu'en scènes où s'expriment l'amour du prochain, l'entraide et la solidarité.

Par Papriko, le 16/11/2015 à 23h46 ( modifié le 17/11/2015 à 00h04 )

Passionnant à tout point de vue ! Merci merci merci !!! Tout cela me fait terriblement penser à la "quantique" en vérité (~> lire le passionnant dossier Science & Vie (n°1177) d'oct. 2015 sur la "cognition quantique" ! ;D) : "les pensées qui se superposent", "la verticalité et l'horizontalité", les approches "top-down et bottom-up" (i.e. Bodin vs Althusius), "le tout vaut plus que la somme des parties" ! Assez incroyable :O !!!

Éclairant à tout point de vue avec ce qui est en train de se passer actuellement... (:O !). "Pray for Paris" / "Je suis Paris" déboucheront-ils sur un véritable et magnifique "vivre ensemble transcendant nos différences"... (et brisant ainsi nos classes sociales, nos clichés éculés sur les banlieues, les musulmans, les riches, les pauvres, etc.) ou bien sur la pire des guerres idéologiques faisant entrer la France dans le danse des "nations fascistes post-modernes" (à l'instar des US, de la Russie, de la Chine,...) ? La réponse semble être fonction de votre état : êtes-vous optimiste ou pessimiste ? :O !

A titre personnel je voudrais rester optimiste bien sûr... Mais affronter la réalité de manière passive me semble impossible... sous peine de mourir :O ! Terrible dilemme !!!

Amitié à toute l'équipe

Par Martin Rémi, le 16/11/2015 à 19h41 ( modifié le 16/11/2015 à 20h25 )

Excellente interview qui m'a rendu accessible la pensée d'un auteur pas toujours facile à suivre. Merci

Par Dominique Terres, le 10/11/2015 à 19h36

à un moment vous parlez des esclaves qui ont construit les pyramide, pourtant il me semble que s'il y avait des esclaves en Égypte à l'époque, ce n'est pas des esclaves au sens propre qui les ont construite, les pyramide...
par contre l'entretien est super comme d'habitude. merci de vôtre travail!

Par laure magnet, le 05/11/2015 à 21h40

@little jo : je dirais, pour commencer : La Société des affects : recueil d'articles qui permet d'entrer en douceur dans sa pensée. Puis : Capitalisme, désir et servitude, un peu plus ardu, mais susceptible d'inspirer de vives passions.

Par Judith, le 04/11/2015 à 11h55

Même si je n'ai pas tout compris de l'entretien, Frédéric Lordon est très agréable à écouter et j'ai l'impression d'être un peu plus intelligent après.

Je n'ai jamais lu du Lordon. Si j'en crois la fin de l'émission, le dernier livre semble être peu accessible. Quel livre de Lordon me conseillez vous pour commencer ?

Par little jo, le 03/11/2015 à 22h45

@Arnaud StA : c'est amusant, votre petite interpellation vis à vis de moi - ainsi donc vous jugez que Debray et Michéa seraient trop "transgressifs" à mes yeux pour être invités dans mon émission ? J'ai reçu Régis Debray aussi souvent que Frédéric Lordon (deux invitations chacun, certes sur @si s'agissant de Debray). Et pour Michéa, je l'ai harcelé de mails (d'invitation) pendant plusieurs semaines avant de renoncer devant son silence un peu borné (c'était il y a deux ou trois ans ; il figure cependant à nouveau dans ma liste d'invités potentiels pour très bientôt). Ne vous hâtez pas trop de préjuger de mes dispositions ;-) !

Par Judith, le 27/10/2015 à 23h23

@NonooStar : Oui vous avez raison, j'accepte votre critique. Pour justifier cette phrase malgré tout, je dirais qu'elle était destinée au site "Hors Série" et à Judith Bernard en particulier, où j'avais cru déceler une volonté de se limiter à une pensée "gauche de la gauche, garantie 100% origine contrôlée". Il ne me semble pas avoir été le seul dans ce cas.

Par Arnaud StA, le 27/10/2015 à 18h19

@Arnaud StA : "Il me semble, pour prendre quelques exemples, que la notion orwellienne de décence ordinaire (Jean-Claude Michéa) ou les réflexions d’un Régis Debray sur la symbolique républicaine sont des voies plus fécondes de réflexion que celle proposée par l’invité. Mais peut-être ces voies sont-elles trop transgressives lorsqu’on réduit les limites du pensable à la gauche ?"

Autant je n'ai aucun problème avec la première phrase. Autant la seconde me dérange un peu... ce qui est d'autant plus dommage que le reste du commentaire était intéressant. Que vous vous reconnaissiez dans la pensée de Michéa et Debray, c'est parfaitement légitime mais, s'il vous plait, ne tombez pas dans l'accusation implicite de sectarisme vis-à-vis de ceux qui ne s'y retrouvent pas. Intégrer un brin de conservatisme à la pensée de gauche n'est ni plus ni moins transgressif que d'essayer de renouveler la pensée progressiste de gauche.

Par NonooStar, le 27/10/2015 à 17h02

@Lycendre : pour vous répondre, je ne trouve pas mieux que vous citer un extrait d'un texte de Norbert Wiener, rapporté par Alain Supiot dans son livre p.44 :

"Ma thèse est que le fonctionnement de l'individu vivant et celui des nouvelles machines de communication sont précisément parallèles dans leurs efforts identiques pour contrôler l'entropie par l'intermédiaire de la rétro-action (feed-back). (...) Qu'il s'agisse de l'homme ou de la machine, ce fonctionnement a pour fin d'exercer un effet sur le monde extérieur, et c'est l'action exercée (performed) sur le monde extérieur, et non pas simplement l'action projetée (intendeed) qui est rapportée en retour à l'appareil régulateur central".

Alain Supiot utilise le concept de cybernétique pour expliquer (p.45) le passage du gouvernement (qui repose sur la légitimité d'une loi qui doit être obéie) à la gouvernance (qui repose sur la capacité commune à tous les êtres humains d'adapter leur comportement aux modifications de leur environnement pour perdurer dans leur être).

Par Arnaud StA, le 25/10/2015 à 18h25 ( modifié le 25/10/2015 à 18h26 )

Merci enfin reconciliation entre immanence et transcendence ,horizontalitè et verticalitè. corps et esprit

Par véronique SONIER, le 25/10/2015 à 11h09

@Arnaud StA : Ca donne effectivement envie de lire Alain Supiot ! Mais la citation que vous faites donne l'impression qu'il y a une confusion sur ce qu'est la cybernétique qui n'est en rien une sorte de délire transhumaniste. Ca me chiffonne un peu d'entrer dans une vision ternaire animal/homme/machine, l'homme étant toujours un "animal" et ayant créé la machine sur son modèle... Pour revenir à Rey il démontre d'ailleurs très bien comment une certaine doxa entretient ce mythe d'un progrès qui partirait de l'animal pour arriver à la machine. L'homme débarrassé de ce qui le fonde pourtant en tant qu'homme se trouve aisement asservi, convaincu que tout ce qu'il peut souhaiter de mieux est de devenir une superbe machine desirante.

Par Lycendre, le 24/10/2015 à 11h12

Voilà un entretien qui me semble constituer un modèle du genre, passionnant de bout en bout.

J’ai moi aussi été étonné de ne pas entendre prononcé le nom de Castoriadis dans l’émission (peut-être l’est-il dans Imperium ?). Il me semble par exemple que la dialectique institué/instituant fait écho à la notion d’Imperium de Spinoza/Lordon.

Un mot sur les catastrophes naturelles qui démontreraient le caractère profondément altruiste de la nature humaine lorsque l’État suspend son emprise. On y constate aussi sa face opportuniste et prédatrice, cf. scènes de pillage dans les Alpes-Maritimes suite aux précipitations d’il y a trois semaines (à moins de ranger le pillage du côté du bien ou de la justice sociale...).

Je sors de la lecture du livre d’Alain Supiot « La Gouvernance par les nombres » et j’ai noté cette phrase (p.408-409): « Porté par la révolution numérique, l’imaginaire de la gouvernance par les nombres est celui d’une société sans hétéronomie, où la loi cède sa place au programme, et la réglementation à la régulation. (...) [Ce mouvement] s’approfondit avec l’imaginaire cybernétique, qui impose une vision réticulaire du monde naturel et humain et tend à effacer la différence entre l’homme l’animal et la machine, saisis comme autant de systèmes homéostatiques communiquant les uns avec les autres. »

Alain Supiot décrit notre monde pour dénoncer ses illusions catastrophiques, et appeler au retour du sens des limites, de la solidarité, et de la transcendance de la loi. Sa perspective est juridique et sociale. Or, quand j’entends Frédéric Lordon décrire l’horizon inatteignable d’une souveraineté de gauche, où la verticalité de l’Imperium tendrait à décroître à mesure que les hommes se gouverneraient davantage par la conduite de la Raison, je suis frappé par la convergence de cette vision avec les illusions de notre monde décrit par Alain Supiot (et aussi, semble-t-il avec celle de Johannes Althusius). Bref, j’ai l’impression que si Frédéric Lordon tend une main à la gauche de la gauche, il tend l’autre à Adam Smith et à toute sa descendance (jusqu’à Sade, cf. Dany-Robert Dufour). N’étant - hélas - pas philosophe, j’en resterai au stade de l’impression et non à celui de la démonstration...

Voilà pourquoi le retour au réel qu’imposait Judith Bernard à Frédéric Lordon était passionnant dans cet entretien. Alors, le voile à l’école, on l’accepte ? Et le « Je suis Charlie », on l’interprète comment ? La gêne de Frédéric Lordon pour répondre à la première question, et son jugement très négatif à l’égard de la seconde me conduisent à être sceptique sur la portée de sa pensée. Il me semble, pour prendre quelques exemples, que la notion orwellienne de décence ordinaire (Jean-Claude Michéa) ou les réflexions d’un Régis Debray sur la symbolique républicaine sont des voies plus fécondes de réflexion que celle proposée par l’invité. Mais peut-être ces voies sont-elles trop transgressives lorsqu’on réduit les limites du pensable à la gauche ?

En tout cas, j’espère avoir donné envie aux lecteurs de ce commentaire de découvrir le livre d’Alain Supiot.

Par Arnaud StA, le 24/10/2015 à 07h50 ( modifié le 24/10/2015 à 08h36 )

Cas concret pour comprendre comment fonctionne "une" société faite de plusieurs sociétés en réalité / Lavaud, Jean-Pierre, L'instabilité politique de l'Amérique latine: le cas bolivien, Paris, L'Harmattan, 1991, 290 pages. C'est mieux que les débats trop conceptuels qui risquent de nous faire tomber dans une simplicité schématique émaillée d'exemples trop vite cités et peut-être de façon inappropriée.
Autre remarque : Cette présentation n'est pas difficile conceptuellement mais pourra décourager des gens pour des raisons purement lexicales. Ce n'est pas avec ce type de discours qu'on expliquera aux tenants du Front National qu'ils font une erreur en tombant dans la tentation du nationalisme.

Par Bruno Adrie, le 20/10/2015 à 20h27

Alors, allons-y dans la glose péremptoire...

1. le corrélat physique de la puissance de la raison pourrait se voir chez Spinoza notamment dans la proposition 34, partie 5 de l'Ethique, où la complexité devient le marqueur de l'"intelligence" : c'est à un corps souple (le cerveau...), apte à de nombreuses configurations, à de nombreuses formes, de nombreuses manières d'affecter et d'être affecté que correspond la raison.
Dans une même logique extrapolée au social, c'est à un corps social pluraliste, tolérant, apte à accepter de multiple formes de vie, que correspond le maximum de raison : l'humanité dans son ensemble en tant qu'elle ne s'autodétruit pas, est dans l'"imperium" global, la société française en tant qu'elle accepterait le voile, qu'elle supporterait cette forme montrerait une plus grande puissance de raison. C'est d'ailleurs une des forces des grandes empires, du Romain aux Etats-Unis d'aujourd'hui, que de faire de larges unions du divers, d'être aptes à la diversité interne sans perdre l'aptitude à l'action conjointe.

2. Spinoza a un mode de pensée très analytique, la conception de propriété émergente (notion synthétique) est mal adaptée. Pour lui, on ne saisit pas l'être d'une ligne en additionnant des points, l'être d'une surface en additionnant des lignes etc., le passage à une dimension supérieure ne peut être compris par la dimension inférieure et cette méthode est donc une reconstruction abstraite après qu'on ait commencé à diviser.
Je ne vais pas trop développer mais je crois que cette question est assez générale par rapport aux lectures de Spinoza initiée autour des années 60, notamment avec Matheron, des lectures mettant un peu de côté les essences, l'éternité, l'Etre, au bénéfice de l'approche des rapports "affectifs", dynamiques, dans le devenir (conatus comme expression de l'essence dans le devenir etc.), et se faisant donc dans un constructionisme plutôt qu'une analytique pure du Réel sur un mode hypothético-déductif (du summum de puissance-réalité ("Dieu") à ses expressions les plus légères avec une intellection à base de "si... alors...", modèles spéculatifs construits sur des intuitions et test opérationnel).

3. on peut très bien sortir de la conception "verticale" ou plutôt "surplombante" avec le modèle de la vague (logique ondulatoire, de modulation d'un continuum plus que particulaire, de séparation atomistique) : s'accorder à une structure sociale, c'est être portée par elle, et le maximum de liberté ne s'obtient pas en en sortant, il s'obtient en s'en servant pour s'élever, en être l'écume, là où la diversité maximale est portée par un mouvement commun. L'acceptation de l'"imperium", le côté stoïcien de Spinoza, est une sorte d'art du surf, savoir accepter les mouvements, y entrer, pour trouver son propre mouvement sur la vague, jamais dessous, jamais soumis à l'ordre social mais au contraire dans l'acceptation-compréhension de sa dynamique. Un peu dans une mentalité "chinoise", l'homme libre n'est pas celui qui va à contre-courant, il est celui qui trouve-produit son courant parmi les autres.

4. On pourrait distinguer 2 rapports au commun : la communion et la communication. La communion est le fond commun qui porte un mouvement, celui dont on ne parle pas parce qu'il est en-deça des mots, de la communication, c'est le véritable "immédiat" qui n'est réellement pas médiatisé parce qu'il est le même dans la partie et le tout : c'est un même mouvement qui peut porter un point A et un point B de la vague. Coupe du monde de foot ou spontanéité des "je suis Charlie" sont de réelles communions sur un affect qui n'est pas produit artificiellement par la communication, qui n'est pas forcé par les affiches, les médias etc. même si ceux-ci y participent parce que les médiatiseurs, les communicants sont eux aussi remués ou par branchement secondaire sur le mouvement.
La communication est l'ordre des chocs particulaires, du débat, du conflit, des gouttes d'écume qui peuvent s'entrechoquer au sommet du commun pour reprendre l'image de la vague. L'échange de pair à pair, atomistique, se fait sur la base commune : il n'y a communication que sur base de communion, modulation de champ.
Donc, les épisodes de communion, seraient des indicateurs réels de la base d'une société, c'est bien dans les "je suis Charlie" que se montrerait un certain être-France, la base de mouvement (la nature des choses est sous l'écume, sub-stance, ce qui porte les modulations événementielles).

5. la société sans coercition est celle des Sages comme vous le dites à la fin, celle de ceux qui sont aptes à surfer sur l'être-humain dans son ensemble, dont le jeu des libertés se fait joyeusement en surface sur un fond commun humaniste. Tout l'enjeu politique est bien de faire d'un modèle ("exemplar" en latin) d'Humanité l'objet d'un affect, de faire qu'on aime autrui par l'idée d'un commun, d'un être-semblable, par un Humanisme, qu'on veuille enfin être raisonnable et faire corps commun avec l'ensemble le plus large des semblables.
On peut penser à partir de ses lettres que Spinoza espérait peut-être pouvoir trouver cet Etat dans la société des savants, mélange de franchise amicale et de débats portés par l'amour intellectuel de "Dieu", du goût commun de la connaissance qui se donne sans perte, se partage et se démultiplie au bénéfice de tous. Mais c'est sûr que quand la société des savants devient la société des ingénieurs au service de la production matérielle ou le stratège des appétits particuliers, on s'éloigne de l'idéal de la cité philosophique.

Par Faab, le 20/10/2015 à 19h55 ( modifié le 20/10/2015 à 19h57 )

Il aurait fallu faire venir des anthropologues et des philosophes pour compléter, justifier ou infirmer telle ou telle affirmation.

Par Bruno Adrie, le 20/10/2015 à 19h49 ( modifié le 20/10/2015 à 20h02 )

@Judith : oui merci de votre réponse, et vous avez raison, les choses seront sans doute plus limpides après avoir lu son livre (toujours pas reçu!).

Ceci dit, je ne voulais pas critiquer votre façon de présenter le livre, juste donner à comprendre comment j'en étais venue au cours du visionnage de l'émission à penser à l'écologie. C'était peut-être inutile ou maladroit mais après avoir entendu Pablo Servigne expliquer au micro de Jade Lindgaard de Mediapart que l'effondrement capitaliste n'est qu'une question d'années tant la catastrophe serait avancée et ne permettrait aucune alternative, il me semble juste que le centre de gravité de la pensée de la plupart des intellectuels de la gauche radicale est décalé. A penser de façon aussi anthropocentrique que les capitalistes, on risque de bâtir des systèmes aussi caducs que le capitalisme. J'avoue ne pas savoir quoi penser des constats de Pablo Servigne mais une chose me semble acquise : le capitalisme ne pourra pas continuer comme tel très longtemps, et il faudra des penseurs pour imaginer ce qu'il pourrait y avoir après comme Friot pour l'économie par exemple mais également en termes d'institutions politiques. Et pour cela, il faudra théoriser les relations des sociétés ou des individus à l'environnement dans le même temps que l'on théorise les relations des sociétés à elles-mêmes et à ceux qui les composent car tout cela est indissociable. Mais je suis peut-être à côté de la plaque, donc je me tais et je vais lire le livre !

Par Lycendre, le 20/10/2015 à 18h42 ( modifié le 20/10/2015 à 18h43 )

Oui passionnant et pas évident. Va falloir travailler dur pour décrypter tout cela. Du moins en ce qui me concerne. Merci Judith de nous avoir préparer le terrain avec autant d'intelligence. Frédéric est vraiment l'un de nos plus éminent philosophe. Au moins un ! contemporain veux-je dire.

Par Annie HUET, le 19/10/2015 à 17h22

Je suis super inquiet. Je n'ai pas trouvé cet entretien difficile à comprendre mais tout à fait passionnant. Est-ce parce que je n'ai rien compris en réalité ?
Je précise que mon inquiétude est renforcée par le fait j'ai aussi compris (je crois) dans son ensemble Capitalisme, Désir et Servitude.

PS : Je me demande toujours comment Lordon a pu décrire aussi bien la réalité du salariat lui qui ne la pratique pas vraiment

Par RST, le 19/10/2015 à 15h18 ( modifié le 19/10/2015 à 15h19 )

Plus j'écoute et je lis F.Lordon, plus je me dit qu'il y a quand même un potentiel de restitution visuelle à ses concepts qui est vraiment exploitable. Ce n'est pas étonnant, l'éthique de Spinoza elle même se synthétise très bien sous l'espèce de diagrammes commentés qui donnent une forme à l’abstraction du texte. De la même manière, la métaphore scientifique est très efficace pour restituer le spinozisme. D'ailleurs, le théâtre ou le cinéma ont déjà été exploités pour figurer des concepts de Lordon (peut-être sous une forme trop théâtrale pour moi d'ailleurs). Faisant des études de design d'interaction, j’imagine aisément des installations interactives à travers lesquelles les relations entre des corps (tels que défini dans l'entretient) dans des plans s’effectueraient de visu, en temps réel avec une réaction à l’environnement, une réaction aux événements etc. Le code informatique étant par nature une abstraction, j'y vois beaucoup de passerelles logiques, d'analogies etc.

Bel entretient ! Chapeau Judith d'arriver si bien à cerner vos invités.

Par Paul Balmet, le 19/10/2015 à 13h40

@Lycendre : je comprends que l'entretien vous paraisse difficile - il l'est ; mais ça m'embête que vous en imputiez la raison à la forme de mon introduction (parcours bibliographique plus que présentation de la structure de l'ouvrage) ; d'abord ce n'est pas tout à fait exact, car je restitue son propos (nous arracher à nos aveuglements passionnels sur l'Etat, l'internationalisme, l'horizontalité ; proposer une pensée de la nation qui ne soit pas nationaliste). Ensuite, j'avais décidé de garder les éléments de restitution du fond de l'ouvrage pour mon texte de présentation (assez explicite aussi) : ce texte "chapeaute" l'émission, il a vocation à être lu avant le visionnage et permet d'en faciliter la compréhension. Reste que cet entretien est beaucoup moins accessible que celui de 2010, parce que le texte Imperium est beaucoup moins accessible que Capitalisme, désir et servitude. Imperium s'élève à des niveaux d'abstraction philosophique sans comparaison avec Capitalisme, désir etc…; là où Capitalisme, désir etc … parlait directement à notre vécu de travailleur aliéné, Imperium embrasse les concepts extrêmement larges et difficiles d'imperium, de verticalité, d'horizontalité, de souveraineté. C'est une pensée générale des corps politiques (de quoi ils sont faits, comment ça tient, quelle part y prend l'ETat - ça aussi, je le dis en intro), pensée beaucoup moins incarnée que la figure de l'angle alpha que nous pouvons tous appliquer à nos expériences de travail.

Par Judith, le 19/10/2015 à 12h16

C'est très difficile de critiquer Frédéric Lordon d'autant que je n'ai pas encore lu "Imperium" mais cette "introduction" est très difficile d'accès.

D'habitude, Judith explique en debut d'émission le livre, sa structure et ses points d'intérêt mais là, juste un listing de la bibliographie non commentée de l'auteur (ce qui a du quelque peu perdre les profanes), une évocation du célébrissime entretien de 2010 (qui, j'ose le dire, a profondément changé ma vie avec l'entretien de Todd et accroît d'autant ma deception) et puis paf, on plonge directement dans cette vision à deux paramètres entre affects et raison. C'est un peu dur à suivre même si on connaît les travaux de Lordon, on tente de deviner beaucoup de choses sans savoir si on est dans le vrai et alors que les gestes de Judith accroissent l'impression de binarité (accrue par l'imaginaire suscité par les mots de type mathématique comme asymptotique, vertical/horizontal ou encore celui véhiculé par la vague de Hokusai), on se sent un peu mal à l'aise.

Viennent les applications à l'actualité, à Charlie, Lady Di : et là, au milieu de cette conception de l'individu hors-sol, abstrait de son environnement pour dire le mot qui fâche, la réalité physique et matérielle se dresse comme un oubli béant dans cette conversation par trop limpide. Cette matérialité qui est ce dont l'homme tente de s'affranchir depuis toujours, offerte sur l'autel libéral de la consommation, ne va pas tarder à mener l'humanité à une totale remise en question, qui bouleverse le monde aujourd'hui mais que Lordon persiste à nommer "affects" comme au sujet de la Syrie.

Il me semble que si la gauche critique renouvelle sa pensée, ce sera plus par des problematisations plus complexes comme celle d'Olivier Rey que Maja nous a fait découvrir ou Bernard Friot qui integrent d'autres paramètres à l'analyse du monde/de la France contemporaine que l'unique opposition dominants/opprimés. C'est néanmoins toujours salutaire d'entendre Lordon mais comme le dit Thibault ci-dessous il me semble qu'il ne va pas assez loin dans ses travaux.

Par Lycendre, le 19/10/2015 à 01h22 ( modifié le 19/10/2015 à 01h29 )

Passionnant!
Bravo pour la qualité de l'interview a la fois difficile (ce que semble être le texte) tout en restant accessible!

Par Marc Herpoux_1, le 19/10/2015 à 00h23

Bernard Friot déjà l'avait dit: il n'avait jamais été interrogé par quelqu'un qui comprenait aussi bien son sujet. On pourrait dire la même Chose pour Frédéric Lordon!
Autrement dit: Non seulement Judith nous offre les meilleurs invités, en plus elle est la meilleurs pour les faire aller au bout de leur pensée, pour les obliger à éclaircir les points qui pourraient être "source de confusion" (je n'ai pas trouvé la formulation qui me conviendrait).
En bref: Merci Judith, continue à nous offrir ces merveilleux entretiens si bons pour la pensée.

Par Pierre Robine, le 18/10/2015 à 23h18

@ yG :
Je n'ai jamais écrit que tous les désastres sur terre provenaient du capitalisme. Ce serait ridicule, le capitalisme est apparu historiquement et personne, que je sache, n'a jamais prétendu que le moyen-âge était un Eden... Les sociétés n'ont d'ailleurs attendu, ni le capitalisme, ni les religions monothéistes pour être patriarcales.
Je n'ai pas non plus opposé les religions au capitalisme, ni dit que les unes découlaient de l'autre, ce qui poserait là aussi un souci chronologique de plusieurs siècles...

Ce que j'ai essayé de dire, c'est simplement que je ne voyais pas de manifestations d'une emprise sociale majeure sur la société française des religions alors qu'en revanche, après des lectures et écoutes d'intellectuels critiques tels que Lordon, je commence de plus en plus à appréhender l'étendue de la capture de nos imaginaires et de nos affects qu'opère le capitalisme et à laquelle nous participons tous, même à notre corps défendant. Ce qui est, me semble-t-il, une manifestation de l'imperium, comme force qui vient de nous puis est canalisée par les institutions pour être retournée contre nous. Je n'ai pas encore lu le dernier livre de Lordon, mais de ce que j'en ai compris, le rôle des institutions est central dans la forme que prend l'imperium.

C'est là que notre échange se trouve dans une impasse. S'il y avait un imperium de type religieux dans la société française, il y aurait nécessairement des institutions qui capteraient notre puissance d'agir pour la transformer en pouvoir théocratique. Nous ne vivons vraisemblablement pas dans la même galaxie car je ne vois nulle trace de telles institutions. Je suis bien d'accord que le catholicisme a tellement longtemps imprégné la culture française qu'il structure bien évidemment encore pour partie les manières de concevoir le monde. Mais toutes les évolutions que je peux observer par rapport aux formes familiales, aux sexualités ou aux droits des femmes attestent qu'il n'y a plus d'institutions pour perpétuer la conception catholique fondamentaliste (même si pour le dernier domaine, l'évolution est plus lente).

Là où vous avez le sentiment de vivre dans un régime d'oppression , où toute parole critique des religions ne serait plus possible à moins de sortir par millions l'exprimer, je vis pour ma part dans un monde où l'islam est continuellement accusé de tous les maux, dans les sphères politico-médiatiques en particulier, et où les sciences sociales qui étudient les différents facteurs à l'oeuvre n'ont pas beaucoup voix au chapitre, à part dans les niches du web comme celle-ci. Le problème, c'est que quand on considère une religion comme étant par essence mauvaise, vient un moment où l'on finit par considérer les croyants de cette religion comme mauvais (ou dans une vision plus paternaliste, comme asservis à leurs croyances alors que nous athées, on ne s'en laisserait pas conter).
Et je vis aussi dans un monde où l'on peut maintenant, en toute bonne conscience, discriminer en conséquence "les personnes d'apparence musulmane" (quelque soit la spiritualité réelle).

Ne vivant pas dans le même monde et ne parlant pas de la même chose, je vois difficilement comment continuer la discussion.

Par Procrastinman, le 18/10/2015 à 22h51 ( modifié le 18/10/2015 à 22h58 )

@yG : Quatre contributions en 24h, et d'une ampleur très considérable… Veillons à ne pas tuer l'espace des commentaires par étouffement.

Par Judith, le 18/10/2015 à 20h45

« Le souvenir que j'ai de la coupe du monde est plutôt un puissant affect commun de joie pour ceux qui le partageaient mais pas le déversement de passions tristes qui se sont libérées peu après la manifestation de janvier. L'intervention des institutions, qui sont des instances de cristallisation de la puissance de la multitude, me paraît décisive pour différencier les deux événements. »

- Non, la différentiation vient du fait qu'il y a eu des morts dans un cas et pas dans l'autre, que l'un était la manifestation collective d'une perte (humaines et d'une peur de la perte d'un droit, si ce n'est sur le plan légal, tout au moins d'un point de vue effectif, à savoir le droit au blasphème) et l'autre d'une victoire. Les institutions ont accompagné les deux de la même façon, grandes affiches, jusque dans la tentative de récupération politique.

« La différence n'est donc que de degré ici, pas de nature"
La différence de nature n'est-elle pas finalement qu'une différence de degré, certains seuils ayant été franchis ? »

- Oui, c'est toujours possible, mais entre deux seuils, les différences n'en restent pas moins de degrés. C'est pourquoi je pense qu'il s'agit ici plus d'une continuation que d'une rupture. La variation portant sur la nature des affects mobilisés, pas sur la façon dont ils l'ont été (publicité, manifestation de masse, rôle des institutions, etc.).


«  j'ai du mal à percevoir, aujourd'hui, en France, les manifestations religieuses d'une « tyrannie omniprésente, intégrée, implicite, normalisée » avec toutes les supports institutionnels que cela suppose nécessairement. Ou du moins de ce que l'on nomme habituellement religion.
S'il y a une « tyrannie omniprésente, intégrée, implicite, normalisée » que je perçois à l'oeuvre et qui structure notre existence, c'est celle du capitalisme. Dès notre plus jeune âge, elle oriente nos manières de désirer, de penser notre rapport au monde et aux autres ; et elle « s'exerce au quotidien de manière diffuse sur l'ensemble de la société ».

- Outre qu'il n'y a aucune bonne raison d'opposer les deux, qu'une tyrannie peut, hélas, coexister avec une autre, voire en renforcer une autre (ou mutuellement se renforcer l'une l'autre), et donc qu'on peut lutter contre les deux conjointement, je vous ferai remarquer que l'existence même de ce site et des invités qui l'alimente préférentiellement prouve que cette tyrannie-là, celle du capitalisme, fait déjà l'objet d'une prise de conscience d'une partie de la société. Peut-être pas assez grande pour ceux qui pensent que c'est là que se joue l'essentiel, le plus urgent, mais pour autant, cela existe au grand jour.

L'autre au contraire est encore régulièrement ignorée, les problèmes liés aux religions ne seraient qu'une conséquence indirecte du pouvoir néfaste du capitalisme, en finir avec ce dernier résoudrait ces autres problèmes (sexisme et homophobie ne seraient que des épiphénomènes liés au capitalisme, approche typique d'une certaine gauche abonnée au Monde Diplo), lorsque la lutte contre cette tyrannie n'est pas tout bonnement dénigrée sous couvert que d'aucuns se servent d'elle pour répandre leurs préjugés racistes (alors qu'on peut parfaitement s'engager dans ce combat sans en avoir aucun), lorsqu'elle n'est pas carrément considéré comme un outil dont se servirait le capital, via ses grands médias, pour nous détourner des vrais problèmes et continuer à perpétrer ses basses œuvres...

Pourtant, promenez-vous seul en affichant ostensiblement votre mépris du divin (un t-shirt, enfin, en cette saison un manteau, avec inscrit lisiblement « Dieu est une pourriture » par exemple), une position idéologique parfaitement symétrique et tout aussi légitime que celle consistant à afficher le respect de celui-ci, et pourtant, il est fort à parier que votre traitement ne sera pas le même que si vous montrez votre dévotion ou si vous portez un slogan anti-capitaliste. Vous serez au mieux considéré comme un agitateur, attentant à l'ordre public, au pire, on estimera que quand même, vous l'avez bien cherché si l'on s'en prend physiquement à vous.

Ne cherchez pas, cette expérience de pensée n'a que rarement, pour ne pas dire jamais lieu, alors que les athées sont pourtant majoritaires. Indice qu'elle n'est pas considérée comme possible. Tout au plus, il vous sera permis d'acheter votre journal satirique, cette petite niche que d'aucuns ont essayé d'éradiquer en janvier et dont peu se seraient soucier de la mort économique, mais de là à le lire au vu de tous, partout… Il n'y a que depuis les attentats qu'on peut descendre et s'afficher Charlie, pour peu qu'on le fasse dans les bons endroits, aux bonnes heures, lorsque ce n'est pas uniquement avec 4 millions d'autres personnes.

Cela, ce n'est que pour révéler l'emprise cachée du religieux sur le monde civile, y compris dans un cadre dit laïque, et alors même que le nombre de religieux diminue continuellement. Mais cette emprise n'est pas pour autant à minorer, outre qu'elle amène d'aucuns à tuer ici ou ailleurs (ah non, j'oubliais, tous les maux liés aux religions le sont par dévoiement et tous ceux liés au capitalisme le sont structurellement...), elle opère encore la survivance de valeurs qui n'en méritent pas tant, sur la rôle et la place de la femme, sur la fonction et la nature des rapports sexuels, de la famille, du début et de la fin de vie, du savoir, mais aussi sur la nature et la primauté des pouvoirs...

Alors, en attendant comme toujours le grand soir qui nous délivrera de tous les maux, je ne vois aucune bonne raison de subir et de respecter nombre de valeurs circulant sous couvert de religiosité, et certainement pas l'excuse de minorité. Je laisse ce genre de paternalisme aux toddiens.

yG

ps: Ok Judith, je vais me faire plus discret.

Par yG, le 18/10/2015 à 20h23 ( modifié le 18/10/2015 à 20h50 )

@RST : Les derniers tournages n'ont pas été publics.

Par Judith, le 18/10/2015 à 19h31

Et pourquoi on est plus invité à assister aux émissions ?
Je croyais que c'était la contrepartie pour avoir participé au financement initial de l'émission.

Par RST, le 18/10/2015 à 19h00 ( modifié le 18/10/2015 à 19h01 )

@ Klerian :
Bien sûr que des manifestations collectives comme celles de la coupe du monde suscitent aussi des antagonismes mais pas de la même magnitude que lors de janvier.
D'abord, le mot d'ordre "Je suis Charlie" impliquait de prendre parti (sous-entendu : et toi ?) ; il dessinait de manière à peine voilée une séparation entre les bons Français et les autres.
Mais en plus,cette injonction à choisir son camp a été reprise massivement dans l'espace public, relayée et encouragée par les institutions, largement diffusée par les médias (une journaliste appelant même à la traque dans les écoles aux élèves n'étant pas Charlie).

Je veux bien croire que les personnes hostiles au football n'aient pas été accueillies à bras ouverts, voire vilipendées dans certains milieux, mais il ne me semble pas qu'elles aient été désignées par ce fait comme exclues de la communauté nationale.
Le souvenir que j'ai de la coupe du monde est plutôt un puissant affect commun de joie pour ceux qui le partageaient mais pas le déversement de passions tristes qui se sont libérées peu après la manifestation de janvier.
L'intervention des institutions, qui sont des instances de cristallisation de la puissance de la multitude, me paraît décisive pour différencier les deux événements.


@ yG :
"La différence n'est donc que de degré ici, pas de nature"
La différence de nature n'est-elle pas finalement qu'une différence de degré, certains seuils ayant été franchis ?
Il me semble que la philosophie de Spinoza (et de Lordon) se situe plutôt dans cette perspective et je la partage.

"Autrement dit, l'imperium sa véritable et profonde face sombre, c'est lorsqu'il s'exerce au quotidien de manière diffuse sur l'ensemble de la société, sans que nous ne le notions, sans que ne nous vienne à l'esprit que c'est là un pouvoir qui ne devrait pas être, un pouvoir pour le coup totalement déraisonnable, qu'il l'exprime le mieux."
Je suis totalement d'accord avec vous, nous ne sommes jamais plus sûrement asservi que lorsque nous ignorons notre propre état de servitude.


"Non, la face sombre, ici, c'était dans la coercition qui est à l’œuvre du fait même des religions sur l'ensemble de la collectivité qu'il fallait la rechercher, et ceci, bien qu'il y ait historiquement un délitement du sentiment religieux."

Là en revanche, je diverge. Je crois reconnaître dans votre discours toute une posture dans laquelle j'ai longtemps baigné moi-même. Je suis athée, mes deux parents sont athées et j'ai été élevé dans l'idée d'une supériorité évidente de l'athéisme par rapport aux autres croyances religieuses. J'ai longtemps été convaincu que les religions, sous leurs diverses manifestations, étaient responsables de bien des maux sur terre.

Je n'ai commencé à me remettre en question qu'il y a quelques années, alors que la thématique de la laïcité (voire même du féminisme), auparavant superbement ignorée, a été de plus en plus reprise par l'extrême-droite, la droite décomplexée et la droite complexée (le PS) uniquement vis à vis des pratiquants - et le plus souvent des pratiquantes - d'une seule religion, et dans un sens totalement dévoyé.

Appartenant moi-même à un autre type de groupe minorisé, j'ai une sensibilité particulière pour tout ce qui touche au racisme. J'ai été particulièrement frappé par la facilité avec laquelle certaines personnes pouvaient proférer des discours qui,avant, auraient été clairement perçus comme racistes mais qui, aujourd'hui, passaient, grâce au verni de respectabilité républicaine laïque, car ils ne s'attaquaient pas aux arabes mais aux musulmans (et même le plus souvent aux musulmanes, mais féministement cela va sans dire!).
J'ai pu à plusieurs reprises entendre ou lire des interventions d'athées se revendiquant laïques et/ou féministes qui pourtant sombraient dans des travers racistes et/ou sexistes. A l'inverse, il m'a été donné d'entendre certaines personnes croyantes qui tenaient des propos parfaitement rationnels et que je partageais.
Ce qui m'a amené à réviser ma séparation triviale entre athées et croyants, et à penser que le problème ne relève pas tant de la religion en tant que telle, que des manifestations qu'elle peut prendre [fin de l'ego parenthèse ].

Ainsi, il est indéniable que l'Eglise Catholique, en tant qu'institution qui était présente à tous les moments de la vie des Français, de la naissance à la mort, avait une emprise considérable. Elle était par défaut la religion de tous.
Les lois Ferry qui rendent l'école gratuite et laïque, ainsi que la loi de 1905 qui sépare les églises de l'Etat, éléments fondateurs de la laïcité, ont oeuvré pour notre émancipation en limitant le pouvoir de cette institution.
Mais elles ont eu lieu dans le contexte de la troisième République, qui elle-même s'est construite comme une contre-église avec ses temples, les écoles, et ses prêtres, les hussards noirs de la République. Certes, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture ont été vecteurs d'émancipation. Mais la défense du colonialisme, la préparation des petits Français à récupérer l'Alsace et la Lorraine et la volonté de lutter contre les idées socialistes (au sens originel) et anarchistes ne comptent sans doute pas parmi les plus grandes réalisations républicaines.
Dans les Etats théocratiques qui, aujourd'hui encore, instrumentalisent la religion, elle est également un puissant levier d'asservissement.

Pourtant, j'ai du mal à percevoir, aujourd'hui, en France, les manifestations religieuses d'une « tyrannie omniprésente, intégrée, implicite, normalisée » avec toutes les supports institutionnels que cela suppose nécessairement. Ou du moins de ce que l'on nomme habituellement religion.
S'il y a une « tyrannie omniprésente, intégrée, implicite, normalisée » que je perçois à l'oeuvre et qui structure notre existence, c'est celle du capitalisme. Dès notre plus jeune âge, elle oriente nos manières de désirer, de penser notre rapport au monde et aux autres ; et elle « s'exerce au quotidien de manière diffuse sur l'ensemble de la société ».

(avec toutes mes excuses pour l'absence totale de concision...)

Par Procrastinman, le 18/10/2015 à 16h52

J'ai eu envie de hurler tout le long: "L'institution imaginaire de la société"! De Castoriadis. Lordon l'a-t-il lu sans en parler (ce qui serait malhonnête) ou bien ne sait il pas qu'un économiste philosophe a déjà bossé sur son sujet? Je ne sais pas ce qui est le plus grave...

C'est d'autant plus énervant que Castoriadis est allé bien plus loin que lui sur cette question et cela en 1975...

Lordon refuse-t-il de parler des travaux de Castoriadis parce qu'il a très sévèrement critiqué les prétentions du structuralisme et du marxisme (sans être pour autant individualiste).

J'aime beaucoup Frédéric Lordon, mais là je me sens un peu frustré que ça ne décolle pas.

Vous qui avez rencontré François Dosse qui a travaillé sur Castoriadis, n'avez vous pas vu la similitude de la démarche (en inférieure d'après moi)?

Par Thibault Daquin, le 18/10/2015 à 15h56 ( modifié le 18/10/2015 à 16h10 )

@ Procrastinman, bonjour, vous dites :
"Si l'imperium est par essence totalisant, il n'est heureusement pas nécessairement toujours totalitaire.
Pour reprendre, l'exemple de la coupe du monde 98 cité dans votre précédent post, je ne pense pas que les personnes qui ont manifesté à ce moment-là leur indifférence ou leur hostilité aux jeux footballistiques aient été désignées à la vindicte comme lors du moment Charlie. A ce titre, cette manifestation de l'imperium n'était pas totalitaire ; ou du moins pas du tout au même degré atteint qu'en janvier."

- La différence n'est donc que de degré ici, pas de nature. Comme le fait d'ailleurs justement remarquer Klérian, l'expression pour un homme de son total désintérêt, lorsque ce n'est pas mépris pour les messes footballistiques, ou les messes sportives en générale, est le plus sûr moyen de se voir mis à l'index dans nombre de milieux. C'est pratique lorsqu'on souhaite l'être, un peu moins lorsqu'on l'est d'office.

Ce qui m'amène à rappeler que la face sombre de l'imperium, c'est avant tout dans son point aveugle qu'il faut la dénicher. Ce n'est pas tant dans les manifestations ostensibles, les coups d'éclats, les jours de grands messes qu'il apparaît dans toute sa démesure, sauf à se retourner et à regarder ce qui les a précisément provoqué.

Autrement dit, l'imperium sa véritable et profonde face sombre, c'est lorsqu'il s'exerce au quotidien de manière diffuse sur l'ensemble de la société, sans que nous ne le notions, sans que ne nous vienne à l'esprit que c'est là un pouvoir qui ne devrait pas être, un pouvoir pour le coup totalement déraisonnable, qu'il l'exprime le mieux.

Ainsi, la face sombre de l'imperium qu'ont révélé les manifestation du 11 janvier, ce n'est pas l'islamophobie comme d'aucuns le pensent (il y en avait, c'est incontestable, mais de là à en faire l'élément fédérateur central, il y a un pas que je laisse aux toddiens...).

Non, la face sombre, ici, c'était dans la coercition qui est à l’œuvre du fait même des religions sur l'ensemble de la collectivité qu'il fallait la rechercher, et ceci, bien qu'il y ait historiquement un délitement du sentiment religieux.

Car, les religions sont arrivées à faire admettre depuis longtemps, si ce n'est légalement, du moins, c'est pernicieux, factuellement, que le contenu de leurs croyances devaient être respecté par tout à chacun. Qu'il était « normal » de ne pas se moquer du contenu des croyances d'autrui. Qu'à ne pas le faire, il était par conséquent compréhensible de s'en prendre une, de réflexion, lorsque ce n'est pas une baffe, un coup de poing (cf. le pape) ou une balle.

Voilà contre quoi j'ai manifesté avec d'autres ce jour-là, pour rappeler que cette tyrannie omniprésente, intégrée, implicite, normalisée, à défaut d'être pour l'heure légalisée, tout aussi illégitime que déraisonnable de nombre de religieux et maintenue grâce à la participation complaisante, pour ne pas dire condescendante, d'un plus grand nombre encore de non religieux ne devait pas avoir le dernier mot.

Que cette identité-là, l'identité religieuse, n'avait pas à prendre le pas sur les autres, qu'elle devait être et rester tout au mieux seconde et donc ne devait être respecté que par ceux qui s'en réclament et nul autre.

C'est, certes, là un combat entre divers imperiums, comme il y en a toujours au sein d'un corps composite, mais de là, à faire de cet imperium du 11 janvier une face sombre, on se voile la face pour ne pas voir cet autre qui, en toute raison, de devrait pas être.

Tous les imperiums ne se valent pas.

yG

Par yG, le 18/10/2015 à 09h27 ( modifié le 18/10/2015 à 10h18 )

Vraiment passionnant, même s'il y a peu de remise en cause, finalement, du fonctionnement illégitime du système Français puisqu'à peine 1/5 de la population adhère.

Nous sommes donc, d'une certaine façon, passés à côté des méthodes de verrouillage et de muselage de la population par les dirigeants en place.

C'est un peu dommage, mais ça reste un superbe début de réflexion sur les mécanismes en jeu !

PG

Par Patrice Guyot, le 18/10/2015 à 05h04

merci et bravo!

Par Jeannot, le 18/10/2015 à 04h49

Merci pour ces émissions avec Frédéric (que je n'aime pas appeler "M. Lordon", bien que nous ne nous connaissions pas) qui vulgarisent les divres difficiles d'accès.
Pour ce qui est du tutoiement, je le préfère au vouvoiement de manière générale. Le "vous" est trop pompeux.

Par Alexandra Legastelois, le 17/10/2015 à 23h52

Hokusai ça se pronons pas Hokuzai mais Hokussai, même si il n'y a qu'un s!

Par laure magnet, le 17/10/2015 à 23h27

Réponse à Procrastinman "Pour reprendre (...) l'exemple de la coupe du monde 98 (...) je ne pense pas que les personnes qui ont manifesté (...) leur hostilité aux jeux footballistiques aient été désignées à la vindicte..."

Vous rigolez ou quoi ?
Je peux vous donner des tas d'exemples bien concrets de conversations à ne pas lancer sur le thème "moi le foot, ça me gonfle" en présence de pas mal de gens !!! La volée de bois vert est assurée.

Lors de la coupe 98, J'ai vécu plein de moments de ce type, je peux vous le confirmer.
Il y a des moments de flashs totalitaires, certes d'une autre intensité que ceux de l'épisode CHARLIE, mais il sont bien là :)

Amicalement,

Cyril.

Par Klérian, le 17/10/2015 à 21h53

@yG : Bonsoir,

"- Pourquoi parler alors de face sombre ? Lorsqu'il s'agit simplement de la réalisation la plus tangible de l'imperium, à savoir la création de ce cadre collectif, donc de fait contraignant pour toute individualité parce que collectif... "


Il me semble que l'imperium, tout comme la souveraineté qui en est une manifestation, est un phénomène naturel et nécessaire. Il serait donc aussi inepte de les condamner que de se lancer dans une diatribe contre les séismes. En cela, je pense que nous sommes d'accord.
Cependant, selon les projets politiques qui ont notre faveur et nous affectent de joie, certaines modalités de réalisation de l'imperium ou de la souveraineté nous agréerons plus ou moins.

Ainsi, si nous désirons nous rapprocher d'un ordre politique plus porteur d'émancipation, l'imperium dans sa forme totalitaire ne pourra pas nous convenir. Si l'imperium est par essence totalisant, il n'est heureusement pas nécessairement toujours totalitaire.
Pour reprendre, l'exemple de la coupe du monde 98 cité dans votre précédent post, je ne pense pas que les personnes qui ont manifesté à ce moment-là leur indifférence ou leur hostilité aux jeux footballistiques aient été désignées à la vindicte comme lors du moment Charlie. A ce titre, cette manifestation de l'imperium n'était pas totalitaire ; ou du moins pas du tout au même degré atteint qu'en janvier.
Pour reprendre vos termes, le type de contrainte du collectif et son intensité sont variables selon la forme que revêt l'imperium. Tout l'enjeu politique est de s'efforcer de faire advenir des formes plus souhaitables que celles actuellement à l'oeuvre. Il en est de même pour la souveraineté à mon sens.


"- Est-ce vraiment un autre corps ? Le papillon n'est pas un autre organisme que la chrysalide, juste un autre stade du développement. C'est là, je le concède une discussion plus métaphysique, mais après tout, c'est là que nous mène la parabole du bateau de Thésée.."

Si je me rappelle bien de l'échange, l'image du bateau de Thésée est utilisée pour illustrer le fait qu'un corps politique, une société, même quand elle a l'air statique et immuable, est toujours en perpétuelle recomposition. Pour autant, même le bateau de Thésée a bien dû finir par avoir une fin à un moment un autre.

Par Procrastinman, le 17/10/2015 à 21h18 ( modifié le 17/10/2015 à 21h23 )

UNE belle leçon de dialectique très fine... Une belle explicitation qui aide à entrer dans la dialectique des mouvements multiformes... et à penser le multiple des ouvertures...

BRAVO

Par félie pastorello, le 17/10/2015 à 20h43

C'est un samedi pluvieux : j'ai enchaîné les émissions d'@si avec Todd, celle des néoréacs et celle-ci. Mise en perspective sur l'imperium qui donnent à réfléchir.

¤ Todd : la moitié de la France qui est indifférente au sort de l'autre moitié, les précaires, les pauvres, les minorités (la classe moyenne qui aspire à appartenir à la classe dominante et a perdu le principe républicain de la solidarité); Le PS happé par le fond conservateur catholique est devenu un parti de droite qui s'ignore (ce n'est pas la gauche qui a conquis les territoires d'ancrage de ce fond conservateur de morale culpabilisante, mais ce fond conservateur qui a capté la gauche et lui a fait abandonner ses valeurs d'égalité et de solidarité); l'anti-islamisme nourrit l'antisémitisme des populations musulmanes (surtout chez les jeunes que la république délaisse et désespère); l'islam répond à un besoin de spiritualité.

¤ E. Louis amalgame sous le terme "néoréacs pseudo intellectuels" Onfray, Debray et Zemmour, Finkelkraut; Onfray est taxé d'homophobie et de misogynie: personne dans l'émission ne met en doute ces assertions.

¤ Lordon : Tous les résidents appartiennent au corps social et devraient jouir des mêmes droits, de la même souveraineté et de la même égalité ; L'imperium se délite et se recompose, il persiste, quel que soit son état.

J'aimerais partager le calme (l'optimisme?) de Lordon. Oui, le corps social pourrait se redessiner sous l'empire de la raison, conscient et maître de son destin, atténuer les conflits, renforcer les points communs. Oui, il pourrait définir les institutions qui émanent de lui afin qu'elles régulent mieux l'exercice de l'autorité et tendent à asseoir la souveraineté dès le premier échelon de ce corps social.

Peut-être que je suis fatiguée aujourd'hui. Je sors de cette émission plutôt pessimiste. La quête d'affects communs pour rafistoler notre pacte social qui fout le camp m'effraie encore plus. Le PS est de droite, la droite flirte avec l'extrême-droite, l'extrême-droite fanfaronne, la gauche est qualifiée d'extrémiste, équivalente à l'extrême-droite mais en pire (des arracheurs de chemises!). Feue EELV est morte écartelée en septembre. Etre souverainiste dans la continuité du référendum de 2005, aujourd'hui, c'est une dérive nauséabonde qui fait le jeu du FN. Si on défend la laïcité, on devient anti-islamiste. Debray est taxé de dérive droitière(???????). "Débat" signifie une sorte d'inquisition de la pensée qui traque dans le discours de l'autre ce qui le rend suspect et le fait passer en jugement immédiat où il est sommé de montrer patte blanche (ne pas s'interroger sur l'islam, ne pas poser de questions sur les migrants, ne pas douter de l'europe). Il est devenu impossible de douter, de réfléchir, encore moins de se tromper. C'est à dire qu'il n'y pas plus de place à l'élaboration d'une pensée, il ne reste qu'un credo à réciter docilement. Invectives, mépris, insultes. Quand je vois que Onfray et Debray sont traités comme des ennemis de la république pour avoir dit ceci ou cela comme si toute une pensée, le travail d'une vie pouvaient être balayés et disqualifiés pour une phrase qui n'est pas dans la doxa des médias. La situation me paraît très grave.
Oui, vraiment l'imperium mute,se cherche. Pour l'instant, il semble se simplifier à l'extrême dans une approche binaire de la recherche d'identité. Comme quoi, la bienpensance "centriste" n'est pas à l'abri de l’extrémisme : d'ailleurs, c'est comme ça que je comprends la position de Lordon sur je suis Charlie. Il y a un vrai totalitarisme à l'injonction d'être ou ne pas être Charlie. Comme si la réponse était simple, comme si les implications de cette réponse n'étaient que binaires, une fois de plus. Six mois plus tard, je pense que Todd avait raison sur l'inconscient de cette grande manif unitaire - ou "affect unanimitaire".
En tout cas, pendant qu'on étripe ceux qui osent poser des questions gênantes au lieu d'entendre et de réfléchir aux problèmes que ces questions soulèvent, le désarroi de la population délaissée monte, les affects communs ne seront bientôt plus que la colère et la haine.

Par Fitz, le 17/10/2015 à 20h19

Bonsoir,

"la manifestation "Je suis Charlie" n'est ni plus ni moins institutionnelle que n'importe quelle manifestation d'un affect commun."

- J'en conviens tout à fait, Judith.


"C'est la "face sombre" de l'imperium dans la mesure où c'est un moment où se manifeste sa potentialité totalitaire (l'imperium est toujours totalisant, pas toujours totalitaire). Il est totalitaire dans le sens où quiconque exprime "ne pas se sentir Charlie" est aussitôt suspect, et réprouvé."

- Pourquoi parler alors de face sombre ? Lorsqu'il s'agit simplement de la réalisation la plus tangible de l'imperium, à savoir la création de ce cadre collectif, donc de fait contraignant pour toute individualité parce que collectif...

« D'une manière générale Lordon ne dit pas ce qui est "bon" et ce qui est "mal". Il dit ce qui est. »

- D'une manière générale, peut-être, mais pas là en l’occurrence, car je ne peux m'empêcher de percevoir ici un jugement de valeurs des plus négatifs. Les mots et les associations ne sont pas neutres. Lordon ne peut l'ignorer.

« L'imperium est un fait, pas une valeur. »

- Mais toujours un fait qui se matérialise à travers l'expression de certains affects, donc de certaines valeurs. En tout cas, c'est ainsi que je le comprends à l'écoute de l'émission.

« Enfin, si ce n'est pas le souverainisme qui est mal, mais son contenu et son projet, alors il ne faut pas reprocher aux souverainistes d'être souverainistes (or : "souverainiste" est censé être un adjectif disqualifiant, dans la bouche de la plupart des européistes). »

- Il est, hélas, effectivement utilisé pour disqualifier, parce qu'il est pour l'heure majoritairement employé, affiché, revendiqué, par ceux qui en font un usage rétrograde, nationaliste bêtement local. On peut se renvoyer la balle toute la soirée sur la question de la responsabilité, pas sur le fait que c'est ainsi qu'est connoté ce mot actuellement, qu'on le déplore ou non. A charge donc à ceux qui se revendiquent souverainistes de toujours et clairement se dissocier de ceux qui font un commerce pathétique de cette notion.

« D'abord si : un corps politique, ça peut mourir, ça se défait, ça se disloque, et ça meurt (et d'autres corps politiques prennent naissance). »

- Est-ce vraiment un autre corps ? Le papillon n'est pas un autre organisme que la chrysalide, juste un autre stade du développement. C'est là, je le concède une discussion plus métaphysique, mais après tout, c'est là que nous mène la parabole du bateau de Thésée...

yG

Par yG, le 17/10/2015 à 19h43 ( modifié le 17/10/2015 à 19h46 )

Merci !

Par genevieve poussant hebert, le 17/10/2015 à 19h05

Kof kof kof (bruit de toux).
anarchisme, souverainisme, imperium....
Je ne suis pas certaine d'avoir tout compris, mais sans doute vais-je profiter des vacances pour lire le bouquin.
Frédéric Lordon est parfois difficile à comprendre, tant sa pensée vole haut, mais son humour décalé et son désir de se faire comprendre calment un peu le propos et le rendent plus intelligible. Mais là rien de ce genre.
En plus, on passe d'un concept "costaud" à un autre.
Et il me semble que ça ressemble à une tentative de justifier l'Etat comme principe transcendant dont une communauté humaine aurait besoin.
Je pense quant à moi que l'Etat est un cadre, un encadrement, quelque chose de concret qui existe et qui règle nos relations les un-e-s avec les autres. Et qui pour cela a besoin d'instituer la transcendance avec tout un tra la la. Dans ce cadre se trouvent la problématique du pouvoir et le sens même du politique et de la politique. Il nous appartient collectivement de le penser par les échanges et le discours (la parole et le sens) comment il doit être. Et c'est l'avancée des discours dans le temps, leur formulation réciproque, qui font avancer la pensée politique et l'Etat. L'Etat est le cadre ou l'instrument.
Il est l'instrument pour qui sait s'en servir.

Par Yanne, le 17/10/2015 à 18h46

@yG : D'abord si : un corps politique, ça peut mourir, ça se défait, ça se disloque, et ça meurt (et d'autres corps politiques prennent naissance).
Ensuite : la manifestation "Je suis Charlie" n'est ni plus ni moins institutionnelle que n'importe quelle manifestation d'un affect commun.
C'est la "face sombre" de l'imperium dans la mesure où c'est un moment où se manifeste sa potentialité totalitaire (l'imperium est toujours totalisant, pas toujours totalitaire). Il est totalitaire dans le sens où quiconque exprime "ne pas se sentir Charlie" est aussitôt suspect, et réprouvé.
D'une manière générale Lordon ne dit pas ce qui est "bon" et ce qui est "mal". Il dit ce qui est. Et s'efforce d'interroger les conditions dans lesquelles on peut éviter que ça engendre trop de mal. L'imperium est un fait, pas une valeur.
Enfin, si ce n'est pas le souverainisme qui est mal, mais son contenu et son projet, alors il ne faut pas reprocher aux souverainistes d'être souverainistes (or : "souverainiste" est censé être un adjectif disqualifiant, dans la bouche de la plupart des européistes).

Par Judith, le 17/10/2015 à 18h45

Bon, passons rapidement sur les 75 premières minutes de l'émission, on en reste à un niveau d'abstraction qui pourrait laisser penser que les affects ont sagement été discipliné par la raison, qui nous rappellent, pour ceux qui ne le sauraient pas ou ne l'auraient pas perçu ainsi, qu'un corps politique, c'est toujours des institutions, souvent, pour ne pas dire toujours, en conflits. Donc, en gros une entité dynamique complexe (lui dit « organique »), mais qui tient bon an, mal an (je me demande d'ailleurs ce que veut dire « tenir », dès lors qu'un tel corps ne peut jamais mourir et que tout changement est tautologiquement acté... Sur ce point, Lordon semble tiraillé entre une approche organique et une approche plus essentialiste, comme le souligne son rappel de la parabole du bateau de Thésée et son exemple sur la Syrie.)

Quand enfin, après une heure et quart, le refoulé ressurgit avec fracas à l'occasion de l'évocation de la manifestation du 11 janvier, de ce flash totalitaire comme le nomme Lordon d'après Todd, événement qu'il qualifie de face sombre de l'affect commun avec des airs de Corée du Nord...

Pour quelles raisons Lordon en vient-il à qualifier de la sorte cette manifestation, de facto « institutionnelle » ?

Mystère.

Là, ce n'est pas bon que des institutions venant du bas nous reviennent par le haut en une grande vague. Là, cela ne va plus que se montrent et se réaffirment publiquement des valeurs cristallisées au cœur d'une grande partie du collectif.

Ah bon ?
Pourquoi ?

Pourquoi là et pas lors de la coupe du Monde de 1998 qu'il mentionne sans s'y attarder ?

C'est d'autant plus perturbant qu'il est aisé à lire Lordon (par exemple, son dernier billet sur son blog à propos du conflit à Air France) d'imaginer qu'il applaudirait à d'autres manifestations collectives, si elles avaient lieu.

yG

PS: Je suis enfin surpris qu'il pense pouvoir invalider la critique du souverainisme en rappelant qu'être Européiste, c'est être de fait souverainiste.
Il n'y a pas là la moindre contradiction.
Lorsque les de facto souverainistes européens s'attaquent aux souverainistes, c'est le plus souvent, pour ne pas dire toujours, bel et bien le souverainisme étriqué, populiste et nationaliste, franchouillard, qu'ils visent. Celui d'ailleurs que critique Lordon.

Sa critique est donc d'autant plus surprenante à mes yeux qu'il rappelait dans l'émission l'existence des phénomènes d’émergence. Or, dans ce cas, l'échelle change effectivement la donne. Cela n'a rien à voir d'être souverainiste européen et de l'être de façon hexagonale. D'autres valeurs entrent en jeux.

Par yG, le 17/10/2015 à 18h31 ( modifié le 17/10/2015 à 18h47 )

et Marx dans tout "çà" ??
"Présentation de l'œuvre de Marx", par Jean Salem - 1h55 - pour moi : c'est clair et j'ai tout compris
https://vimeo.com/141404296

Plus simplement : existe-t-il des études sur la/les communautés de "joueurs de boules", la durée, les sociétaires, les luttes de pouvoirs, l'imprégnation de l'Ailleurs, les différences dans l'espace et le temps, etc...

Par morvandiaux, le 17/10/2015 à 16h31 ( modifié le 17/10/2015 à 16h36 )

On ne peut trop entendre l'indispensable Lordon, merci :)

Par Florac Emmanuel, le 17/10/2015 à 14h30