La gauche et l’armée

avec Maxime LAUNAY
publiée le
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animée par Tarik BOUAFIA

Mai 68 marque l’aboutissement d’années de luttes et de revendications égalitaires propre à la décennie 1960. Dans le même temps, ces événements ouvrent la voie à une période où règne un maitre-mot : « l’insubordination ». En France et dans le monde, les sociétés menacent de devenir ingouvernables tandis que la révolution semble à portée de main. Des prisons aux usines en passant par l’école, c’est toute l’infrastructure capitaliste et ses institutions qui se voient radicalement contestées. Toutefois, un des piliers de l’ordre étatique manque à l’appel : l’armée. Dans notre imaginaire, elle aurait échappé à la vague subversive des années post-68. Pourtant, il n’en est rien. Nombre de militants font le parallèle entre l’armée et l’usine, tout deux étant des lieux d’exploitation des prolétaires, de violences sociales et d’humiliation. Le service militaire, loin de brasser la population pour faire Nation, reproduit les hiérarchies, cantonnent les fils d’ouvriers et de paysans à des postes dégradants et aliénants pendant que les fils de bourgeois occupent les postes de commandement voire parviennent tout simplement à se faire réformer. Loin d’être un isolat social refermé sur elle-même, l’armée est aussi percutée par les évolutions de la société et les aspirations des nouvelles générations. 

De son coté, portée par une dynamique qui le propulsera à l’Elysée en 1981, le Parti Socialiste est pris en étau entre une partie de sa base sensible à l’antimilitarisme, solidaire des comités de soldats, critique de la dissuasion nucléaire et sa volonté d’apparaître aux yeux de l’opinion comme un parti crédible, respectable et gestionnaire. Fin tacticien, maitre de la synthèse, Francois Mitterrand endosse progressivement les habits de chef des armées. Jadis contempteur du général de Gaulle, Mitterrand fera de ses deux septennats un moment de banalisation et de normalisation des affaires militaires. Présenté par certains comme un président qui n’aimait pas la guerre, il engagera pourtant l’armée dans une trentaine d’opérations extérieures, ce qu’aucun dirigeant francais n’avait fait depuis la fin de la guerre d’Algérie. Au nom de la prévention des conflits et de la défense des droits de l’homme, les socialistes inaugurent un nouvel impérialisme humanitaire, caractéristique des années 1990. 

Force de neutralisation et de dépolitisation, le Parti Socialiste a largement contribué à l’atonie du débat public sur les questions militaires. A sa manière, il a fini par liquider, du moins en partie, l’héritage de mai 1968. A l’heure où le spectre de la guerre ressurgit, qu’une nouvelle union sacrée nous est servie pour nous préparer à « perdre nos enfants », il est urgent de redécouvrir et de réactiver cette grande et riche tradition antimilitariste de la gauche révolutionnaire. Le temps nous est compté. 

Tarik BOUAFIA

Pour prolonger

Durée 74 min.

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