Hé Bernard
Au début, je voulais faire un texte sur LVMH, sur le patron de LVMH, Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, l’homme le plus riche du monde (enfin, ça dépend des jours, le podium est parfois occupé par un cinglé qui envoie des fusées dans l’espace).
On l’appelle le « loup en cachemire », parce qu’il porte un col roulé noir en cachemire. (Il complète son uniforme par un blazer bleu marine Dior, des mocassins Berlutti, une montre Vuitton.)
Je voulais partir de ce qu’il dit souvent, que sa grand-mère lui avait appris à être « économe ». La grand-mère et le loup : j’avais un bon truc pour démarrer, alors je me suis mis à ma table pour écrire des mots, des phrases, mais qui ne venaient pas, mais alors pas du tout
Parfois, ça marche pas, la littérature.
Et puis, j’ai vu qu’un gars (un grand poète, je suis sérieux) avait réussi, grâce aux données publiques du site OpenSkyNetwork, à traquer ton petit avion personnel dans lequel tu te balades toute l’année aux quatre coins du globe, le loup. C’est comme ça que j’ai appris qu’on pouvait faire un vol de 10 minutes entre deux aéroports de Londres. Le gars, il te suit à la trace, et il calcule les tonnes de CO2 que ta petite bestiole recrache dans le ciel, 16 000 tonnes en moyenne par an, le loup. Un petit Français comme moi, il crame 1,5 tonnes, pour te dire. Et encore, on essaie de faire gaffe, tu sais, il faut que ça baisse encore – t’es au courant, le loup ?
Alors, le loup, il paraît que tu as vendu ta petite bestiole et que tu préfères passer par la location, c’est plus discret, « personne ne peut voir où je vais ». Et puis, c’est aussi bien, tu as dit parce que « ce n’est pas très bien que nos concurrents puissent savoir où nous en sommes à tout moment. Ça peut donner des idées, ça peut aussi donner des pistes, des indices. » C’est sûr, le loup, ça peut donner des pistes. Et des idées.
J’en ai trouvé une moi aussi, et, moi aussi, comme le grand poète qui suivait ton avion, je me suis mis à compter.
Les chiffres, c’est du solide, c’est du lourd.
Eh, le loup, tu pèses lourd : 200 milliards d’euros, j’ai lu.
200 milliards d’euros.
Purée, le loup.
200 milliards = 200 000 millions.
200 milliards = 2 zéro zéro zéro zéro zéro zéro zéro zéro zéro zéro zéro.
200 milliards, c’est le chiffre 2 avec 11 zéros derrière
La poésie, la littérature, ça figure les choses. Ça fait des images, des comparaisons.
Alors j’ai fais des images et des comparaisons, et j’ai fait de la poésie, de la poésie que j’avais jamais écrite. Une poésie un peu bizarre, il faut bien dire.
Parce que 200 milliards
=
tous les appartements + toutes les maisons de Marseille
+
tous les appartement + toutes les maisons de Nantes.
200 milliards, c’est presque le PIB annuel de la Grèce.
200 milliards, c’est presque le PIB annuel de la Hongrie.
200 milliards, c’est le PIB annuel de la Danemark
200 milliards, c’est le PIB annuel de la Finlande.
(À quelques milliards près, hein.)
Purée, le loup, attends.
Si je me dis que 1 euro = 1km, ça nous parle, eh bien, le loup, il est à 200 milliards de kilomètres de la Terre. C’est-à-dire beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup plus loin que le Soleil, qui est à 150 millions de km de la Terre. Tu n’es pas seulement le plus riche du monde, le loup, tu es le loup le plus riche du système solaire, et facile hein. Quand on sait que 200 milliards, c’est 200 fois la distance parcourue par la sonde Voyager 1 qui est partie en 1977, qui est allée plus loin que toutes autres sondes dans la galaxie, qui compte 100 milliards d’étoiles, soit deux fois moins que la fortune du loup, et les étoiles, ça vous parle, ça, quand vous faites de la poésie
Alors, quand même, tu es généreux, le loup.
J’ai lu que tu as donné 20 millions aux resto du coeur, le loup. Généreux, le loup. Pas si loup, le loup, mais, mais, attends, si on fait encore un peu de poésie comme ça, c’est-à-dire des comparaisons, 20 millions, si je ne me suis pas trompé, c’est 0, 01% de 200 000 millions, c’est l’équivalent de 0, 1 centime pour un smicard.
0,1 centime, c’est beaucoup, beaucoup moins que 2 centime d’euros, le loup. Tu sais, le loup, la petite pièce, pas la jaune, la rouge, celle qui vaut que dalle, celle qu’on garde dans un petit bocal pour acheter des bombons au enfants. Cette pièce, il faudrait la gratter avec un burin pour faire décoller quelques tout petits microgrammes de cuivre, les glisser délicatement dans un petit sachet en plastique et aller au Resto du coeur, là se figurerait vraiment ta générosité, le loup.
Faire de la poésie ou de la littérature de cette manière, ça pourrait servir à ça, le loup, tu as vu ?
On ne s’échinerait pas à persifler, à brailler, à taper comme un sourd sur le monde comme il va, et sur ce que des gens comme toi en ont fait. Non, on travaillerait simplement à rendre des sommes commensurables. À rapporter des milliards à des millions et des millions à des milliers. A fabriquer des représentations réelles du monde réel. A trouver les images qui font descendre sur terre.
La poésie, ça aide à voir.
« Je dis qu’il faut être voyant, se faire VOYANT. » (Rimbaud, à Paul Demeny, 15 mai 1871, la veille de la destruction de la Colonne Vendôme, qui se trouve en face de ton magasin Vuitton, le loup).

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