Un couple panafricain, Miriam Makeba et Stokely Carmichael

Cette semaine, je reçois Elara Bertho, chercheuse au CNRS, spécialiste des littératures africaines et autrice d’ Un couple panafricain. Miriam Makeba et Stokely Carmichael en Guinée, publié aux éditions Rot-Bo-Krik. En suivant le parcours de ce couple iconique, c’est une contre-histoire des luttes anti-impérialistes et antiracistes du XXe siècle qui se déploie sous nos yeux – une histoire qui s’écrit à distance des centres impériaux.

En 1968, la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba et le militant révolutionnaire afro-américain Stokely Carmichael – figure du Black Power et théoricien du racisme institutionnel – s’installent en Guinée pour soutenir le projet politique de Sékou Touré, chef d’État charismatique et farouchement indépendantiste. À travers cette trajectoire d’exil et d’engagement, Elara Bertho nous entraîne dans un moment décisif de l’histoire panafricaine.

Makeba et Carmichael souhaitaient faire de l’Afrique une terre d’accueil et de renaissance, une base arrière pour le combat contre l’apartheid, le racisme et l’impérialisme. Leurs aspirations rencontrèrent celles de Sekou Touré. Ce dernier impulsa, dans la jeune Guinée indépendante, des réformes économiques et politiques adossées à un ambitieux programme culturel. Ces réformes firent rayonner l’Afrique, mais elles ne retirent rien la face sombre de ce régime : les purges, les arrestations, les camps, le culte du chef. Pourquoi Makeba et Carmichael sont-ils restés silencieux sur la répression ? N’ont-ils pas vu, n’ont-ils pas voulu voir ?

À travers la parole d’Elara Bertho, rigoureuse et généreuse, cette émission met en lumière les paradoxes d’une génération militante, tiraillée entre idéal révolutionnaire et réalités autoritaires. Nous découvrons aussi un Carmichael méconnu, devenu Kwame Ture, penseur caribéen et africain, théoricien du lien entre racisme et colonialisme, et acteur d’une internationale noire aux nombreuses ramifications.

Un couple panafricain est davantage qu’une biographie croisée : c’est un geste politique et historiographique. Il nous invite à décentrer nos regards, à provincialiser l’Occident, et à inscrire les trajectoires militantes dans des géographies transatlantiques, anticoloniales et radicales.

Bon visionnage !

Manuel CERVERA-MARZAL