Nouveau peuple, nouvelle gauche

avec Hadrien CLOUET, Julien TALPIN
publiée le
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animée par Judith BERNARD

Des « beaufs et des barbares », des « ploucs et des racailles » ? De quoi sont faites aujourd’hui les classes populaires ? Au delà des stéréotypes qui tendent à accuser les fractures entre ses différents secteurs et qui, lorsqu’ils sont mobilisés par les médias mainstream, alimentent une logique de mépris social et d’invisibilisation, il est plus que temps de regarder les classes populaires en face, de près, avec méthode. C’est à quoi s’emploient de nombreux sociologues, dont les travaux sont spectaculairement éclairants – et propres à démonter bien des préjugés.

Les « tours et les bourgs », par exemple, ont tant en commun qu’il est devenu absurde de les opposer ou de vouloir les confronter : ici et là, les mêmes conditions subalternes, le même éloignement des services publics, les mêmes stratégies de subsistance par la débrouille et la valorisation de l’autonomie. Les populations sont sensiblement les mêmes, et circulent de l’un à l’autre espace à travers des trajectoires résidentielles évidemment déterminées par la contrainte économique.  L’enjeu stratégique est ici de faire advenir une subjectivité commune capable de dissiper les fumées de la haine sociale « horizontale », dont le feu est savamment entretenu par les élites médiatiques et politiques.

Cette haine sociale horizontale conduit les groupes sociaux à se chercher toujours un inférieur, un moins méritant : les « assistés », les « cassos » – que la destruction de l’Etat social des dernières décennies tend évidemment à produire en nombre – font ainsi l’objet d’une stigmatisation qui traverse les différents secteurs des classes populaires. Ce que Lordon appelait la « passion pénultième » (cet impérieux désir de n’être pas le dernier) nourrit ainsi une division au sein des classes populaires qui fait obstacle à l’avènement d’une conscience de classe. Elle participe aussi à la culture de la « classe moyenne », catégorie dont se revendiquent les subalternes dont les positions sont à peu près stabilisées sur le plan économique.

Surreprésentée dans les médias – c’est cette classe moyenne qu’on filme, qu’on interroge ou qu’on invite à la télé quand il s’agit de faire parler « les gens » – cette classe participe de l’invisibilisation des populations les plus précaires, les plus exploitées, les plus stigmatisées. Elle tend davantage à se hisser socialement en produisant les signes de sa réussite économique ou de sa distinction culturelle qu’à percevoir les intérêts communs qu’elle partage avec les populations les moins favorisées : c’est à cette classe que s’adressent l’écologie des petits gestes et le féminisme bourgeois. C’est aussi sur ce groupe social que la social-démocratie a cru pouvoir construire son projet politique, abandonnant la classe ouvrière au sort funeste que lui réservait le néolibéralisme. On sait ce qu’il en est advenu.

La responsabilité d’une gauche de rupture est donc de s’articuler aux classes populaires, toutes les classes populaires – des plus démunies aux mieux protégées – en faisant valoir l’intérêt commun qui les soude, la dépossession généralisée qui les frappe : face à l’écocide global à quoi le capitalisme semble nous condamner, opposer une écologie populaire, consciente du racisme environnemental qui expose plus violemment les populations les plus fragiles. Face à l’aggravation des inégalités, opposer un féminisme populaire, toujours concient des conditions matérielles d’existence et des rapports de domination qui traversent y compris la prétendue « classe » des femmes. En toutes matières, se souvenir que le capitalisme, s’il n’a inventé ni le sexisme ni le racisme, les mobilise, les entretient et les cultive à son profit – et qu’il ne saurait y avoir de lutte contre l’un qui n’engage la lutte contre l’autre.

Les défis sont énormes ; ils réclament un ancrage militant sur l’ensemble du territoire, qui reste à approfondir et à pérenniser. Ils supposent de battre en brèche le conservatisme d’atmosphère que la doxa médiatique distille quotidiennement : non, les classes populaires ne sont pas devenues réac, non, elles ne sont pas tout uniment hantées par « l’insécurité » et la « submersion migratoire ». Elles sont majoritairement progressistes, et attendent encore de l’Etat qu’il serve l’intérêt général, permette leur dignité, et respecte leur souveraineté. En documentant scientifiquement et en analysant politiquement cette réalité, le livre Nouveau peuple, nouvelle gauche ouvre un formidable espace de réflexion stratégique, qui ne demande qu’à être approprié par tous ceux qu’anime un ardent désir de transformation sociale. Et la France Insoumise, à l’initiative de cet ouvrage via l’Institut La Boétie, semble en ordre de marche pour mettre ses forces au service de ce projet ; c’est peu dire que ça donne la patate.

Judith BERNARD

Durée 88 min.

3 réponses à “Nouveau peuple, nouvelle gauche”

  1. Dominique L

    Merci Judith Bernard pour cet échange avec des personnes qui expliquent leurs outils d’influence et donnent un peu d’espoir.
    PS: j’aimerais bien partager vos émissions avec quelques proches pour vous faire connaitre. Mais est-ce possible?

  2. Judith BERNARD

    Bonjour Dominique,
    Merci pour votre merci !
    En dehors des Happy Hours, la seule manière de partager nos émissions est de télécharger le fichier (mp3 ou mp4) et de transmettre le fichier à vos camarades…

  3. Gerard Lebrun

    Les rappels élogieux de Judith Bernard à Éric Aeschimann suite à son intervention « L’écologie au défi des classes populaires » il y a 15 jours m’ont incité à revoir une deuxième fois cette émission. Je n’avais peut-être pas tout compris ou pas voulu comprendre la qualité de son propos. Mais je confirme mon impression initiale, d’un décalage avec la qualité de la présente livraison sur les manières de créer une mobilisation des classes populaires.
    Il y a des proximités d’analyses sur l’acceptation des classes populaires des transitions écologiques nécessaires, certes mais cela s’arrête là. Le titre du livre de Mr Aeschimann est un condensé de son livre, « les vipères ne tombent pas du ciel ». Il décrit sa vision surplombante à lui, des classes populaires dont il lui a fallu documenter les tendances et segmentations à l’aide de sociologues de terrain. On ne peut pas lui reprocher de n’être pas allé lui-même sur « le terrain » des classes populaires, (quoique pour un journaliste ? ou un militant ?) mais ses conclusions dans la première partie sont surtout d’un manque de pédagogie pour expliquer les rejets des mesures écologiques (les vipères !). La deuxième partie se limite à une intervention coercitive de l’Etat (en France seulement) sur les entreprises dont les modalités semblent assez utopiques. On ne voit pas vraiment comment le parti écologique qui défend encore le nucléaire pourrait avec ses petits bras arriver au pouvoir avec ce programme sinon que comme une force d’appoint vers sa droite ou sa gauche ?
    C’est peut-être là que se situent les rappels élogieux de Judith Bernard.
    Il faudra à un moment ou un autre élargir le lectorat de Hors Serie et donner à entendre des voix d’autres horizons. C’est compliqué ! Je suis bien d’accord.

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