Malcolm X, 100 ans

« Suprémaciste noir », « raciste », « sectaire », « extrémiste »… Rares sont les militants politiques à avoir été la cible d’autant de haine et de calomnie que Malcolm X. A tel point que 60 ans après sa mort, il apparait toujours comme une figure repoussoir, vestige d’un temps révolu. On se plait alors à le comparer à Martin Luther King, présenté comme la quintessence de la sagesse et du pragmatisme. Si cette opposition s’avère parfois caricaturale et binaire, elle traduit le désir d’une liquidation définitive de l’héritage d’un homme dont l’aura et la radicalité ont fait trembler l’ordre racial. Intellectuel organique pour les uns, stratège voire prophète pour les autres, il a compris, peut-être mieux que quiconque, la mécanique de l’Etat racial et d’un système ségrégationniste qui écrasent et déshumanisent les Noirs.

Pourfendeur des illusions intégrationnistes, très critique envers la gauche blanche, il n’a eu de cesse d’appeler les Africains-Américains à se libérer de leurs aliénations et à s’engager sur la voie de l’autonomie politique, et ce, par tous les moyens nécessaires. 

Conscient que ses visées révolutionnaires se fracasseraient sur la toute-puissance de la machine répressive de l’Etat, Malcolm X a fait de l’internationalisation de la question noire la pierre angulaire de son combat. Pour cela, il presse les Africains-Américains à « rejoindre la révolution noire mondiale » et à faire de leur lutte une composante essentielle des résistances menées dans le monde contre la domination blanche. Soudain, les 22 millions de Noirs, minoritaires et vivant sous le joug du colonialisme interne aux Etats-Unis peuvent s’identifier à la majorité héroïque des peuples du tiers-monde.

La création par Malcolm X de l’Organisation de l’Unité Afro-Américaine apparait ainsi comme la matérialisation de son engagement panafricaniste. Dès lors, la libération du peuple noir sera totale ou ne sera pas. Dans son adresse aux chefs d’Etats Africains, Malcolm X prévient : « Vos problèmes ne seront jamais résolus tant que les nôtres ne le seront pas. Vous ne serez jamais absolument respectés tant qu’on nous ne respectera pas. Vous ne serez jamais reconnu comme des Hommes libres tant qu’on nous ne reconnaitra pas et que l’on ne nous traitera pas comme des êtres humains ». S’il n’est pas question d’envisager – pour le moment – de retour physique en Afrique, il s’agit pour les Africains-Américains de revenir « culturellement et philosophiquement » vers la Terre dont ils ont été arrachés.  

Mais à quoi bon (re)lire, (re)découvrir Malcolm X en 2025 ? L’élection à la présidence de Barack Obama, la nomination de Kamala Harris comme candidate démocrate ne démontrent-elles pas que les rêves d’égalité raciale sont devenus réalité ? C’est en tout cas le message que tentent de diffuser les tenants d’un libéralisme identitaire, très en vogue chez certaines élites et une partie des milieux militants. Mais derrière un discours aux allures progressistes se cache la volonté de neutraliser toute contestation radicale au profit d’une récupération dépolitisante et inoffensive dont le capitalisme a le secret. C’est pourquoi, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, l’œuvre-vie de Malcolm X doit être plus que jamais connue, étudiée, discutée comme une source d’inspiration inestimable pour les générations à venir. 

Tarik BOUAFIA