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L'homme de nulle part

En accès libre

Jean-Claude Brisseau

"L'homme de nulle part" comme titre pour un entretien avec Jean-Claude Brisseau, c'est à la fois une facilité (son dernier film s'intitulait "La fille de nulle part"), à la fois une sorte d'évidence qui m'est apparue au moment de rencontrer Brisseau. Etre dans la même pièce que lui, qui plus est chez lui, c'est avoir le sentiment que cet homme traîne avec lui l'air d'un autre temps. Brisseau donne l'impression de s'être replié dans le temps de ses idées fixes en dehors de quoi il vous présente une sorte d'absence affable.

Alors pourquoi "L'homme de nulle part" ? Parce que Brisseau est un pur produit de l'autodidaxie : éduqué par une mère femme de ménage, pur produit de la cinéphilie hollywoodophile comme ses aînés de la Nouvelle Vague, professeur de français pendant une vingtaine d'années, il apprend la mise en scène en décortiquant les films, cherchant à y déceler le mystère de leur réussite. Brisseau nous dit à la fin de cet entretien que, lorsqu'il enseignait le cinéma, il aurait aimé qu'un de ses étudiants lui demande pourquoi, une fois qu'on analyse un grand film plan par plan, le film gardait toujours aussi jalousement le mystère de sa beauté.

Quand Brisseau fait un film, on sent qu'il cherche à reconduire une nouvelle fois ce mystère, à créer du mystère et à "filmer pour comprendre", exactement de la même façon qu'un cinéphile, l'oeil assoiffé, regarde et scrute pour comprendre. Le dernier mystère en date, il le déploie sur ses derniers films : le corps féminin et la jouissance féminine, mystères qu'il ne cesse de vouloir filmer, visions mentales et fantasmes mélancoliques d'un cinéaste-cinéphile qui, comme beaucoup d'autres, envisage le cinéma comme une occasion inouïe de scruter et de découvrir l'autre sexe.

L'homme de nulle part, Brisseau l'est également dans cette volonté qui a toujours été la sienne de réunir en un même film des genres différents : le surnaturel, l'érotique, le réalisme social, l'horreur voire même le western. C'est ce qui rend ses films si difficilement classables à l'intérieur du cinéma français, comme si sa filmographie, faute de pouvoir être rangée quelque part, faisait désordre. 
Un désordre qui reste le motif le plus constant de ses films : ses personnages esquissent la possibilité d'une utopie sociale, sexuelle, sentimentale, pédagogique, qui se casse les dents contre un ordre social brutal, impitoyable avec eux.
Son dernier film, La fille de nulle part donc, un home-movie d'une mélancolie déchirante, suggère un beau résumé de son oeuvre : on y voyait Brisseau lui-même (dans son propre appartement) jouant un écrivain veuf, ayant sereinement renoncé à tout sauf à l'écriture, replié dans sa forteresse tapissée de livres et de DVDs, en compagnie d'une jeune fille avec qui il discute et travaille pendant de longues journées. On se disait que là Brisseau, dans ce qui doit être son film le plus fauché, atteignait à une sorte d'extase de son propre cinéma, à l'utopie absolue (il n'aura jamais été aussi proche de Vertigo), s'engouffrant encore un peu plus loin dans la précieuse marge du cinéma français.
Et j'écris cela très joyeusement, en repensant à ce que nous disait Desplechin avec une justesse salvatrice : la marge du cinéma français en a toujours été le centre.

En accès libre , émission publiée le 20/06/2015
Durée de l'émission : 83 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

12 commentaires postés

Le milieu du cinéma français serait totalement corrompu (une affaire Elf continue en quelque
sorte) et serait prêt à effacer physiquement (une vraie mafia donc).
Et les producteurs indépendants qui réussissent mieux que lui (les Attal, Comar, Godeau, Guédiguian,
Maraval, Masmonteil, Pialat, etc...) tous des bourgeois qui en croquent ?
Il ne serait pas un peu parano Monsieur Brisseau ?

Par JRem, le 28/06/2015 à 11h39 ( modifié le 28/06/2015 à 11h40 )

Murielle, mamz'elle, these are words that go together well ...
On reste un peu sur sa faim à propos de ses démélés avec le milieu.
Pas mal de logique dans ses explications finalement assez premier degré.
"on est toujours comme ça dans la vie".
Je n'ai vu de lui que "Noces Blanches" et j'avais 47 ans !

Par Robert., le 27/06/2015 à 16h19

Mademoiselle, sachez que j'ai trouvé cette émission très intéressante !

Par BLG, le 27/06/2015 à 12h22

encore une fois bravo: quel personnage ! que de choses dites.. Merci. EG

Par vegian, le 25/06/2015 à 13h22

Emission plaisante. JeanClaude Brisseau arrivait précédé une réputation sulfureuse ( http://www.lejdd.fr/Culture/Actualite/Jean-Claude-Brisseau-reste-libre-97132 ).
Et nous découvrons un brave homme, pas bête, qui dit de choses sensées d'un ton tranquille, en veillant à ne pas créer de scandale, alors qu'il aurait sans doute beaucoup de choses à dire sur les mécanismes de la production cinématographique en France.
Le fait que Murielle Joudet reste un peu en retrait ne m'a pas gêné, car Brisseau explique assez bien son cinéma, ce qui n'était pas le cas de Catherine Breillat, cultivant sa névrose (sa source d'inspiration) et barbottant dans ses contradictions, que Murielle devait guider, comme une psy accouchant sa patiente.

Par Papriko, le 22/06/2015 à 19h57 ( modifié le 22/06/2015 à 22h25 )

Tout le charme de cette rencontre est dans le malentendu. Personne n'écoute vraiment personne. On oublie le fil de l'entretien deux ou trois fois. On digresse sans revenir ensuite sur l'idée abandonnée un peu plus tôt...Mais il en sort tout de même quelque chose. Parce que cet homme est rare, sans doute...Est-ce pour cela que M.Joudet n'ose pas lui rentrer dedans lorsqu'à l'évidence il esquive...A revoir. Et merci.

Par felix d, le 22/06/2015 à 15h30

J'aime plutôt le fait de "s'effacer" en écoutant les réponses de l'invité, alors que dans les média tant d'intervieweuses (vieweurs) n'écoutent pas ces réponses et piaffent d'impatience de couper la parole à l'invité pour poser la question suivante.

Par Moe 13, le 22/06/2015 à 12h55

A Muriel Joudet: Ce n'est pas parce que Brisseau vous impressionne qu'il faut lâcher tout de suite vos questions et vous effacer autant. On dirait que vous cherchez à ne pas le mécontenter ("oui oui bien sûr", "tout à fait", "je comprends" "ce n'est pas moi qui dis ça, c'est ce que certains vous reprochent" etc.) plutôt que d'essayer de conserver le fil du questionnement...peut-être d'ailleurs lâchez vous si vite parce que vos questions sont un peu faciles, s'appuyant sur "ce qu'ont dit les autres" plutôt que sur votre pensée personnelle. Du coup, l'entretien fait dans la complaisance et laisse l'interviewé dérouler des idées qu'on sent toutes prêtes à sortir, préparées, et certainement resservies pour la énième fois. J'avais ressenti la même chose avec Catherine Breillat.
Et le "Mademoiselle" asséné pour vous remettre à votre place de débutante, auquel vous vous contentez de sourire ravie (alors que vous pourriez lui faire sentir le caractère inapproprié de cette interpellation en l'appelant ironiquement "Monsieur" sur le même ton par exemple), ne contribue pas à arranger les choses...

Par benedicte vidaillet, le 22/06/2015 à 00h32

J'ai beau connaître la fin de psychose, la scène finale de psychose me donne toujours des frissons...

Par little jo, le 21/06/2015 à 22h08

Il m'a semblé que Brisseau n'est pas facile en entretien...
Beaucoup de digressions, peu de réponse argumentée lorsqu'il aborde ce cinéma de caste.
Malgré tout un entretien très intéressant.

Par Many Airs, le 21/06/2015 à 20h41

Non mais c'est simple, j'adore ce mec, euh je veux dire ce cinéaste, mais c'est pareil !!! Trop franc, trop bien, trop chouette, trop réaliste, trop vrai, pas mainstream pour un rond, que c'est chouette ! Du coup, Murielle Joudet avec ses questions élitistes et intellectualo-glinglin est complètement décalée. Il est d'une richesse incroyable. Quel personnag ! j'ai adoré. J'adore. Rien que pour cela, je suis contente d'avoir renouvelé mon abonnement à Hors série. Il m'éclate, est d'un drôle incroyable ! "est-ce que le corps d'une actrice est cinégénique....." non mais Murielle, vous pourriez vous mettre au niveau de votre interlocuteur ? c'est à dire : HAUT, très haut et VRAI, juste et il sait ce qu'il veut, ne s'en laisse pas compter comme la bien-pensance. Ne faites pas cette tête Murielle, souriez !

Par Annie HUET, le 21/06/2015 à 19h50

"Brisseau donne l'impression de s'être replié dans le temps de ses idées fixes en dehors de quoi il vous présente une sorte d'absence affable." Pas mieux

Par Olivier Falhun, le 20/06/2015 à 18h16