François Mitterrand, héros de la gauche coloniale
Aux Sources
Thomas Detombe
Ecrire sur Francois Mitterrand n’est pas chose facile. On sait à quel point l’homme est passé maitre dans l’art de se raconter une vie. Jouant habilement des mensonges, des omissions et des mystifications, il a su, au fil de sa longue carrière politique, écrire favorablement sa légende. Il faut dire qu’il a pu compter pour cela sur une presse bienveillante, et des biographes et historiens dont la rigueur et le sérieux laissent à désirer. L’image d’un Mitterrand décolonisateur est un exemple du genre.
A contre-courant de l’historiographie dominante, dans L’Afrique d’abord ! (La Découverte, 2024) Thomas Deltombe nous plonge dans la décennie 1950, moment majeur où le jeune Mitterrand, plusieurs fois ministre, s’érige au contraire en grand défenseur de l’empire colonial francais.
Guidé par une vision géopolitique et systémique, Francois Mitterrand pense le monde à partir des rivalités entre grandes puissances. Hanté par la poussée du communisme, agacé par les manœuvres de ses alliés anglo-saxons, horrifié par les velléités indépendantistes, il considère alors que la consolidation de la présence en Afrique relève d’une question de survie.
En fin stratège, il comprend que le vieux colonialisme, paternaliste, écrasant, est révolu. L’heure a sonné de renouveler les pratiques. Entre les colons intransigeants qui défendent le statu quo et les mouvements de libération qui réclament l’indépendance, Mitterrand dessine une troisième voie, que certains à l’époque qualifient déjà de « néocolonialiste ». Ainsi, loin de l’image de décolonisateur qui lui est souvent associée, les idées et la politique de Mitterrand font plutôt de lui un recolonisateur.
A travers la métaphore de la chaîne et de l’enclos, Thomas Deltombe décrit ce mouvement réformiste comme « une libéralisation factice dont l’objectif est moins la libération des opprimés que l’humanisation de l’oppression : pendant qu’on ouvre la chaine qui entrave les colonisés, on ferme l’enclos qui les maintient dans le champ colonial ». Dans la lignée d’un Albert Camus, Mitterrand se pose en garant d’un humanisme colonial, républicain et universaliste. En cela, il s’inscrit pleinement dans la tradition d’une gauche coloniale et libérale, toujours prompte à dégainer le bâton quand la carotte ne suffit plus.
Tarik BOUAFIA
Commentaires
4 commentaires postés
Triste sire ce Mitterrand qui déjà savait en 81 pour son cancer de la prostate. Merci pour cette éclairage qui permet de compléter le puzzle de cette personnalité difficile à cerner et qui met en avant un ego surdimensionné sans foi ni loi.
Par Maunoir Charbonnel, le 30/09/2024 à 21h06
IL a été évoqué ici ou là, à demi-mots la responsabilité des services spéciaux français, ou plutôt le laisser agir des meurtriers de Thomas Sankara. Mitterrand ne portera jamais formellement la responsabilité de ce meurtre. Sa position à ce moment-là lui évitait de se salir les mains ouvertement.
Hollande, lui a revendiqué officiellement comme président, le meurtre de militants salafistes par l'armée française (de quel droit français pouvait-il se réclamer ?).
Pour faire le lien d'actualité, Bolloré se dégage de l'Afrique sub-saharienne, c'est un signe que la force économique française en Afrique n'a plus le soutien efficace du "bâton" de l'armée française. La clôture du pré-carré est assez gravement endommagée, pour que les "rats quittent le navire". On peut penser ce que l'on veut sur la politique de la France en Afrique depuis 15 ans, mais Bolloré, lui ne s'y trompe pas : c'est mort !
Regardez dernièrement les déclarations de Macron sur le Sahara occidental et le Maroc/US/Israël. C'est clairement un aveu explicite de la fin de la Françafrique et du Franc CFA. Bravo l'artiste ! On en avait rêvé, il l'a fait, mais pourquoi faire ?
C'est pour cela que cet ouvrage de Thomas Deltombe est très utile et tombe à pic pour éclairer sur le temps long les événements auxquels nous sommes en train d'assister. Une page se tourne définitivement et c'est, je le souhaite, une bonne nouvelle pour une humanité plus éclairée. Au-moins, "on" aura les mains moins sales ...
Par Gérard Lebrun, le 29/09/2024 à 13h59
Intéressant , Mitterrand a un successeur qui lui n'a pas de vision du tout! Au Rwanda Mitterrand avait raison , le dictateur actuel est protégé par les USA et pille allègrement le pays voisin en y faisant des centaines de milliers de morts, mais les médias n'en parlent pas car nous sommes devenus des sujets obéissants des USA
En lisant Annie Lacroix-Riz , on sait que les USA ont décidé après la guerre de 14 de mettre la main sur l'Europe et ses colonies , pas pour les libérer mais pour remplacer les impérialismes précédents .Ils y sont parvenus depuis la deuxième guerre mondiale .Mitterrand comme De Gaulle ont tenter de lutter pour maintenir notre impérialisme déclinant en utilisant des méthodes à l'opposé des images que l'on essaye de donner au Monde. Ce combat était perdu d'avance et notre soumission actuelle et notre hypocrisie dans les conflits actuels montre à la majorité des peuples que nous sommes , nous "occidentaux "la lie de l'humanité . Ce qui est remarquable, c'est le degré de vide des personnes qui dirigent le monde occidental.
La france-afrique a cessé d'exister mais le nouvel ordre mondial basé sur l' argent finira par mourir lui aussi.Restera-t-il une planète habitable?L'Histoire avec les archives est la grande oubliée de notre éducation/ elle remettrait trop en cause les mythes qui nous gouvernent ...
Par titou, le 28/09/2024 à 19h44
Bravo pour cet entretien. Je connaissais la perfidie de Mitterrand mais j'ai appris beaucoup sur sa relation néo coloniale avec l'Afrique. Merci!!!
Par François Leroux_1, le 28/09/2024 à 18h08