La parole aux négresses
Aux Sources
Mame-Fatou Niang
On apparente souvent la notion d'intersectionnalité aux écrits de bell hooks et de Kimberlé Williams Crenshaw, dans leurs textes des années 1980 et 1990. Or, si c'est bien Crenshaw qui en a forgé le nom, l'idée et l'analyse qui le sous-tendent sont présents, dès 1978, dans le texte d'Awa Thiam, La parole aux négresses. Donnant la parole à des femmes du Sénégal, de Guinée, du Mali, Thiam analyse leur "triple oppression" ("de par son sexe, de par sa classe, et de par sa race") et décrit sans ambages les cibles de la "course de fond" du féminisme noir (lutte pour l'égalité des droits, contre la polygamie, les mutilations génitales, l'invisibilisation produite par le féminisme blanc...).
Or ce texte si fondateur a été peu et mal édité. L'édition originale en français fut rapidement épuisée et introuvable, et la traduction anglaise produisit, dès son titre, une réduction du propos de Thiam. C'est ce manque que vient combler, 46 ans plus tard, la réédition de La parole aux négresses aux éditions Divergences ainsi que sa nouvelle préface, rédigée par Mame-Fatou Niang, maîtresse de conférence en littérature française et francophone. Dans cette émission, elle nous explique l'histoire complexe de cette réception inaboutie du texte de Thiam, publié mais préfacé en des termes réducteurs et condescendants, diffusé mais jamais réédité alors que l'intérêt pour l'oeuvre ne cessait de croître, traduit mais trahi. Dans cette histoire, on lit le refus de reconnaître la scientificité du texte de Thiam, la volonté de réduire la portée de son texte à l' "Afrique noire", les prétentions du féminisme occidental à l'universalité.
Cette émission est ainsi l'occasion d'entrer dans un texte autant que de questionner les aventures éditoriales qui le font exister ou pas, ou à moitié, ou à contresens, témoignant ici de la persistance des inégalités et discriminations qu'il venait justement critiquer.
Commentaires
6 commentaires postés
Extraordinaire interview de sensibilité , de comprehension, et d'ouverture d'esprit de Jeanne Guien.
Mame-Fatou Niang est precise sur ce theme la notion d'intersectionnalité et les délires de jugement de l'ancien ministre de l'education.
Felicitation pour Hors-Série pour remettre en valeur ce livre qui été originalement intentionnellement mal édité avec condescendence.
Par joseph ibanez, le 21/09/2024 à 20h43
en train de finir le livre du coup
Par Anotyne, le 21/09/2024 à 15h27
Très intéressant, merci !
PS : le mémoire de Mame-Fatou Niang sur "le rire noir" (mentionné notamment dans sa page wikipedia) a-t-il été publié ? Est-il accessible quelque part ?
Par Totorugo, le 14/09/2024 à 15h21
à corriger la faute vivent /"vives"
Par Gérard Lebrun, le 07/09/2024 à 23h53
La notion d'intersectionnalité liée en premier lieu à un contexte local situé ne m'était pas connue avant cet entretien.
C'est assez extraordinaire donc, d'entendre des intellectuels et politiques " dits de gauche " se jeter sur ce terme en flattant l'anti-américanisme de sa supposée origine et importation et en invoquant la "tradition" de Laïcité républicaine de France pour refuser d'en débattre. Je suis un peu naïf, mais c'est fou le nombre de mots, d'expressions que l'"on" peut détourner de leurs sens pour conforter les certitudes de la bourgeoisie. J'ai quand même l'impression que les crispations sont de plus en plus vives en France ces derniers temps. Est-ce un signe précurseur positif ? si c'était vrai ...
Par Gérard Lebrun, le 07/09/2024 à 23h50 ( modifié le 09/09/2024 à 14h13 )
Absolument remarquable ! Gabriel
Par quincieu, le 07/09/2024 à 17h52