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Vigilante : une histoire de la justice sauvage à Hollywood

Dans Le Film

Yal Sadat

Evoquant son film, Un justicier dans la ville (Death Wish, 1974), le cinéaste britannique Michael Winner avait ses mots : "Dans un monde toujours plus opulent, la recherche du confort, ou simplement d'un toit pour s'abriter, toutes ces ambitions pour lesquelles les individus ont oeuvré à travers l'histoire, ont disparu. Les quêtes deviennent ridicules parce que les véritables objectifs ont disparu sans être remplacés par d'autres qui soient valables, du moins, ils ne l'ont pas été dans mes films. Vous ne pouvez pas vous affranchir de cette situation. Le seul film qui a prouvé le contraire est Un justicier dans la ville. Car Paul Kersey [son héros] s'est bien affranchi, à l'intérieur même de la société, et il s'en est trouvé heureux.

Voilà sans doute, ce qui pourrait être la jouissance secrète, ensevelie dans le vigilante movie, tel qu'on la retrouve analysée par notre invité Yal Sadat, docteur en cinéma, critique, qui a publié il y a quelques mois "Vigilante - la justice sauvage à Hollywood" (éditions Façonnage). Un genre qui a connu son âge d'or durant les années 70, à Hollywood, et qui est la rémanence mélancolique d'un autre : bien que les conditions de possibilités du western aient disparu, bien que la conquête de l'Ouest soit devenue un chromo digéré par la télévision, que le pays soit désormais "civilisé" et urbanisé, le vigilante tente de remonter le temps, de renouer avec une vieille idée de l'action, de l'espace et de la justice dispensée par un seul homme à l'intérieur d'un territoire sauvage, encore vierge de tout cadre légal.

C'est ce mythe-là, celui de la frontier justice, que tente de raviver le vigilante, mais dans une époque qui ne s'y prête plus et à l'intérieur d'un espace méconnaissable : celui des grandes mégalopoles saturées et indéchiffrables. C'est le Travis Bickle de Taxi Driver, l'Inspecteur Harry de Don Siegel, Charles Bronson chez Michael Winner, mais aussi Joe de John Avildsen, les héros de Paul Schrader... Tous ont en commun une certaine obsession qui pourrait se formuler ainsi : nettoyer la ville, faire régner l'ordre, sauver la fille, rôder la nuit pour faire le boulot que ne fait pas la police. Ou, pour prolonger le propos de Michael Winner : ces héros tentent, quitte à prendre le risque de l'égarement ou de l'auto-destruction, de retrouver une certaine ivresse de l'action, de se "shooter" à l'action, dans un monde qui les dépossède de leur capacité d'agir et de leurs idéaux.

Il y a eu, dès ses débuts, une mécompréhension du genre que le livre de Yal Sadat clarifie une bonne fois pour toutes : le regard du vigilante et celui des cinéastes ne se croisent pas. Analyses et extraits à l'appui, notre invité nous prouve que la figure du vigilante est passionnante pour le cinéma parce qu'elle est intimement lié à l'idée de spectacle (on venge parce qu'on a vu d'autres venger...), et relève d'un défi de mise en scène. L'auto-justice à Hollywood, circonscrite à cette période particulière, remue une zone grise, un gouffre d'ambiguité morale, déplie un espace mental, celui de héros malades : c'est d'abord ça, et pas autre chose, qui intéresse les grands films du genre.

Si le genre se restreint à une décennie, le spectacle de la justice a infusé toute la culture populaire : les films de super-héros, la télévision ("trial by media"), internet, jusqu'au réel lui-même (Trump évoquant Death Wish à la suite d'une fusillade dans une école)... Autant de manifestations qui prouvent que le vigilante movie, à la suite du western, déploie une idée du spectacle toujours aussi pertinente et vivace, et qu'on résumera par les mots de Victor Hugo : l'action aussi a ses moments de rêve.

Murielle JOUDET

Dans Le Film , émission publiée le 29/10/2022
Durée de l'émission : 104 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

2 commentaires postés

Bonjour,
Puis-je avoir la liste des films cités ?
Merci d’avance
René Bouvier

Par René Bouvier_1, le 27/11/2022 à 18h10

Entretien passionnant, merci !
Je n'aurais jamais pensé au parallèle entre la figure de l'architecte de Fountainhead et de Death Wish.

Concernant l'éclairage sur le fait que la justice n'est pas cinématographique, et cette idée d'un passage à l'action plus rapide (et efficace) du vigilante, qui se pense comme le bras armé d'une justice défini par lui-même, provoqués par une nécessité d'accélérer la narration au cinéma - ne peut-on penser que cette accélération ait par retour de bâton une influence sur nos mentalités (réclamer une justice expéditive, comme on a pu le voir très récemment sur diverses chaînes de télé) ? De même d'ailleurs que, comme le dit Yal Sadat, le 2e amendement s'est trouvé renforcé par le spectacle du western tel qu'on le voit dans le film de Winner.

Par catatonicgoat, le 06/11/2022 à 17h30