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Comment s'occuper un dimanche d'élection

Dans le Texte

François Bégaudeau

(Émission conçue et animée par Louisa Yousfi) 

Ça commence par un mea culpa. Lors d’une émission précédente – consacrée à la candidature de Jean-Luc Mélenchon – j’ai mentionné le dernier essai de François Bégaudeau, Comment s’occuper un dimanche d’élection (Divergence, 2022), en délivrant une information qui aurait dû pourtant retenir mon élan : je n’avais pas lu le livre. Mes invités ne l’avaient pas lu non plus, mais l’objet autour duquel je les invitais à se positionner semblait identifié. Publier un livre qui prône l’abstention à l’heure où Marine Le Pen est à un pouce du pouvoir, et où la proposition de l’Union populaire engage une dynamique historique autour de laquelle s’agrégent les nombreuses luttes qui ont marqué ce quinquennat désastreux, voilà qui avait de quoi nous agacer vertement. « Irresponsable », « bourgeois », « dandy », tels étaient les mots d’oiseaux que nous réservions à l’incriminé.


Dans la rubrique « commentaires » de l'émission, certains d’entre vous se sont émus de la chose. François Begaudeau, lui-même : « Comment une littéraire comme vous, qui lisez Cadiot et publiez vous-même, peut mentionner dans son émission un livre qu'elle n'a pas lu ? » Arf. Inutile de s’en défendre, c’était bien une bourde. Une bourde dont il n’était pas question à Hors-Série de s’accommoder, guidés par un certain souci de l’intégrité.

En guise de « réparation », j’ai donc convié François Bégaudeau à venir discuter de ce fameux livre désormais bien lu. Première remarque : il y avait, en effet, injustice. Le livre ne « prône » pas l’abstention. Il s’ouvre même sur un pré-requis très explicite : le vote ne signifie rien… comme le non-vote. Ces deux positions sont piégées dans un dialogue de sourds, tournant en vase clos au sein d’un dispositif électoral vicié en son fondement. Dès lors, si l’écrivain avoue personnellement ne pas voter, c’est moins pour composer un manifeste abstentionniste que pour impulser une réflexion libre sur le système électoral qui ruine tout espoir quant à ses prétentions politiques – si tant est que cet espoir existe. « J’ai l’abstention molle », écrit François Begaudeau. Mais l’aveu ainsi fait, la démonstration qui se propose de saisir les soubassements structurels de ce haussement d’épaule se redonne des os. « Voter, c’est abdiquer », écrivait le penseur anar Élisée Reclus et c’est finalement sous cette radicale égide que nous sommes invités à regarder en face le terrible verdict : l’espace électoral serait ainsi fait que rien de ce que s’y produit ne peut prétendre à la noble qualification de « politique ». La politique, ce ne serait pas ça. Précisément pas ça. Ce serait ailleurs. Dans la rue, par exemple. Mais si ceux qui font la rue, qui font les luttes, estiment eux-mêmes que le vote est un champ tactique – pas plus, pas moins – à investir contre la catastrophe qui vient ? Si ceux qui ne fétichisent pas le vote et ont eux-mêmes une très haute idée de la politique appellent à voter, faisant primer l’urgence conjoncturelle sur leurs convictions idéologiques ? Ils abdiquent aussi ? Le pouvoir s'en porterait-il moins bien si on cessait de participer à la mascarade ? Marine Le Pen au pouvoir, aurons-nous encore le luxe d'adosser toutes nos décisions à des considérations idéologiques ? 

Ah voilà, le mot "luxe" est jeté. C'était inévitable. C’est toujours à ce stade de la conversation que le militant finit par renvoyer l’écrivain à lui-même et à son confort tout personnel, tout "social". Il faut bien se figurer le problème. Le premier qui consacre tous ses efforts à "faire gagner" ses convictions en les inscrivant dans le réel des luttes – c'est-à-dire en les "salissant" un peu – se voit reprocher un manque de cohérence idéologique par le second qui semble se contenter seulement de les « avoir », ces convictions. Pire, qui s’en saisit comme d’une occasion pour faire retentir son talent, pour accroître sa puissance littéraire, sa joie d’esthète. Les noms d’oiseaux piaffent à nouveau. Pour qui il se prend celui-là ? Pour un écrivain justement, répond François Bégaudeau, à la fin de l’émission. C’est le point « littérature et extrême-gauche », le point qui fâche et qui mériterait bien des heures de discussion – à condition bien entendu que l'issue du prochain dimanche d'élection nous autorise encore des dimanches. 

Louisa YOUSFI

Dans le Texte , émission publiée le 16/04/2022
Durée de l'émission : 78 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

39 commentaires postés

J'aimerais signaler que Mélenchon a évoqué à plusieurs reprises au cours de ses discours de campagne le droit à la paresse et la nécessité vitale aussi de ne rien faire, ce fut même le point d'orgue de deux de ses réunions publiques. C'est de mon point de vue une position qui a pu être un repoussoir politique tant tout le monde ne cesse de parler du travail.

Par Johnny Hardy, le 27/06/2022 à 18h27

Bravo Louisa : il y a des fois où il ne faut pas laisser l'interviewé tranquille et ne pas hésiter à le bousculer un peu dans le confort de sa posture, et là, c'était exactement ce qu'il fallait faire.

Par Alexandra, le 26/06/2022 à 15h13 ( modifié le 26/06/2022 à 15h14 )

Petit carton jaune (voire orange) pour le camarade Bégaudeau sur l'histoire des militants de gauche "utilitaristes" qu'il associe un peu hâtivement à des libéraux. Il me semble qu'on cherche toujours "un certaine utilité" à ce qu'on fait, mais ce n'est pas forcément quelque chose de quantifiable comme un gain financier sonnant et trébuchant ! D'ailleurs même lui quand il parle de geste pour le goût du geste ou un truc dans le genre, il associe une certaine satisfaction à ce geste. Pourquoi les autres militants de gauche, eux, ne pourraient pas, pourquoi est-ce qu'ils devraient avoir en tête la même satisfaction que la sienne...?
A part en arrivant à une espèce de réflexion philosophique qui voudrait que du coup tous nos choix sont un peu utilitaristes et que le seul vrai choix c'est le choix fait sans raison, genre Neo à la la fin de Matrix, qu'est-ce que ça nous dit en vrai ? En quoi est-ce que le fait de chercher les outils qui nous servent pour arriver à la conclusion qui nous plaît est un problème en soi, et en quoi est-ce la même chose que la recherche maximale du profit financier ?? François, à dire vrai, je comprends pas...

Au-delà de ça, j'ai aussi du mal à comprendre la critique faite à Bégaudeau en forme de "vous dites des choses qui sont évidentes pour tous les militants de gauche" d'un côté et "vous êtes dangereux de l'autre" de l'autre... Faudrait un peu savoir. Perso je suis assez d'accord qu'il y a surinvestissement en période électorale et que c'est absolument faux de prétendre que tout le monde a clairement en tête que ce n'est qu'un outil somme toute secondaire. Les gens se disent ça mais ne réagissent pas comme ça et perso la désillusion (potentiellement démobilisatrice), je l'ai perçue. Dans la division du travail militant, il me semble clair que les anarchistes servent à aiguillonner les autres militants de gauche, et historiquement je dirais que c'est EXTREMEMENT UTILE ET NECESSAIRE. A mon humble avis du moins...

Par Pierre Hosteins, le 05/06/2022 à 16h08

Heu. Merci François Bégaudeau pour ton authenticité, je te découvre et tu me plais !
Note pour plus tard : Il est dangereux de réveiller un somnambule.

Par Power Pop, le 26/04/2022 à 22h04 ( modifié le 26/04/2022 à 22h17 )

Il me semble que les fortes émotions qui saisissent la présentatrice et le caméraman viennent du fait que François par son analyse matérialiste et affective les privent d’une croyance, d’un doudou, de la flamme interne qui les rassurait, permettait d’orienter et de nourrir leurs actions politiques et militantes. Ramenés brutalement à un vide, il se tourne avec colère et/ou agacement vers François pour lui demander de le combler avec des phrases que l’on retrouve beaucoup chez les critiques de Lordon « maintenant on fait quoi ? ». Sauf qu’à mon sens les critiques se trompent sur la place que peuvent occuper François ou Frédéric dans la division du travail, ils analysent et cartographient le terrain et certains leur demandent de définir un chemin. C’est un peu comme si on demandait à un vulcanologue non seulement de prédire les éruptions volcaniques mais aussi de concevoir la ville pour y résister.

Par David Desconnet, le 26/04/2022 à 13h21 ( modifié le 26/04/2022 à 13h22 )

Sur la question du vote il me semble qu’il y a dans notre camp une hystérisation de la question qui met souvent les personnes qui en discutent soit dans une posture accusatrice ou défensive de justification. Le geste de François est pour moi un geste saint de clarté pour analyser et se détacher un peu de l’émotion. Il me semble que la reproduction d’un second tour non voulu par une écrasante majorité des citoyens devrait nous faire nous interroger sur le mode de scrutin, les règles du jeu électoral, nos propres stratégies/actions plutôt que sur la recherche de coupables. Pour les uns ce sera les abstentionnistes, pour les autres les électeurs de Roussel, Artaud, Poutou, pour d’autres le « méchant » Bégaudeau qui soit disant a prôné l’abstention. Soyons sérieux 2 minutes, sont livres a été lu par combien de personnes ? Combien de personnes ont « basculé » dans l’abstention après avoir lu ce livre ? Pour régulièrement m’abstenir et connaître d’autres personnes qui le font également, la plupart ne s’informent pas sur la politique (souvent elles font une équivalence politique : élection) qui n’est pas un sujet pour elles, elles ont tranché pour un moment que ce n’est pas par ce moyen qu’elles amélioreront leurs vies.
Votre attitude face au vote me rappelle mon enfance quand ma mère m’obligeait à aller à la messe et que j’observais sidéré que dans l’Eglise Catholique, avoir la bonne croyance, se soumettre aux bons dogmes était plus important que la quête spirituelle, la recherche d’une vie Bonne (pour nous).
Voter et voter pour le bon candidat seraient des pré-requis pour ne pas être exclu de la communauté de gauche/gauche radicale ?
Pour clarifier, mes remarques sont amicales, j’aime beaucoup votre chaîne mais je trouve parfois que mes camarades sont un peu dogmatiques sur certains points. Pour penser et faire de la prospective mettons les jugements moraux et partisans de côté, ils ne sont utiles que quand on doit décider et agir.
Amicalement,
David

Par David Desconnet, le 26/04/2022 à 08h47 ( modifié le 26/04/2022 à 09h15 )

Emission étonnante et dérangeante : cela détonne tellement des "petites conversations entre ami.es" qui sont sur le site d'habitude !
J'aime beaucoup les émissions hors-séries mais celle là ! vraiment bravo ! il faut plus souvent inviter des gens avec qui vous n'êtes pas d'accord, ça réveille ;-) et ça déstabilise...
Quand on voit que manifestement Bégaudau est presque vexé de votre appréciation sur sa position, on est dérangé à sa place et quand il répond en s'en sortant correctement ça fait tellement du bien...
C'est autre chose que les auto-satisfecits des émissions de d'habitude.

Par ptorset, le 25/04/2022 à 23h28

À 49', Luisa dit "De cette grande idée, vous n'en faites rien. Vous restez là et puis... on attend. Je sais pas ce qu'on attend mais on attend".
Très juste, d'ailleurs c'est marqué dans son nom. Be-Godot. Soyez l'attente.

(blague à part, entretien passionnant, merci).

Par Totorugo, le 25/04/2022 à 11h33

Merci pour cet entretien

Par Foucauld Giuliani, le 23/04/2022 à 16h51 ( modifié le 23/04/2022 à 16h52 )

Merci pour cet entretien. F.Bégaudeau est toujours intéressant à écouter. Merci aussi à Louisa Yousfi d'avoir mené cet entretien sans concession. C'était presque trop court. A noter que le dernier roman de Bégaudeau "Ma cruauté" est un petit bijou.

Par nicolas jacon, le 21/04/2022 à 15h33

Ce que je trouve bizarre avec le discours de Bégeaudeau c'est qu'à 400 000 voix près il ne semble plus valable, en gros il n'as raison que parcequ'on a perdu, ce qui n'étais pas joué d'avance. Ou alors je ne comprend rien à ce qu'il dit ;) Mais il est pas facile à suivre.

Par guillaume raynaut, le 20/04/2022 à 15h45

Quelques objections très concrètes n'ont pas trouvé de réponses : l'accueil des Afghans est mentionné comme un exemple de "vraie politique" par FB, par opposition au vote ; mais si l'on s'accorde à dire qu'il n'est pas absurde de penser que le programme de l'union populaire aurait pu l'emporter (à quelques centaines de milliers de voix près), comment ne pas voir ce que cela change pour l'accueil des Afghans ?
Comment FB peut-il affirmer que les élections ne servent qu'à reproduire l'ordre existant ? Quid de 36 ? L'élection de Blum a bien sûr produit de l'effet grâce à la grève générale qui s'est ensuivie, mais pourquoi réduire cette variable à zéro ? On pourrait même parler de 81 dont la gauche ne retient plus que la trahison, mais la réduction du temps de travail, ce n'est pas rien, et FB semble d'ailleurs y accorder de l'importance...
L'impression que ça me laisse, c'est qu'une juste critique de l'élection comme seul horizon politique est pervertie (la critique, pas l'élection) par une pensée hors-sol qui s'amuse à la dénigrer (l'élection, pas la critique), ce que l'on peut certes faire en théorie (l'élection est une dépossession, etc.) hors de toute considération stratégique ancrée dans le présent. Louisa Yousfi le rappelle très bien en début d'entretien quand elle dit que le livre a une élection de retard : en 2017, c'était perdu d'avance. On ne pouvait pas en dire autant en 2022. Pourquoi ne pas s'en saisir, **en plus** des luttes sociales ? Eh bien j'ai pas compris pourquoi.

Par Yalle, le 20/04/2022 à 00h05

https://blog.mondediplo.net/fraude-electorale

Une certaine concordance de pensée...

Par Astrée, le 20/04/2022 à 00h02

C est toujours intéressant d'entendre François il y a toujours des fenêtres qui s'ouvrent et il en restera toujours quelque chose.Quand la politique élection piège à cons bégaye je me désole mais quand François reprend à la racine la mécanique de cette institution de police,je me console. Cette entretien est atypique, sincère, pointe les perceptions ambiguës différentes de Louisa. En tous cas il y a du respect (entre écrivains ?) et c'est bon ça.
Un grand moment perso quand François "...nous foutons rien et on vous emmerde..." ce capitalisme, peine à jouir, qui nous vole notre temps en nous assénant "travailler plus pour gagner plus"... Merci à vous deux pour ce moment hors temps, hors-champ.

Par Maunoir Charbonnel, le 19/04/2022 à 22h54

Haute voltige chez FB. Merci à Louisa Yousfi de lui avoir donné un droit de réponse. FB est très en avance sur son époque. Un jour il sera reconnu à sa juste valeur au lieu d’être qualifié de dandy et de bourgeois. Faut-il rappeler que Marx lui-même était un bourgeois ! Quand même !

A quand une invitation de Hors Série pour Notre Joie? Ça manque quand même !

Par Jami La, le 19/04/2022 à 22h27 ( modifié le 19/04/2022 à 22h29 )

Haute voltige chez FB. Merci à Louisa Yousfi de lui avoir donné un droit de réponse. FB est très en avance sur son époque. Un jour il sera reconnu à sa juste valeur au lieu d’être qualifié de dandy et de bourgeois. Faut-il rappeler que Marx lui-même était un bourgeois ! Quand même

Par Jami La, le 19/04/2022 à 22h26

Haute voltige chez FB. Merry à Louisa Yousfi de lui avoir donné un droit de réponse. FB est très en avance sur son époque. Un jour il sera reconnu à sa juste valeur au lieu d’être qualifié de dandy et de bourgeois. Faut-il rappeler que Marx lui-même était un bourgeois ! Quand même

Par Jami La, le 19/04/2022 à 22h26

Haute voltige chez FB. Merry à Louisa Yousfi de lui avoir donné un droit de réponse. FB est très en avance sur son époque. Un jour il sera reconnu à sa juste valeur au lieu d’être qualifié de dandy et de bourgeois. Faut-il rappeler que Marx lui-même était un bourgeois ! Quand même

Par Jami La, le 19/04/2022 à 22h26

D’accord c’est intéressant de discuter dans l’abstrait du cas général (« élections pièges à cons » etc.), mais attention : le sujet principal doit rester le concret de l’élection en cours, posée comme très dangereuse en présence du fascisateur et de la fasciste !
Quoi qu’il arrive le 24 avril prochain, François Bégaudeau ne court aucun danger, d’être expulsé par exemple. Ça lui donnait bien le droit de croquer dans une « pêche » (ahah) au lieu de voter au premier tour ? C’est une question. Je plaisante.
C’est en effet l’ordre bourgeois de la Troisième République qui a sacralisé l’élection au suffrage universel (masculin) instauré en 1848 après la répression de la Commune de 1871 « pour mieux conjurer la capacité d’agir du peuple », en lui donnant « un semblant d’expression » comme l’expose FB à la 25e minute de l’émission.
Mais en 1848 l’élection n’était pas pensée ainsi (cf. par exemple *Le procès de la liberté* de Michèle Riot-Sarcey page 39 : « D’un point de vue révolutionnaire [pour les insurgés de 1848], l’élection au suffrage dit universel, essentiel certes, n’est qu’un complément aux autres formes d’expression de la souveraineté »).
Le premier tour est passé. Pour moi le résultat est bon à prendre malgré la défaite. Encore un effort et la fasciste ne passera pas, je suppose que François Bégaudeau préfère ça.
Merci à Louisa Yousfi.

Par AJV, le 19/04/2022 à 22h02

Moi aussi, je l'adore. Son oeuvre est très cohérente. Il prend au sérieux l'idée de démocratie, c'est-à-dire d'égalité politique. Pour lui, la politique est l'affaire de tout le monde, de préférence n'importe qui. Partant de là, élire, soit désigner une élite qui aurait des capacités supérieures, est antidémocratique. C'est de la philosophie anarchiste classique. Et il n'est pas nouveau que les anarchistes n'ont jamais été très aimés.
Par ailleurs, sa démonstration, contrairement à ce que je lis ici, est très matérialiste. Il se base sur des faits : le suffrage universel a été instauré pour établir l'ordre (il me semble en effet en 1848 par Napoléon III comme un plébiscite en sa faveur), l'électeur est isolé alors que la gauche cherche à rassembler, la campagne électorale est un concours de virilisme à coup de drapeaux français et de recherche du chef ne favorisant pas les affects émancipateurs, d'ailleurs cela n'a jamais conduit une femme à être élue, et quand une femme s'en approche c'est une femme viriliste autoritaire... Voilà, c'est factuel.
Et pour finir, il dit de très belles choses d'écrivain : les livres ne servent à rien, c'est pour ça qu'ils sont indispensables. Se priver de réfléchir sur tout ça serait bien dommage.

Par Benoit987, le 19/04/2022 à 08h51

Je ne peux pas faire autrement que d‘aimer Bégaudeau. Contrairement à ce qui lui est reproché en sous-texte, je le perçois comme absolument authentique et sincère. Merci pour ce bel entretien!

Par Anne-Sophie Lanier, le 18/04/2022 à 19h30

j'ai arrête au début lorsque que FB explique qu'il aurait pu dire qu'il votait Mélenchon et que personne n'aurait pu vérifier s'il votait vraiment Mélenchon. Si ce monsieur qui parait-il a écrit un livre sur le sujet ne voit pas la différence entre appeler à voter pour X ou Y et voter effectivement pour X ou Y ça ne me donne ni envie d'écouter la suite des explications ni de lire son livre

Par monique A, le 18/04/2022 à 15h14

L'entretien est assez rude, parce qu'on sent vraiment qu'on a invité l'auteur pour lui faire un procès à charge, au-delà d'une calme exigence intellectuelle et esthétique à l'égard de son ouvrage (ça tranche singulièrement avec les dernières émissions, ouvertement conniventes,
au risque de l'ennui parfois pour moi)... Jusqu'à cette interpellation facon commissaire politique -pardon elle m'a sidérée par son agressivité ridicule- d'un technicien hors champ, anonyme, réclamant quasiment le tampon certifiant la visite aux Afghans de Pantin ou à un quelconque collectif le jour du vote ! A croire que les lecteurs d'un tel livre sont des enfants idiots qu'il faudrait déciller...
Donc non, je n'ai pas pris du tout la fin de l'ouvrage pour de l'ironie, ni mes amis de 22 à 65 ans votants et non votants qui l'ont lu, et pour autant l'idée ne me viendrait jamais de réclamer à l'auteur son certificat de bonne conduite le jour J.
Tous les romans et même essais de François Bégaudeau se terminent par une trouée poétique au cœur même du réel dont l'élan galvanisateur nous met à chaque fois, lecteurs qui aimons aussi la littérature, le coeur en joie. Je suis sincère en le disant. J'ai d'ailleurs ressenti la même exacte chose en lisant Rester barbare, non réductible à son bel argumentaire singulier mais précieux aussi comme objet littéraire. Ou en lisant régulièrement Nathalie Quintane...

Donc, non, je n'attends pas non plus, comme Louisa le prête aux lecteurs concernés, qu'une critique argumentée et serrée du moment "politique" particulier qu'est l'élection doive absolument proposer en échange LA solution magique pour changer le monde et ne pas désespérer Billancourt.
Je n'ai pas constaté non plus que la plupart des amis ou connaissances que j'ai vu aller voter LFI dimanche dernier ont accueilli le cœur léger et blasé par l'expérience les résultats du soir. Ils ont été affectés pour la plupart, dès lors qu'ils avaient un minimum chargé leur geste d'un espoir à nouveau tristement déçu.

Mais il se trouve que Louisa Yousfi sait aussi écouter, questionner, et laisser parler ses invités. C'est pour ça qu'on aime Hors-Série, émission qui fait assez confiance à ses abonnés pour ne pas leur dicter leur conduite. Qui parie sur une égale intelligence de l'intervieweur, l'interviewé et l'auditeur au-delà d'une stricte action militante (que je ne méprise par ailleurs en rien). Alors, malgré sa tension encombrée et encombrante, les petits sourires en coin fatigants sur la condition sociale personnelle de l'individu questionné (le faites-vous face à Lordon ou Rancière par exemple ?), j'ai trouvé que l'entretien souvent décollait et nous donnait bien à penser. Enfin et malgré tout. Grâce notamment au calme de l'interviewé, son humour à l'occasion, merci à lui pour ça, et à la curiosité intellectuelle fondamentale de l'intervieweuse, la plus belle à mes yeux de ses qualités dans l'exercice. Merci à elle aussi donc. Hâte de vous lire à nouveau tous les deux.

Par Astrée, le 18/04/2022 à 13h18 ( modifié le 18/04/2022 à 15h43 )

Bonjour,
Merci pour cette émission, j'ai beaucoup aimé l'approche de Louisa Yousfi, sa ténacité et sa franchise, même si je partage les choix de François Begaudeau.
Je voulais aussi remercier Richard Zemour qui, grâce à son commentaire, m'a fait découvrir un très beau vers de René Char. Je tenais à lui signaler que je suis partie de ce vers dans la dernière note de mon blog Sarga pour prolonger la réflexion.

Par Maud Assila, le 18/04/2022 à 06h28 ( modifié le 18/04/2022 à 08h00 )

Pause à mi-parcours : je ne comprends pas pourquoi Bégaudeau interprète le suffrage universel comme conjuration du peuple agissant de la Commune (1871) ; le suffrage universel (masculin) est adopté dès 1848 (et d'ailleurs tout à fait dans l'idée, si j'ai bien compris, de "désarmer" le peuple). J'aurais apprécié une clarification sur ce point : pourquoi percevoir comme une réponse à la Commune une disposition électorale qui lui est antérieure de plusieurs décennies ?

Par Judith, le 17/04/2022 à 18h44 ( modifié le 17/04/2022 à 20h25 )

Excellent, merci pour cette émission !

Par Cyril Hoet, le 17/04/2022 à 13h21

Je vois bien volontiers comment les propos de l’auteur offrent une voie de salut aux émotions douloureuses du vote. J’y suis allé au premier tour - en ayant entendu cette analyse sur le signifiant vide du vote qui n’est pas le lieu de la politique. Et me doutant que Mélenchon ne passerait pas, me rappeler de ces propos apaisait un peu ma tension dimanche dernier. Au fond, quitte à désespérer de la violence et de la fascisation en cours, il ne s’agissait pas d’investir l’élection présidentielle seule de ma déception à venir, car c’est un monde et ses rouages qui déçoivent, pas une journée à elle seule. Moi en tout cas ces propos m’ont permis de canaliser ma déception mais pas pour autant de devenir abstentionniste.

c’est de cet apaisement des passions tristes que Louisa Yousfi doute : il y a tout lieu a croire que ces passions ont droit de citer quand on est dans le camp des engagés pour que ça - quelque chose - change. Et ces émotions feraient mieux de citer d’ailleurs. Je la rejoins en un sens. Ce n’est pas parce que McDonalds est une entreprise terriblement capitaliste et nocive que si j’y bouffe malgré moi par obligation quinquennale je serai pas en droit d’être énervé qu’on me serve encore un burger froid et des frites sèches. On préférerait que ça ait plus de goût et que ce soit autre chose surtout quand on se bat sur le terrain de l’alimentation saine à longueur de journée.

Mais ce qui m’a marqué, c’est la fin de l’interview. La toute fin. Begaudeau n’a pas semblé initier de remise en cause particulière de son propos jusqu’au bout et ce faisant n’offrait pas il me semble dans son attitude matière à réfléchir avec. Il déroulait. Les questions posées ont permis de dérouler son propos et j’aime Hors Serie précisément pour cela. Mais j’avais le sentiment qu’il n’y avait pas de dialogue comme ce peut parfois être le cas. Louisa a fermé l’entretien - je dirais sèchement un peu, pour arrêter là l’affaire. Peut être je me trompe? Mais cela a jeté un doute chez moi sur le bonhomme et sa recherche de la vérité. S’agit il de réfléchir ensemble ou bien de faire un peu son malin quand même d’abord?
En tout cas, des malins comme ça, ça fait réfléchir, (même si quand ça fait des blagues sexistes de bas étage sur des forums internet, ça me fait pas les apprécier plus que ça de prime abord)

Par Olivier Percevaut, le 17/04/2022 à 09h46

Essentiel : un livre un film ne peut pas être reçu comme un éternel objet de spéculation sur celui où celle qui écrit ou réalise .Et il me semble qu ‘effectivement là est le point de déchirure entre l’objet «  froid «  qu’est un livre ou un film et l’affect indispensable de celui ou celle qui le reçoit .
Autre question : est- ce que ça peut aider à penser .Et là nous y sommes ‘ Et tout le cheminement de l’acte d’ecrire de réaliser de peindre ou de sculpter: est- ce que ça peut aider à penser?
Et oui Louisa Yousfi est absolument remarquable et ces deux mots peuvent sortir du pleonasme . Cette remarquable créatrice de débats a su absolument dénouer les fils de la création .
Et je suis heureuse que le débat porte sur cette si énigmatique création
Françoise Bortolan ( abonnée)

Par Francoise Bortolan, le 17/04/2022 à 09h13

On sent Louisa très énervée par le livre de Bégaudeau et cela nuit je crois à la finesse de son analyse, elle a du mal à trouver les mots alors que Bégaudeau en face est un sniper, surtout quand il se sent attaqué. J’ai toujours apprécié le souci de justesse et le scalpel chirurgical de Bégaudeau mais je crois que son aisance oratoire et le fait de ne jamais trouver en face quelqu’un qui sache réellement lui tenir tête l’empêche de plus en plus de se remettre en question. Il parle par exemple de « morbidité au travail », d’« étrange goût de la défaite » chez les gens de gauche qui « aiment bien perdre » : je trouve ça non seulement inexact mais surtout insultant. Les pleurs, le désespoir post-défaite électorale ne sont pas dus à une forme de névrose ni de fétichisation du vote et du système représentatif, mais au deuil soudain et répété que nous devons faire d’une autre orientation politique possible au pouvoir, pour laquelle nous avons lutté. Si nous nous soumettons à ce traumatisme répété, ce n’est pas par masochisme, mais parce que nous considérons que le vote est un outil, un complément, pour définir un cadre (normatif et philosophique) favorable et nécessaire à la survie de cet archipel d’initiatives que Bégaudeau qualifie de « politiques » à proprement parler. Alors clairement, le vote n’est pas tout, mais il n’est pas rien non plus, et on conseillerait presque à Bégaudeau un stage pratique en Lepennie pour s’en convaincre.

Par Anna Mahé, le 17/04/2022 à 05h47

Je peux souffler à François un autre type de manifestation pour le second tour (moins dangereux que la manif de rue) : glisser un bulletin Jean-Luc Mélenchon dans l'enveloppe pour découvrir, avec des journalistes conviés au dépouillement, l'effet provoqué chez les acteurs du bureau de vote qui rencontreront beaucoup de difficultés à agrafer les bulletins du vote nul sur l'enveloppe de chaque table de dépouillement ;-)

Par jacques soyer, le 17/04/2022 à 00h14 ( modifié le 17/04/2022 à 00h15 )

François Begaudeau est un écrivain qui écrit pour le plaisir, son plaisir, et il se trouve que cela declenche celui de pas mal de ses lecteurs et lectrices. Et c'est bien suffisant. Je rêve d'un entretien entre lui et Henri
Laborit. Peut être l'écrira t il un jour?

Par damien Astier, le 16/04/2022 à 22h34

Tout d'abord, c'est le meilleur entretien mené par Louisa Yousfi qui elle a les pieds sur terre.Je n'ai pas lu le dernier livre de B, son avant dernier m'a suffit. . L'anarchiste est surtout devenu un petit-bourgeois avec toute la médiocrité qui s'ensuit.
J' ai eu la chance de vivre mai 81 et de sentir cet espoir parmi les rejetés. Les classes bourgeoises étaient terrées chez elles , attendant sans doute les chars russes! Bon , cela n'a pas duré...cela reste un des moments les plus forts de ma vie de votant!
Begaudeau est devenu quelqu'un qui se masturbe les neurones joliment , mais qui ne fait rien pour défendre les idées auxquelles il croit. Il est devenu un dandy parasite efféminé qui se complait dans sa petite vie médiocre: pour moi les petits-bourgeois surtout les parvenus comme lui sont tout sauf un modèle.Il faudrait lui rappeler que l'on peut savoir si vous avez voter ou non , il suffit de voir les registres de vote.Les petites actions de "colibri" ne sont pas inutiles mais ne change rien au système ,mais voter est aussi une forme d'action.
Très déçu que ce monsieur n'ait pas compris que cette échéance était importante: la haine de micron va peut-être dépasser la haine du fn , ce n'est pas son problème.Je ne suis pas dépressif depuis dimanche, mais depuis le début de la guerre en Europe de l'Est où nos gouvernants soutiennent déjà les nazis et ce depuis fort longtemps.Les nazis n'ont jamais dérangé les petits -bourgeois racistes. La médiocrité de la petite bourgeoisie intellectuelle en matière de géopolitique est abyssale, même JLM n'est pas épargné.Notre "monde" occidental fonce dans le mur en klaxonnant avec sa croissance infinie.
Voila quelques réflexions amères d'un militant qui passe la moitié de son temps à essayer de faire entendre une voix alternative partout où il le peut et qui est allé voter parce que toutes les options de changement sont bonnes à prendre dans ce monde .Et gratuitement en plus , parce que la lutte permet de rester en vie pour et avec les autres.La commune : belle expérience , au fait avec 70 millions de français, on fait comment?
Encore un grand merci à LY qui elle a du coeur, contrairement à B.

Par titou, le 16/04/2022 à 21h30

À l’issue de cet entretien qui permet d’apprécier la clarté et la subtilité des propos de F.Bégaudeau, et en attendant son futur essai sur l’Art et la Politique, vient à l’esprit ce beau vers de René Char: «  L’ obsession de la moisson et l’indifférence à l’histoire sont les deux extrémités de mon arc » ´

Par Richard ZEMOUR, le 16/04/2022 à 19h06

Begaudaud que j'aime bien par ailleurs se laisse ici beaucoup trop emporter par son penchant théoriciste, largement déterminé par sa position de classe. Car, comme l'avait bien montré Bourdieu, l'intellectuel prend toujours le risque de céder au biais scolastique lorsqu'il cherche à penser le monde social, biais consistant à projeter sur les pratiques, dont les pratiques politiques (comme celle du vote) un rapport théorique à la pratique.

Pour dire les choses plus simplement, j'aimerais dire à M. Begaudaud que pour beaucoup de monde, notamment les quartiers populaires ou les musulmans par exemple, le rapport au vote répondait non pas à des logiques théoriques mais à des logiques tout à fait pratiques qui consistaient à jeter le poids de toutes leurs forces vers des discours qui leur seraient moins hostiles. La politique se construit en grande partie dans les discours, dans les mots et les mots d'ordres. Or, vous semblez sous-estimer les effets politiques des discours politiques, c'est à dire donc leurs aspects pratiques.

Bien-sur qu'il ne faut pas être dupe (merci M. Begaudaud), le vote ne changera pas grand chose aux structures fondamentales de l'ordre existant. Mais entre la révolution et rien, il y a disons 2 ou 3 trucs à faire. Par exemple, savez-vous ce que veut dire que se lever le matin en sachant que vous ne serez pas exposé à la menace de l'insulte du fait de votre nom, de votre couleur de peau, de votre religion, de votre sexe, etc.

Je reconnais c'est pas la Commune mais je vous assure que c'est un rapport pratique au monde qui vous le rend tout de même plus agréable. Et lorsque je parle d'insulte, je ne parle pas nécessairement de l'insulte bête et vulgaire, je parle de toutes celles qui peuvent prendre différentes formes, parfois chics et bienveillantes, et se manifester dans différents endroits de la vie sociale (sur des plateaux de télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, près d’un bar, à un dîner, au cours d’un contrôle de police ou au travail).
Alors, oui, voter peut avoir des incidences tout à fait concrètes pour des millions de gens. En l'occurence, Mélenchon au deuxième tour aurait été l'occasion d'une rupture épistémologique de grande ampleur, imposer à grande échelle un autre langage, une autre manière de penser et problématiser le monde. Ca aurait permis de faire basculer le centre de gravité du champ des discours politiques vers moins de violences et moins d'insultes pour toutes celles et ceux qui ont à les subir au quotidien. Comment interpréter autrement le vote des quartiers populaires ou des musulmans pour Mélenchon?

Je perçois ce qu'il y a de jouissif dans le fait de prendre le soin (et donc le temps, ce bien rare qui permet de s'abstraire des nécessités pratiques) de démonter mécaniquement les fondements mensongers des institutions, à commencer par celle du vote. Je trouve que votre propos a quelque chose du demi-habile de Pascal. Autrement dit, ne croyez pas que les gens sont aussi cons que vous l'imaginez. Votre propos, et votre plaisir à tenir ce genre de propos, ne me semble possible que parce qu'il est relativement protégé des effets pratiques du vote.

Par Hicham Benaissa, le 16/04/2022 à 18h37

Entretien très éclairant ! Je vais le lire . . le "Rester Barbare" de l'invitée Louisa Yousfi. L'interviewer ? . . Hmmr . . François, ô François ! . . Vive la VIe république, pourvu qu'elle advienne avant qu'elle ne s'abstienne !

Par Joël Dézafit, le 16/04/2022 à 18h31

Est-ce que le système bourgeois voulu par Thiers et apprécié par le 10% des français qui soutient la Macronie sera dérangé par l’élection d’un parti fasciste dimanche prochain ?

Par René Zaslawsky, le 16/04/2022 à 16h26

Fantastique échange qui ouvre des visions vertigineuses. Avec des ouvertures sur des sujets de fond : ce qu'est un livre, le droit à l'humour, le droit à la légèreté, le pouvoir ... Merci Louisa !

Par Bernard Guericolas, le 16/04/2022 à 16h10

Je n'ai jamais vu Bégaudeau (que j'apprécie) autant poussé dans ses retranchements. Ils vont tous les deux au fond, se disent les choses... Superbe échange vraiment, deux cerveaux qui ferraillent pour notre plus grand plaisir. Plein de choses à dire, qui me prendraient beaucoup de temps, mais je suis d'accord avec l'idée qu'il critique la trottinette sans proposer d'alternative et donc nous restons sur notre faim.

Par Pascal, le 16/04/2022 à 14h46


oui c'était sympa ! décontractant, un peu surprenant ! vous vous êtes lus mutuellement ! et vous avez exprimé un respect mutuel bravo
Gabriel

Par quincieu, le 16/04/2022 à 14h17