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Rester barbare

Dans le Texte

Louisa Yousfi

Entretien conçu et animé par Nathalie Quintane.

Voilà un métier que je n'avais encore jamais fait : animatrice sur Hors-Série… D'abord je me suis dit que non, que je ne saurais pas poser les bonnes questions, que j'allais bafouiller, qu'il me faudrait arborer un grand smile en présentant le livre à la caméra… Et puis j'ai lu l'essai de Louisa Yousfi, et nous nous sommes donné rendez-vous à Paris, rue Pierre Lescot. Je l'attendais au Père Fouettard tandis qu'elle m'attendait au Père Tranquille. On a fini par se rejoindre au Père Tranquille. On a tournicoté jusqu'à ce que quelque chose se passe qui s'était déjà passé, sans crier gare, lorsqu'elle m'avait reçue pour la parution d'Un hamster à l'école. La discussion qui démarre, qui cherche, se reprend, recommence, les hésitations, les illuminations communes, les mêmes goûts et les mêmes retenues, les mêmes refus — et plus qu'un intérêt pour la question littéraire…

Voilà l'émission. Elle risque de bifurquer et de tournicoter comme nos conversations, vous êtes prévenu.e.s ! Je crois qu'elle aborde une bonne partie des thèmes et des problèmes soulevés par ce court et brillant essai : Rester barbare. Pourquoi avoir choisi d'ouvrir par deux chapitres consacrés à des romanciers afro-américains des années 40/50 (Chester Himes et Ralph Ellison), qui peuvent sembler loin de nous ? Pourquoi enchaîner sur le rap français dans ce qu'il a de plus commercial ? Que nous disent des barbares et de leur position Booba et PNL ? Pourquoi parler de laideur et de beauté plutôt que de postures politiques bien claires et bien senties ? La littérature parviendra-t-elle à décrocher les Blancs de leur avantage moral supposé naturel ? Et le parviendra-t-elle enfin sans chercher à écrire un français encore « mieux » écrit que celui de l'Académie, et tout en échappant à l'obligation lyrique et flamboyante de la poésie taubirienne ? Les décoloniaux peuvent-ils se permettre de (se) rater ? Et est-ce qu'au fond, toi, Louisa, tu ne prouverais pas par cet essai que tu es enfin totalement intégrée, en bonne indigène de la République ?

Bref, on a parlé d'affranchissement… La littérature, c'est aussi à ça que ça sert. Vous verrez qu'à la fin, on discute un peu tambouille — attention à ne pas se laisser embarquer dans le jeu médiatique… A qui on dit non… A qui on dit oui, mais…
Et puis on a lu… Himes, Ellison, Baldwin et Rimbaud…

Nathalie QUINTANE

 

Dans le Texte , émission publiée le 26/03/2022
Durée de l'émission : 80 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

11 commentaires postés

@Judith, oui, j'entends l'argument qui permet de ne pas écarter les abonné.e.s - J'ai réécouté aujourd'hui l'entretien et j'avoue m'être un peu précipitée lors du 1er commentaire. Je l'ai perçu tout à fait différemment aujourd'hui - tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler et, en l'occurrence, d'écrire est sagesse.
Il me reste à lire l'ouvrage.
Bien à vous, Dominique

Par DOMINIQUE DE LAET, le 04/07/2022 à 18h56

@Dominique de Laet : le vouvoiement est une discipline qu'on essaie de se donner, quels que soient nos liens, afin de ne pas former un club trop étroit d'où nos abonné.e.s se trouveraient sinon évincés, du moins mis à distance. Des "tu" échappent souvent, parce que la qualité de la conversation est telle qu'elle nous libère des carcans. Quand Nathalie Quintane revient au "vous", et dit ensuite "on avait dit qu'on se vouvoyait", elle ne fait que tenter de revenir à la discipline initiale. Ça n'a rien à voir avec une mise à distance, un rejet ou un refus.
J'ai trouvé cette rencontre absolument magnifique, et très inspirante. Merci à vous deux.

Par Judith, le 24/04/2022 à 18h19

J'ai écouté avec plaisir l'entretien, deux fois, la première sans avoir lu le livre, la seconde après. Lisant et aimant Rester barbare, je me suis dit que l'entretien n'était sans doute pas assez rentré en son cœur, en sa langue. Alors j'ai eu envie de le réécouter, et bien sûr j'ai à nouveau entendu que l'intervieweuse se concentrait beaucoup sur "la démarche" de l'auteure, au risque de la faire glisser, comme parfois son interlocutrice, vers "la conduite à tenir", à bien tenir pourrait-on même écrire.
Ce débat là n'est pas inintéressant, loin de là, la cuisine et les attendus de l'auteure intéressent la lectrice que je suis, mais circonscrire le livre à eux, sans parler de sa langue, réduit un peu sa force propre je pense.
Par exemple, vous avez Louisa vos façons à vous d'aller sauvagement à la ligne, comme Nathalie Quintane explique l'avoir fait elle-même dans Un hamster à l'école, et on n'en parle pas assez en détails dans l'entretien de ces trouées célestes propres à votre ouvrage. "Il faut imaginer le fantôme de Marcelin l'observer de loin, le sourire en coin", c'en est une par exemple pour moi, vertigineuse parce qu'elle élargit l'espace, la saisie du réel de Medhi Meklat est soudain diffractée, pour le meilleur à mes yeux de lectrice.

"Comment savoir si on ne se fait pas plaisir ?", demandez-vous à Nathalie Quintane vers la fin de l'émission. Il me semble qu'elle aurait pu vous répondre : Mais faisons-nous plaisir ! Pourquoi se l'interdire ?
Ce plaisir assumé - son idée même - ne serait pas "une coquetterie", vous ne vous départiririez pas de votre exigence personnelle, mais il évacuerait pas mal de parpaings encombrants à l'entrée de la maison, non ?
C'est d'ailleurs ce que Quintane fait en vous répondant en amont : je ne crois pas qu'un livre doive absolument "proposer" quelque chose...

Bref, pas fini de penser à tout ça de mon côté, sans compter certains raps que je n'entendrais plus de la même façon grâce à vous.
Merci à vous deux.

Ps: je me suis demandé ce que vous pensiez des romans de Dalie Farah (?), Impasse Verlaine et Le doigt, à qui j'ai parfois pensé en vous lisant ou vous écoutant parce qu'il me semble que certains sillons parallèles aux vôtres sont travaillés à sa manière chez cette auteure.

Par Astrée, le 23/04/2022 à 12h10 ( modifié le 23/04/2022 à 12h12 )

Je vais laisser un commentaire qui ne va pas plaire. Un moment donné, Louisa Yousfi tutoie celle qui l'interviewe et, à l'interaction suivante, cette dernière la replace dans le vous. Je l'ai pris comme "tu ne fais pas partie de ma caste; je te remets à ta place". Je suis pourtant de la caste de l'intervieweuse mais pas de la même classe sociale : la mienne est le prolétariat analphabète.
Je trouve d'ailleurs que, parfois, l'entretien vire à la psychanalyse mais, encore une fois..., c'est la façon dont je le perçois.
D'autres auraient mené cet entretien tout à fait différemment et envisagé la démarche politique de l'essai.

Par DOMINIQUE DE LAET, le 18/04/2022 à 15h47

"Travailler dans le noir"

Par Paul Allen, le 04/04/2022 à 01h49

Quelle belle idée en effet de retourner l'invitation, de permuter les rôles sans pour autant s'y tenir absolument. Le vous, les "tu" renseignent sur le degré d'engagement dans l'échange et l'attention toute aussi vive de poursuivre l'entretien dans "les formes de l'art". C'est ça la richesse de cet espace "hors", "dehors"... très attentif aussi à la forme. J'imagine que cela vous aura sans doute traversé l'esprit, comme à d'autres "télecteurs/lectrices" : pourquoi ne pas systématiser l'exercice ? Ou d'élargir le principe de ces échanges pair-à-pair... ?

Par Fred Ortuño, le 30/03/2022 à 23h14

Elle est magnifique cette rencontre. Merci à toutes deux
Je vous lirai
Laurent

Par Laurent Courtens, le 30/03/2022 à 20h51

Merci pour cet entretien ! Je ne connais rien à la littérature et je ne suis pas à l'intérieur de la "clôture" avec Quintane et Yousfi, et pourtant j'ai eu les larmes aux yeux. C'était puissant, voilà tout. Merci.

Par Benoit987, le 29/03/2022 à 09h59

Très surpris par cette émission. L'intervieweuse ne cesse de donner son avis, sa vision de la littérature, du sens du rap ...et d'exiger de l'auteure qu'elle y réponde. ce que crois l'intervieweuse n'est pas le sujet.
Et la mise en cause de l'auteure débute des les premières minutes. Avant 30 minutes, on ne sait pas quel est le contenu de l'oeuvre.
La qualité de vos émission était pour moi qu'il s'agissait de créer les conditions pour que l'invité(ée) parvienne à dire ce qu'il ou elle avait à dire, ou toute question visait à lui permettre de clarifier son propos, car l'oeuvre était le sujet.
Il semble qu'ici ce ne soit pas le cas, à moins de n'avoir rien compris de mon coté.
Je suis toujours fan de votre travail, mais là non.j'ai sans doute tors et sinon ça arrive, pas grave.

Par lo, le 27/03/2022 à 13h50

Agréable la liberté de conversation, qui permet d'affiner l'analyse – de ce présent complexe de post colonisation, pour les jeunes générations "post colonisées". Éclairage certainement utile pour penser les modalités ou les possibilités de création artistique en ce qui les concerne. Échange intéressant aussi sur les conditions et les enjeux de la littérature ou de l'essai littéraire.

Par René THIBAUD, le 27/03/2022 à 01h10

Merci pour cet entretien, mais surtout pour ce livre. J’ai regretté que davantage de passages ne soient lus durant l’émission car ayant lu le livre, je n’arrêtais pas de me dire que c’était un enchaînement de punchlines et de formulations qui savent réveiller le barbare enfoui en soi (que j’aurais pu être aux yeux des autres si je n’étais pas né blanc). Car comme Louisa s’en méfie, les processus lents d’embourgeoisement et la possibilité de trahison ne sont jamais loin quand on est intégré, et de ceci le livre rappelle les pièges, spécifiquement bien sûr pour les noirs, les arabes et les non blancs.
J’ai aimé ce livre. Un diamant brut. Un passage en particulier à résonné (p.53) avec les événements en Ukraine et la façon dont soudain tout l’occident se lève « sélectivement » pour se défendre. « L’Occident serait agressé pour ce qu’il est, la lumière qu’il porte et sa joie de vivre, de danser, de boire et d’aimer. Mais ce que nous voyons, nous, c’est la laideur de l’Empire triompher et nous envahir. La sidération de somnambules est de rigueur. `Quand se réveilleront-ils enfin ?‘ - autrement dit : qu’est ce que ces gens ont accepté de devenir pour vivre si inconsciemment sur un tas de ruines, pour ne ressentir la violence du monde et n’être ébranlés qu’à cet instant [celui des attentats de Charlie Hebdo], pour avoir attendu cette atrocité, cette heure fatidique avant de considérer avec sérieux l’existence des fantômes qui les entourent? Croyaient-ils vraiment que leurs espaces temps ne se croiseraient jamais? Qu’à force de marcher les yeux fermés ils ne rencontreraient pas un de ces fantômes prêt à leur faire la peau? (…) Ce feu Baldwinien en nous qui menace de tout brûler doit être tenu en respect, sans jamais pourtant s’éteindre. Il doit demeurer une barbarie intime qui donne le courage de lutter, parfois contre ce feu même.» De même du 11 septembre comme d’un événement ou l’occident fait une rencontre avec lui même. Et tant d’autres passages qui montrent la volonté de préserver une force brute au milieu des déchirements que pose le fait de vivre dans ce système, intégrée. Qu’il est bon ce livre, et ce courage à se promettre de garder allumée cette flamme de loyauté (qui brûlera sûrement en effet sur son passage la respectabilité que ne vous reconnaîtront plus jamais l’Empire et son piège de système pyramidal intégrationniste. La dernière de couve n’aurait pas dû inscrire au bas « Louisa est journaliste » mais « Louisa est enflammée (et journaliste) et elle dépote grave ».

Par Olivier Percevaut, le 26/03/2022 à 15h14