Afghanistan : récit d'un fiasco annoncé
Aux Sources
Gilles Dorronsoro
Émission conçue et animée par Tarik BOUAFIA
Des centaines de milliards dépensés, des milliers de soldats mobilisés, des dizaines de pays coalisés partis en croisade pour venger « l’Amérique » meurtri. La guerre impérialiste en Afghanistan est celle de tous les superlatifs. Mais pour quels résultats ? Alors que les dirigeants, les médias et nombre d’universitaires fanfaronnaient pour annoncer la disparition des Talibans et s’enorgueillir de la construction d’un Etat libre et démocratique, les scènes du départ précipité et de la débâcle occidentale viennent sérieusement mettre à mal cette image d’Epinal.
Grand connaisseur de l’Afghanistan sur lequel il travaille depuis plusieurs années et où il y a mené de nombreuses enquêtes de terrain, Gilles Dorronsoro signe un ouvrage essentiel pour comprendre ce fiasco. Ses analyses critiques et sans concessions dépeignent une réalité qui tranche radicalement avec les aveuglements et les impasses des discours officiels. A l’instar du Moyen-Orient, l’Afghanistan a fait les frais d’un imaginaire et d’une approche profondément orientaliste, toujours très ancré dans les représentations occidentales. Peuple de tribus embourbés dans des luttes de clans, rétif à toute forme d’Etat, volontiers apolitiques, les afghans ont fait l’objet d’une « anthropologie imaginaire » déplorable. Ce sont tous ces schèmes de pensée ont irrémédiablement conduit au résultat que l’on connaît.
Parallèlement, les Opérateurs Internationaux (armées, ONG, entreprises, services de renseignement) ont volontairement court-circuité, contourné et affaibli la possibilité même de de construction d’institutions et d’un Etat afghan sur des bases solides. Leurs logiques, mélange de néolibéralisme et de néocolonialisme, ont créé les conditions matérielles et politiques de l’effondrement et du chaos. S’appuyant sur un régime corrompu et anti-démocratiques, ils ont participé à alimenter un système honni par les afghans.
L’Afghanistan a également été le théâtre d’un déchainement sans limite de la violence. Galvanisés par un sentiment de vengeance, soucieux de restaurer l’honneur de leur Nation, les militaires états-uniens ont laissé libre cours à leur arbitraire le plus sanglant. La frontière entre civils et combattants a volé en éclats. Toute personne suspectée devenait la cible d’une machine de guerre qui semblait infernale.
Et les Talibans dans tout ça ? Eux que certains qualifiaient avec mépris de « va nu-pieds en motocyclettes » ont démontré, pendant près de 20 ans, une capacité d’adaptation et de résistance que beaucoup n’ont pas voulu voir. Loin d’être un mouvement ethno-national dénué d’idéologie, ils ont réussi au contraire à apparaitre, aux yeux d’une partie de la population afghane, comme une force cohérente, intègre et nationaliste.
Si la période qui s’ouvre est pleine d’incertitudes, la guerre contre le terrorisme aura au moins démontré, une fois de plus, que les expéditions impérialistes sont vouées à un cuisant échec.
Tarik BOUAFIA
Commentaires
6 commentaires postés
Remarquable connaissance et analyse de ce conflit de votre invité Gilles Dorronsoro. A cette lecture sociologique il m'a manqué une compréhension culturelle et psychologique du peuple Afghan. Il n' a pas été question non plus du Qatar ou semble t il ce pays aurait servit de base arrière aux Talibans...
Pour avoir passé 6 mois (printemps été) avec une ONG dans le Hazaradjat en 1991 je n'ai pas vu en 30 ans une once significative pour un étayage d'un semblant d'état pacifié.
Olivier Roy (grand connaisseur de l’Afghanistan, université de Florence) que nous avions rencontré sur le Terrain à l'époque nous avait apporté des éclairages intéressants. Comment aborder une "aide" humanitaire mais au delà comment participer a la re-construction d un pays en mort cérébrale il serait intéressant d'oser se poser la question. Olivier Roy serait surement un complément intéressant...
Par Maunoir Charbonnel, le 26/10/2021 à 21h40
Excellente émission. J'ai tout simplement appris beaucoup et étayer ce sentiment diffus qu'on traitait toujours l'Afghanistan, ses conflits, ses talibans avec un aveuglement, un surplomb qui nous empêchait, à l'instar des armées occidentales qui s'y sont déployées, de comprendre quoi que ce soit.
J'espère que Tarik Bouafia, que j'ai découvert lors de votre émission sur le 11 septembre va continuer a animer des émission sur le site.
Par Olivier Borzeix, le 20/10/2021 à 22h22
exceptionnel a l'attention de tout ceux qui sont incapable de repenser l'anti impérialisme dans sa complexité et son actualisation, je propose également de graver les mises en gardes de la fin de l'entretien, dans le marbre, a écouter de bout en bout, merci a Gilles Doronsorro d'avoir intégré l'effroyable épisode soviétique a commencé par le sacrifice de ces soldats. Une description des phénomènes radicaux enfin sortis des "arabes manipulés" ce que permet tout analyse véritable de terrain.
Par Marianne Van Leeuw Koplewicz, le 19/10/2021 à 16h17
Excellent entretien et bonnes questions de Tarik Bouafia. Un regret quand même: il a été très peu question de géopolitique, primordiale dans ce conflit depuis le départ . On sait que les US ont entrepris d'armer les Afghans avant l'arrivée des Russes appelés dans ce pays par le gouvernement de l'époque. Il est étonnant que l'auteur n'est pas réussi à mettre en lumière la complicité des milices de la CIA avec les producteurs d'héroïne, ni réussi à découvrir les liens de Massoud avec les services secrets atlantistes.Les us ont appliqué leur politique de chaos destructeur de sociétés .Je continue de penser que l'attaque de ce pays n'aurait pas eu lieu s'il n'était pas à un carrefour stratégique en Asie.(le terme américain est à bannir : impérialisme us est plus conforme à la réalité)
Pour continuer sur ce sujet pour les personnes parlant anglais : voir le site Grayzone sur YT.
Par titou, le 16/10/2021 à 23h24
Très riche entretien!
Par François Leroux_1, le 16/10/2021 à 19h04
Clair, intéressant, et toujours aussi documenté. Merci de prendre le temps, c'est tellement précieux
Par Jérôme Godard, le 16/10/2021 à 16h11