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La vie psychique du racisme

Aux Sources

Livio Boni & Sophie Mendelsohn

Émission conçue et présentée par Wissam Bengherbi

« Le racisme a bien de l’avenir » : telle était la prédiction de Jacques Lacan en 1972. C’est en lisant ce livre que j’ai découvert cette phrase et elle me travaille encore. C’est tout Lacan ça. Je ne l’ai jamais vraiment lu, de lui je ne connais que des formules comme celle-ci, en apparence anodines mais dont le sens vous interroge des jours après. Qu’a-t-il bien voulu dire par là ? Force est de constater la véracité de sa prédiction, mais comment pouvait-il le prévoir à une époque où la décolonisation semblait être du passé, et où la ferveur des mouvements anti-racistes laissait présager aux contemporains d’alors qu’un monde définitivement débarrassé du racisme était non seulement possible mais proche ? D’ailleurs, comment se fait-il que le racisme persiste alors que nous avons mis fin à l’esclavage ? A la colonisation ? A l’apartheid ? Comment se fait-il que le racisme persiste alors que nous sommes habités d’idées prétendument universalistes, humanistes et égalitaires ? Enfin, comment se fait-il que le racisme persiste alors même que nous savons tous que les races n’existent pas ?

Livio Boni et Sophie Mendhelshon nous proposent des pistes de réponses en allant puiser du côté de la psychanalyse… C’est-à-dire dans tout un champ d’études qui m’était totalement nébuleux et dont la l'accès difficile me faisait fuir. J’ai donc abordé ce livre avec beaucoup d’intérêt mais aussi une grande inquiétude, celle d’être perdu après dix pages. Fort heureusement ce ne fut pas le cas. Certes, un profane comme moi doit parfois s’accrocher et relire plusieurs fois un paragraphe pour en comprendre le sens, mais Nietzsche n’encourageait-il pas la rumination ? D’autant plus que les deux psychanalystes excellent dans l’exercice d’équilibriste de la vulgarisation, nous permettant d’explorer les ressorts inconscients du racisme à travers Fanon, Lacan ou Deleuze.

Cependant, cette exploration se fait surtout par l’intermédiaire d’Octave Mannoni, le philosophe et psychanalyste français dont l’apport sur la question raciale peut paraître sous-estimé voire mal compris. Il « venait à contre-temps, c’est-à-dire trop tôt et trop tard », nous disent L. Boni et S. Mendhelson. Son analyse sur la situation coloniale comme rencontre entre deux complexes complémentaires – « infériorité » pour le colon et « dépendance » pour le colonisé –, si elle a souffert et souffre encore de beaucoup de malentendus et de lectures erronées, était effectivement à contre-temps de l’urgence politique anti-coloniale de l’époque. Quant au concept de « démenti », il est arrivé trop tôt. Le démenti, c’est le mécanisme de protection élaboré collectivement nous permettant de préserver une croyance que nous savons pertinemment fausse. Appliqué au racisme, nous pourrions la résumer ainsi : « je sais bien que les races n’existent pas… mais quand même… ». Voilà qui pourrait nous aider à comprendre les raisons pour lesquelles le racisme persiste malgré la fin des structures les plus objectivement racistes comme la colonisation ou l’apartheid, ou encore la décrédibilisation générale des théories les plus racialistes. Finalement, la psychanalyse et Mannoni nous montrent qu’il n’y a plus besoin de cela pour que le racisme persiste, car le problème résiderait ailleurs, peut-être au plus profond de nous, dans notre inconscient.

Toutefois, loin d’être seulement une introspection intérieure, une analyse psychanalytique du racisme nous conduit à nous interroger collectivement, à remettre en cause nos idées toute faites sur le phénomène racial, notre désir d’uniformisation, et même à penser à contre-courant : et si les concepts que nous avons érigés comme solution au problème racial, comme l’assimilation ou l’universalisme, n’étaient que l’envers de la ségrégation et du racisme ?

Wissam BENGHERBI.

Aux Sources , émission publiée le 15/05/2021
Durée de l'émission : 86 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

9 commentaires postés

. . Si l'universalisme (trop assimilateur) n'est pas le remède au racisme (trop ségrégateur), alors faut-il inventer un "créolisme" aussi turbulent qu'intempestif mais ô combien dé(re)constructeur ? On a hâte de connaître le n°2 de cette aventure analytique audacieuse tant elle s'annonce . . téméraire par ces temps qui glissent. Bravo à Wissam ! Joli travail, on a hâte de connaître ton thème n°2 dans la rubrique. A bientôt . .

Par Joël Dézafit, le 22/05/2021 à 16h28

attention grosses sautes de sons vers 13min merci pour l'émission

Par Victor Plantey, le 22/05/2021 à 15h39

Bonjour,
Normalement, je vous kiffe, mais là... Je pense que c'est un bon exemple d'échec à méditer : l'émission à ne plus faire.
J'avais réussi à motiver deux potes pour regarder ça ensemble, le sujet nous bottait vraiment, on était présents, affûtés, tous les trois habitués aux sciences sociales. Résultat : on s'est TOUS endormis devant, à un moment ou à un autre.
Je trouve que les questions étaient confuses, mal ciblées, n'aidaient pas à avancer ou à nous faire comprendre l'essentiel et perturbaient même les intervenants. Et ces derniers auraient eu grand besoin d'un coup de pouce, pour aller vers plus de pédagogie. Livio Boni, ça passait bien, mais Sophie Mendelsohn nous a perdus dans les sables (sauf à la fin, ouf), avec des interventions interminables, sans compter les tics vocaux ! Argh ! :)
Cent fois sur le métier, tu remettras ton ouvrage :p
Bises

Par Perlimpinpin, le 22/05/2021 à 13h43

12ème minute envirion : un peu étrange tout de même cette distinction entre discrimination/rejet de quelque chose (représentation d'individus/de populations "généalogiquement proches") d'intérieur - "les juifs" et le racisme (qui serait rejet de quelque chose représentée comme purement "extérieur" : je ne suis vraiment pas convaincu ... l'"idée du juif" dans la représentation nationale dominante, hier jusqu'à l'heure actuelle (évidemment très peu assumée publiquement), tout comme l'"idée du musulman" aujourd'hui, ramène à la différence et une différence non innocente, une différence qui est évidemment infériorité, moindre qualité (ce quelque type quelque soit, physique, morale, intellectuelle); l'exteriorité ne me parait pas décisive dans la conception du racisme et le temps long de l'histoire occidentale car liée au contingences historiques des mouvements de population (diaspora, immigrations, exil, exode, refuge tout ce qu'on veut).
D'ailleurs c'est bien dans l'esprit de l'européen des 19-20ème siècles de mettre dans le même sac juifs et musulmans par example avec le concept racial de sémites ... et de toute façon d'isoler l'"aryen" de toute autre peuple des autres continents pour le mettre au-dessus de la "création".

Par Alban, le 20/05/2021 à 14h18

je me suis ré-jouis à l'idée d écouter deux psychanalystes (il y en a trop peu ) Mais ...j'ai rien compris.

Par Maunoir Charbonnel, le 17/05/2021 à 19h45

Merci de nous permettre et en particulier de me permettre d'absorber ce pan de questions autour des analyses decoloniales totalement reformulées dans une langue francaise qui est en total décalage avec une réflexion anglo-saxonne.
J'ai trouvé dans cet entretien un chemin de compréhension à l'approche anglo-saxonne de par exemple la cancel culture , et même les etudes post coloniales telles qu'elles sont amorcées par Edward Saiid et "regurgitees " par certains intellectuels français sous la création de l'islamo-gauchisme.....
Merci je poursuivrai la lecture de textes écrits et proposes par les deux psychanalistes- chercheur.e.s que vous avez invité.e.s
Francoise Bortolan (abonnée)

Par Francoise Bortolan, le 16/05/2021 à 15h19

LA COLONISATION, LES COLONS, LES RACISMES, LE POUVOIR ET LE CAPITALISME … QUEL VASTE ET BEAU PROGRAMME !
Le CNRS a mis en ligne une base de données détaillant par patronymes les indemnisations versées respectivement à chaque colon suite aux abolitions de l’esclavage après 1825 en HAÏTI et 1848 en GUADELOUPE, MARTINIQUE, GUYANE et REUNION.
On observe que 30% des colons indemnisés ne sont des blancs, mais des « gens de couleurs »….

D’ailleurs TOUSSAINT LOUVERTURE lui-même propriétaire d’esclaves reste un personnage très controversé de l’histoire de Haïti. Sabine Manigat, sociologue et politologue, professeure et chercheuse à l’université Quisqueya de Port-au-Prince, résume cette contradiction fondamentale en ces termes : « l’inévitable fracture : le pouvoir contre la liberté, la propriété contre l’égalité, est inscrite dès le début, dans les fondements de l’État louverturien »

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Par Jacques MARCHAND, le 16/05/2021 à 01h33

Lacan nous disait quelquefois que nous cherchions un Maitre !! Le racisme a sa racine dans l'inconscient de chacun, dans le passage du Stade du miroir. Le sujet en devenir, entre 6 et 18 mois, doit "traverser" cette énigme, imaginaire, que lui pose son reflet dans le miroir. Soit le sujet va comprendre que ce n'est qu'un reflet et que cette image à 2 dimensions n'offre rien en terme de présence et de consistance et l'aventure de sa construction interne va pouvoir commencer en faisant intervenir le Symbolique, dans la présence de la mère ou de l'adulte en charge mettant des mots en désignant l'enfant, corps réel, comme : c'est toi dans le miroir. L'enfant pourra commencer à mettre fin à l'aliénation à l'Autre du miroir.(ce que Narcisse, n'a jamais compris en prenant son image comme existant réellement dans le reflet de l'eau et se noyant en tentant de la saisir). 3 instances sont nécessaires (symbolique, imaginaire et réel) pour s'émanciper du narcissisme primaire, faisant le lit de tous les fascismes où l'image de l'autre n'est pas reconnue comme étant pur reflet et réceptacle de tous les pires fantasmes projetés allant jusqu'à la mort de l'Autre qui représente en fait le sujet lui-même ne se reconnaissant pas en l'autre réel(psychose). Lacan ne doit pas être lu avec la "tête" mais avec les tripes. (le cogito cartésien ne peut rien! )!! Le fascisme commence en nous, toujours dans un coin de notre inconscient et a juste besoin d'une instance agitatrice coagulant tous les narcissismes non dépassés, et provoquant des catastrophes sociétales, dans le pire des cas.

Par franny's, le 15/05/2021 à 15h44

Votre travail est tout à fait passionnant, et votre projet à suivre.

Par Eric Fraiture, le 15/05/2021 à 15h04 ( modifié le 15/05/2021 à 15h38 )