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Un hamster à l'école

Dans le Texte

Nathalie Quintane

(émission conçue et animée par Louisa Yousfi)

Je vais être honnête : les livres sur l’école m’ont toujours ennuyée. D’ailleurs, je n’en lis jamais. Peut-être à cause de la juxtaposition des mots « livre » et « école » qui me donne envie de dormir. Peut-être aussi parce que dans le mot « livre » j’entends la forme académique, institutionnelle, toute bonnement chiante, qui fait jouer une espèce de redondance avec le mot « école ». Bref, lire un « livre sur l’école », c’est le retour des devoirs à faire à la maison.

Il aura fallu que Nathalie Quintane se penche sur l’affaire pour régler définitivement le problème. Nathalie Quintane et sa plume qui détend l’atmosphère, emmerde les codes du genre, et «met un bonnet rouge au vieux dictionnaire». Ah tiens, un souvenir d’école. Quand je lisais, pour la première fois, des scènes émeutières dans Les Misérables et que les lisant, il ne se passait absolument rien, ni dans la salle de cours, ni dans ma tête. Tellement rien que je ne m’en souviens même pas, des Misérables. C’est un classique, comme on dit, pour dire : un monument. Autrement dit, une œuvre morte.

« Il y a des lieux où il est important de ne pas lire », éclaire Nathalie Quintane. Elle précise « comme les écoles, les collèges, les lycées, les mairies ou les théâtres.» S’il est important de ne pas lire à l’école, nous dit Quintane, c’est parce que le lieu, – ses grands murs blancs et froids, sa sonnerie qui sonne à heure fixe, les notes, les carnets scolaires –, l’emporte toujours. Tout est fait pour que rien ne s’y passe. La discipline, c’est d’ailleurs cela : empêcher l’événement. Et les profs sont devenus les petits flics du néant qui guettent en faisant la dictée. Même ceux qui sont venus au métier pour subvertir l’institution et lui faire à l’envers, ils ont échoué. En tout cas, ils ne sont plus là. Pourtant, il y a des restes de leur passage dans la mémoire collective. L’école, « ce repaire de gauchistes » qui font grève et battent le pavé dès que l’occasion se présente, ça nous dit bien quelque chose. Mais alors où sont-ils passés ?

En vérité, ce n’est pas un livre sur l’école que nous offre ici l’inclassable Nathalie Quintane. C’est l’expérience sensible d’une institution en pleine liquidation, le récit en deux-trois coups de pinceaux de la destruction d’un métier. Pas de charabia, de mots savants, de grandes analyses. Nathalie Quintane ne fait pas la prof. D’ailleurs, elle n’en est pas une. Elle, c’est un hamster qui tourne dans sa roue et qui, un jour, s’est s’arrêté de tourner et s’est mis à regarder autour de lui, à interroger le décor, les murs, la table, l’estrade, les notes et toute cette étrange familiarité. En fait, s’il se met à ressentir le décalage kafkaïen, c’est qu’il n’est déjà plus un hamster. Sans s’en rendre compte, il réalise qu’il a perdu ses poils et ses griffes. En fait, il est devenu humain. Il est devenu Nathalie Quintane, assise sur son bureau de prof. Les jambes pendantes, le regard un peu fou, comme après un long sommeil. Nathalie Quintane qui alors se met à écrire ce livre hilarant et désespérant à la fois, Un Hamster à l'école (La Fabrique, 2021), vite vite, avant que l’institution ne la ravale et la transforme à nouveau en petit rongeur sur pattes.


Louisa Yousfi

Dans le Texte , émission publiée le 16/01/2021
Durée de l'émission : 81 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

6 commentaires postés

C'est très vivant ! Merci !

Par Eric Fraiture, le 22/05/2021 à 17h42

"Il y a des endroits où il est important de ne pas lire" mais la grammaire de Nathalie Quintane , il faut l'entendre et se l'approprier avec toute la force qu'elle met à nous la faire découvrir
Ecrire dit-elle, un clin de "plume" à Marguerite Duras....
Merci tout simplement
Francoise BORTOLAN

Par Francoise Bortolan, le 02/03/2021 à 19h10

Bonjour,
Pour ma part c'est en lisant la page du Diplo que j'ai eu envie d'acheter le livre...
J'ai attendu de l'avoir fini avant d'écouter l'émission que j'ai pourtant téléchargée
depuis une semaine.
C'est super ! Tout...le livre, l'émission.
Je me suis demandé pendant un moment pourquoi les lignes du bouquin étaient ainsi agencées.
Je m'y suis fait, j'y ai même pris goût. C'est Céline et son rythme qui me sont revenus,
j'avais adoré!
J'irai lire ses autres bouquins...L'éducation nationale je connais un peu.
Je souhaite à Nathalie Quintane de continuer à planer comme elle le fait.
Je trouve que le plus subversif dans l'affaire, ce qui nous permet d'espérer des jours meilleurs,
c'est l'humour...j'irai donc voir aussi les bouquins qu'elle cite. Mais là je rejoins le message ci-dessous:
Pourquoi ne pas nous faire un générique de fin avec les titre cités?
Ce ne doit pas être très compliqué!

Par sanslesdents, le 24/01/2021 à 22h49

La phrase "est-ce qu'on devient enseignant (aujourd'hui) parce qu'on ne peut rien faire d'autre ?" m'a percuté par sa justesse. Pendant ce temps, moi qui suis dans l'informatique, je constate la même chose dans mon domaine aussi.

Par kirisakow, le 17/01/2021 à 21h26 ( modifié le 17/01/2021 à 21h27 )

Merci pour ce moment, une fois de plus, j’hésite toujours à couper l’entretien pour noter les références bibliographiques citées, donc la solution (comme à l’école), un petit recap à la fin ou sous la vidéo ? Bye Bruno un instit qu’écrit pas

Par Bruno Delamotte, le 16/01/2021 à 20h15

Bravo! quel entretien! merci

Par François Leroux_1, le 16/01/2021 à 15h11