Se surveiller et se punir
Aux Sources
Vanessa Codaccioni
(émission conçue et animée par Selim DERKAOUI)
Pendant la soirée du réveillon du Nouvel an 2021, vous avez eu peur d’être dénoncé.e par vos voisins à cause d’une fête organisée chez vous, ou vous avez peut-être hésité à contacter vous-même les autorités pour non-respect du couvre-feu, dans l’idée de “sauver des vies”. Rien d’anormal : cela s’inscrit pleinement dans la société de vigilance dans laquelle nous évoluons depuis maintenant longtemps en France, et dont les maîtres-mots sont “surveiller” et “dénoncer” autrui. “La délation peut sauver des vies”, pouvait-on lire sur les affiches de propagande des rues de la ville du film Brazil de Terry Gilliam, tiré du roman 1984 de Georges Orwell...
Lors de son hommage aux policiers tombés lors de l'attaque de la préfecture de police, le 8 octobre 2019, Emmanuel Macron a appelé tous les citoyens et les citoyennes à la "vigilance" et à jouer les “grandes oreilles”. Des oreilles et des yeux qui seraient plus efficaces que la justice ou le tribunal, comme l'affirmait en 2011 le sénateur américain républicain Trent Franks, dans la lutte antiterroriste. Ces deux personnalités politiques sont citées par la chercheuse en sciences politiques à l’Université Paris 8 Vanessa Codaccioni, dans son ouvrage La société de vigilance : auto-surveillance, délations et haines sécuritaires (Textuel, 2021).
En parcourant l’histoire de la délation et de l’auto-surveillance en France et dans les pays anglo-saxons, elle démontre comment notre État cherche à nous associer à sa doctrine néolibérale et sécuritaire, et à faire de nous des petits policiers qui se surveillent mutuellement entre eux. Cette société de vigilance souhaite nous convaincre de la légitimé de l’action de l’Etat et à nous faire oublier les responsabilités politiques et économiques gouvernementales (de la lutte contre le terrorisme à la crise sanitaire de Covid-19), et ainsi à les faire porter sur nous toutes et tous. L’Etat distingue les “bons citoyens” des “mauvais”, coupables de ne pas participer activement à cette chasse aux sorcières ciblée, promue et encouragée par le pouvoir. On a beaucoup parlé du crédit social chinois, qui récompense ou pénalise des citoyens en fonction de leurs bonnes actions validées par les autorités : une société de vigilance poussée à son paroxysme ?
Filmer les violences policières, dénoncer les féminicides, défendre les lanceuses et les lanceurs d’alerte qui prennent des risques contre les abus des multinationales et l’impunité des entreprises… Une société de vigilance collective et citoyenne, contre les méfaits du “profilage raciste” d’Etat, du patriarcat et du capitalisme, en somme, est tout à fait possible et existe déjà. Étouffée par les gouvernants, notamment au travers de différentes lois, telle que que la loi "Sécurité globale" qui empêche de filmer les policiers, elle ne demande qu’à se généraliser et à se développer, pour devenir notre meilleure arme face à la guerre d’un “tous contre tous” au service du néolibéralisme.
Selim DERKAOUI
Commentaires
3 commentaires postés
très pénible le générique... à part ça très bien
Par Sonia Gaubert, le 26/01/2021 à 10h15
Lumineux, complexe, subtile, je vais devoir réentendre une deuxième fois pour me repréciser les limites de mes interventions futures...
Par Maunoir Charbonnel, le 12/01/2021 à 19h37
Très remarquable émission. Vanessa Codaccioni déploie avec beaucoup de nuances et de précisions l'envergure de ce problème de notre dérive programmée vers une société de "vigilance". Elle rend très présente la menace lourde portée sur notre désir démocratique.
Par René THIBAUD, le 09/01/2021 à 19h41 ( modifié le 09/01/2021 à 19h50 )