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Jim Carrey, l'Amérique démasquée

Dans Le Film

Adrien Dénouette

Jim Carrey a marqué mon enfance, il l'a tellement marquée que je l'avais oublié. En lisant le livre de mon invité Adrien Dénouette, Jim Carrey, l'Amérique démasquée (éditions Façonnage), un souvenir revenait en boucle, un de ces dimanches mous qui suivait un Mcdo familial où l'on glissait pour la énième fois la VHS de Menteur menteur (Tom Shadyac, 1997) dans le magnétoscope. A force, elle était un peu rayée. C'était les années 1990, on allait au Mcdo en famille, Jim Carrey régnait sur l'enfance et entre deux cassettes on voyait à la télé, nous, enfants, un président américain aux cheveux blancs, l'air contrit devant les caméras - sans trop comprendre ce qu'il avait fait.

Le livre de mon invité plonge dans l’humeur de cette décennie 1990, ère de l'overdose consumériste, de la pornographie publicitaire, de la “win” et de l’hégémonie télévisuelle - avec pour point d'orgue l'affaire Monica Lewinsky. Adrien Dénouette les commente à travers le corps de Jim Carrey qui fut bien plus qu'un idiot utile, mais un immense acteur, passé de “background guy” indésirable à point de convergence de tous les regards. Dès son enfance, Carrey voulait intégrer Hollywood, rentrer dans la télévision qu'il connaissait par coeur, devenir célèbre, avec un but qu'il avoue lui-même : détruire le spectacle.

C’est frappant, en revoyant les films, à quel point Jim Carrey veut détruire le plan de l'intérieur, à quel point des cinéastes ont construit leur mise en scène autour de son désir enfantin de destruction. Il l'a d'abord fait avec une innocence sublime, cartoonesque, dans trois films qui ont trôné au sommet du box-office en 1994 : The Mask, Ace Ventura, Dumb & Dumber. A revoir les deux premiers, censés être des comédies familiales, on se demande ce qui clochait à Hollywood pour mettre les gosses du monde entier devant des films aussi primitifs, où la psychologie comme la sexualité rejoignent celles, élémentaires, des créatures de Tex Avery. Une femme apparaît, un air de saxo langoureux retentit, Carrey a une envie pressante, il ne se retient pas et nous le fait savoir. Et on regardait ça, on était contents, c'était l'heure du goûter.

Hollywood permettait encore cela : d'accueillir en son sein quelque chose qui cloche. Et c'est le parti pris d'Adrien Dénouette, de revenir sur tous les grands films et de commenter une carrière à l'aune de cette idée : d'abord et avant tout le génie de l'idiotie et sa puissance cathartique. Il révère Fous d'Irène des frères Farrelly, et s'il est un peu moins fou du très réflexif The Truman Show de Peter Weir, c'est qu'il reste fidèle à la ligne de son sujet, à la force de Jim Carrey, une force comique, physique et critique qui passe entièrement par la virtuosité qu’il met à être un “ça” freudien sur pattes.

A l’heure des tentatives démiurges du numérique pour nous proposer un monde meilleur que le nôtre, lissé, aseptisé et désexualisé - un rêve transhumaniste - se pencher aujourd'hui sur Jim Carrey c’est aussi regarder l’état de la comédie actuelle et faire l’inventaire de ce qui nous manque au cinéma : où sont passés les corps, les grands enfants et les immenses idiots ?

Murielle JOUDET 

Dans Le Film , émission publiée le 31/10/2020
Durée de l'émission : 106 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

16 commentaires postés

Merci pour cette émission formidable ! L'intervenant a un vrai talent dans la prestation orale et Murielle Joudet est tout simplement excellente dans ses questions et analyses. Le Jim Carrey des années 1990 est un génie absolu.

Par Hayri Goksin Ozkoray, le 23/01/2021 à 00h31

Pour information, la schizophrénie n'a rien à voir avec le dédoublement de personnalités (1:28:40). Et ça serait bien d'utiliser autre chose que des termes psychanalytiques, pseudo-science dépassée du 19ème siècle.

Par atailgofr, le 26/12/2020 à 22h47

Intervenant et analyses passionnants, tout comme l'intervieweuse.
Trumanshow, vu vers 11-12 ans a été une révélation vertigineuse et métaphysique (toutes ces questions autour de la réalité réelle, du délire solipsiste qu'on peut avoir enfant et qui se prolonge parfois !). Un choc tel que je ne suis pas certaine de pouvoir le revoir aujourd'hui (peur de ce choc ou peur d'être déçue et de ne rien ressentir avec le recul ?)
Avant cela j'avais vu The Mask un nombre incalculable de fois (mes parents étaient aussi indignes que les vôtres Murielle). Je pense avoir vu la quasi-totalité de la filmo de Jim Carrey et je n'y avais jamais prêté attention tant elle a été présente.

Merci pour cette belle émission qui donne envie de s'y replonger avec un regard différent.

Par catatonicgoat, le 26/11/2020 à 23h26

Merci pour cette émission et le focus qu'elle vient mettre sur Jim Carrey. Je reste un peu frustré que l'entretien ne se soit pas arrêté sur sa série Kidding sortie en 2018. Le constat du passage des autres comiques (Robin Williams, E Murffy) au ventriloque de personnages de film d'animation aurait été une entrée intéressante pour traiter de son personnage de Mr Pickles, ventriloque ultime et star de la télé pour enfants. Peut être qu'Adrien Denouette en parle dans son livre ?

Par CJ Fly, le 05/11/2020 à 18h55

Maunoir Charbonnel : vous pouvez tous les trouver en DVD et VOD, il y en a quelques un sur Netflix également.

Cobalt 60 : Pas de souci :-)

Merci à tous pour vos commentaires !

Par Murielle, le 03/11/2020 à 21h29

Passionnant... une question technique toute bête comment trouver tous les films de Jim Carrey?

Par Maunoir Charbonnel, le 03/11/2020 à 16h53

très intéressant !

Par Rémi Bassaler, le 02/11/2020 à 15h37

Passionnant !... Et inattendu. Regardé sans trop y croire, distrait, et puis progressivement accroché, intrigué, attentif, scotché, et bluffé.
Bravo, c'est passionnant. Merci pour ces éclairages. Je savais bien que mon abonnement était justifié !

Par Etienne Delabouglise, le 01/11/2020 à 22h59

Génie est un peu excessif tout de même. Le problème de Carrey c'est qu'il a tendance à jouer tout de seul, car comme vous le suggérez il n'a besoin de l'autre que comme d'un pur spectateur qui représente la normalité choquée par ses pitreries. Ses partenaires en sont donc réduits à arborer une mine consternée pendant qu'il fait le clown. Cela donne parfois un jeu en roue libre, qui cannibalise l'écran, en surchauffe permanente, comme dans les Ace Ventura, Menteur menteur ou Disjoncté où il n'est que grimaces et ne peut sortir une réplique normalement. Je le préfère dans des rôles plus écrits où il doit jouer quelque chose comme un être humain, par exemple Fous d'Irène, où sa bizarrerie est d'autant plus inquiétante qu'elle côtoie, dans le même corps, une certaine normalité.

Par Charles , le 01/11/2020 à 11h35

Murielle,

Vous avez entièrement raison. Je ne sais pas pourquoi je me suis emporté à ce point sur un sujet d'aussi peu d'importance.
J'ai regretté peu après d'avoir posté ce message et l'aurais supprimé de moi-même si cela avait été possible. D'autant que j'apprécie vos émissions.
Je vous présente donc toutes mes excuses.

Par Cobalt 60, le 01/11/2020 à 08h52

j'ai trouvé excellente cette émission. Je regrette un peu de ne pas avoir votre analyse Murielle sur Will Ferrel.

Par Rémi Gendarme, le 31/10/2020 à 21h11

Vertigineux ! Je ne m'attendais pas à ça. Merci !

Par Abracadabra, le 31/10/2020 à 17h50

Merci beaucoup. Cette émission était excellente. Tout est très juste.

Après avoir vu l'émission, je me dis que, de par le déploiement de la charge critique qu'il peut contenir, l'art ("1984" d'Orwell, les oeuvres dystopiques, en générale, mais aussi Jerry Lewis, Jim Carrey...) en vient, de manière plus ou moins involontaire, à contribuer à créer son propre cauchemar : la société d'inter-surveillance et d'inter-contrôle dans laquelle nous vivons avec des toons qui s'agitent et des multinationales qui gouvernent nos imaginaires.

Quel comique semant le désordre peut-on imaginer aujourd'hui ? Je me demande si nous n'avons pas besoin de nouveaux Andy Kaufman ; de comiques qui déjouent sans cesse nos attentes, nos réflexes programmés, de "performers" qui resteront toujours insaisissables, jamais là où on les attend... qui nous amènent à nous demander sans cesse où se situent le rêve, le cauchemar, l'absurde et la "vraie" vie.

En écrivant cela, je me dis que nous sommes toutes et tous des Andy Kaufman en puissance. Let's have fun now!!!

Encore merci pour vos émissions qui sont toutes excellentes.

François-Xavier

Par François-xavier Hubert, le 31/10/2020 à 15h21 ( modifié le 31/10/2020 à 15h36 )

Bonjour,
Pour ma part j'aimerais en savoir davantage sur votre enfance.
Merci de détailler.

Par J8liette, le 31/10/2020 à 15h05

Bonjour Cobalt,

Très sincèrement je pense que vous devriez canaliser votre colère sur des sujets plus impérieux (l'époque n'en manque pas) qu'un petit texte introductif Hors-série qui tente d'être un peu personnel mais qui n'est là que pour inviter à regarder l'émission. Bon courage.

Par Murielle, le 31/10/2020 à 14h58 ( modifié le 31/10/2020 à 14h58 )

S'il vous plaît, arrêtez de nous bassiner avec les films de votre jeunesse !
Vos ressentis d'enfant, on s'en tape.
Vos spectateurs ne sont pas seulement constitués de mômes des années 90.
On peut avoir vu les films de Jim Carrey adulte et en avoir apprécié les qualités, sans nostalgie.
Si je suis un peu énervé, c'est parce que ce n'est pas la première fois que je constate ce lancer de sujet en évoquant la perception des films dans l'enfance.

Par Cobalt 60, le 31/10/2020 à 12h11