Islam et Prison
Dans le Texte
Claire de Galembert
Judith Bernard
(émission conçue et animée par Louisa Yousfi)
La population carcérale est-elle majoritairement musulmane ? Si la question est à l’origine d’un véritable casse-tête méthodologique quant à la possibilité d’une saisie quantitative fiable, c’est qu’elle trimballe avec elle un grand nombre d’enjeux politiques particulièrement brûlants.
Parler du couple « islam et prison » aujourd’hui, c’est immédiatement poser la question de la fameuse « radicalisation islamiste » propulsée à la tête des préoccupations sécuritaires de l’État français. L’affaire est connue : c’est en prison que le terroriste en herbe fait ses classes ; c’est en prison qu’il (re)découvre l’islam dans sa version « radicalisée » et c’est en prison qu’il fonde et affermit, avec l’aide de ses frères prosélytes, son projet de passage à l’acte. De cette théorie, vendue comme une évidence par la parole politique et médiatique, découle un faisceau de présupposés racistes (la figure du musulman étant, en réalité, une métonymie pour désigner les jeunes hommes noirs et arabes) qui vont notamment se traduire par la mise en place d’un dispositif de surveillance et de coercition discriminatoire à l’égard de tous les détenus musulmans… et même de ceux qui, supposés l’être en raison de leur origine ethnique (selon une lecture ethno-religieuse non assumée et pourtant largement pratiquée par l’institution), ne montrent aucun signe d’islamité.
Le délire sécuritaire carcéral ne s’embarrasse ainsi d’aucune finesse : le détenu musulman qui pratique avec une certaine ferveur sa religion est un potentiel terroriste dont il convient d’empêcher la « radicalisation ». Celui qui prend clairement ses distances avec la religion, notamment pour échapper à l’arsenal sécuritaire islamophobe, est AUSSI un musulman potentiellement en voie de radicalisation qui pratiquerait l’art de la dissimulation. Bref, une paranoïa collective organisée par le haut qui n’est pas sans rappeler « l’hydre islamiste » macroniste, appelant chaque Français à recourir au même type de « vigilance » vis-à-vis de leurs concitoyens musulmans.
C’est cette réalité sinueuse et souterraine que nous donne à voir mon invitée Claire de Galembert, auteure de l’ouvrage Islam et Prison (Amsterdam, 2020). L’occasion pour elle de dessiner l’impossible destin d’une figure peu connue : celle de l’aumônier musulman en proie à un véritable conflit de loyauté : d’un côté, l’État français qui le piège dans un véritable enrôlement sécuritaire, le transformant en instrument de police des âmes ; de l’autre, les détenus qui se méfient – souvent à raison – de sa complicité avec les autorités publiques et aux yeux desquels il perd toute crédibilité… ruinant ainsi tous les espoirs que les autorités plaçaient en lui.
Enfin, si la question de l’islam en prison ne semble se poser qu’en termes de dangerosité et de radicalisation dans le débat public, le travail de Claire de Galembert a le mérite de rappeler que le retour ou la conversion à l’islam a très souvent le sens d’une restructuration identitaire qui permet littéralement de sauver son âme face aux effets dévastateurs de la condition carcérale et de préserver un espace intime qu'aucune instance étatique, aussi sophistiquée et intrusive soit-elle, ne peut contrôler et surveiller : celui de la dignité.
Louisa Yousfi
Commentaires
4 commentaires postés
Très intéressant et éclairant.
Par Moe 13, le 04/10/2020 à 10h00
@Julien Sanchez. Oui. Merci
Par Raphaël, le 01/10/2020 à 10h20
Pour info : la personne dont vous avez mis la photo à côté du livre Islamophobie (à 12mn10), c'est Marwan Muhammad, du CCIF, en non pas Marwan Mohammed, sociologue et co-auteur du livre.
Par Julien Sanchez, le 28/09/2020 à 16h37
Emission passionnante ! gabriel aumônier de prison!
Par quincieu, le 26/09/2020 à 15h29