Musique politique / politique de la musique
Diagonale Sonore
Alexandre Pierrepont
Raphaëlle Tchamitchian
Depuis la mort de George Floyd le 25 mai dernier à Minneapolis, le monde a regardé s'embraser les États-Unis puis s'est embrasé à son tour. Rarement a-t-on vu une telle convergence planétaire pour lutter contre les violences policières et les inégalités raciales. Cependant, même si les médias soulignent à juste titre le caractère exceptionnel de cette mobilisation, les circonstances sont tristement familières, et George Floyd apparaît comme un nom de plus dans la longue liste des hommes noirs tués par la police — aux États-Unis, et ici.
Du blues des origines au rap contemporain en passant par la folk populaire, la musique s'est fait l'écho de la condition noire et des luttes antiracistes, et a même pu être le terrain d'une résistance plus ou moins masquée. Si la musique n'a pas le pouvoir de jeter en prison les policiers violents ou de déconstruire le système d'oppression racial, elle peut en revanche véhiculer des "messages" (comme quand Ambrose Akinmusire fait "l'appel des absents" dans "Rollcall For Those Absent" sur l'album The Imagined Savior Is Far Easier To Paint), servir de cri de ralliement (comme lorsque des foules américaines scandent "We're gonna be alright", slogan emprunté à "Alright" de Kendrick Lamar), et, dans le meilleur des cas, déplacer nos modes de sentir, bousculer nos cadres de pensée, dé(re)boulonner notre vision du monde.
Ce dé(re)boulonnage, l'anthropologue Alexandre Pierrepont l'a longuement étudié dans le South Side de Chicago. Dans ce ghetto noir, un groupe de musiciens s'est réuni en 1965 pour former l'AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), qui s'occupe de promouvoir les créations de ses membres mais sert également d'"institution sociale alternative". Grâce à la fondation d'une école de musique et à la production de concerts, l'AACM fait vivre le ghetto et se substitue à un état défaillant, indifférent, voire franchement hostile. Ainsi, dans les vies de Matana Roberts, Wadada Leo Smith, Amina Claudine Myers, Muhal Richard Abrams, George Lewis ou encore Nicole Mitchell, musique et politique s'entremêlent inextricablement.
Au-delà de cet exemple particulier, Alexandre Pierrepont met au jour la façon dont les musiques noires ont déplacé de l'intérieur les cadres de pensée occidentaux et proposent encore aujourd'hui d'autres manières d'être et de voir le monde. Ces "autres manières" s'incarnent notamment dans les rencontres proposés par le réseau transatlantique The Bridge, qu'il a fondé en 2013 dans le but de faire dialoguer musiciens américains et musiciens français. À raison de deux tournées par an, une en France et une aux États-Unis, The Bridge est l'une des nombreuses instances où circulent les savoirs, les valeurs et les pratiques de cette "institution sociale alternative" qu'est la musique créative.
Raphaëlle Tchamitchian
Bibliographie :
Alexandre Pierrepont, Le Champ jazzistique, Marseille, Parenthèses, 2002
Alexandre Pierrepont, La Nuée. L'AACM : un jeu de société musicale, Marseille Parenthèses, 2015
Philippe Carles et Alexandre Pierrepont (dir.), Polyfree. La jazzosphère, et ailleurs (1970-2015), Outre Mesure, 2016
Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, Free Jazz Black Power, Paris, Gallimard, 1971
Commentaires
5 commentaires postés
Passionnant ! Belle interview, créative elle aussi, en écho aux musiciens, presque "activiste" ! Voilà qui est bienvenu aujourd'hui. On apprend beaucoup de choses, on a un beau regard sur l'art, et d'ailleurs aussi sur le politique.
Par René THIBAUD, le 29/06/2020 à 23h38
Merci , très très intéressant.
Alexandre Pierrepont est tout à fait brillant.
Par Jacques primois, le 29/06/2020 à 22h53
Merci très très intéressant.
Ce type est brillant.
Par Jacques primois, le 29/06/2020 à 22h50
@Catherine Richard,
Je vous réponds pour deux raisons : vous informer du contresens que vous faites sur l'expression "force fécondante de la masculinité", qu'Alexandre Pierrepont emploie justement pour la dénoncer (il expose ici les catégories employées jusque dans certaines histoires de la musique publiées en France, que justement il critique pour leur tendance à inférioriser la culture noire "primitive", qu'il faudrait "féconder" (par les forces de la civilisation blanche").
Cette explication devrait vous faire apparaître que vos affects - sur lesquels vous vous exposez ici copieusement - vous empêchent désormais complètement d'entendre ce que nous racontons, ici, à Hors-Série. Ils vous conduisent à vous exprimer ici dans des formes tout à fait inappropriées, et je m'apprête donc à supprimer votre commentaire, à moins que vous souhaitiez le modifier afin de le rendre plus constructif.
Que, par ailleurs, nous manquions d'invitéEs, c'est un constat que nous faisons aussi, que nous déplorons, mais que nous nous employons à corriger autant que possible. Vous noterez cependant que sur les quatre dernières semaines, nous avons invité plus de femmes que d'hommes. De ce côté-là aussi, donc, vos appréciations manquent de discernement.
Par Judith, le 27/06/2020 à 20h41
Bonsoir,Mesdames accessoirement Messieurs,
47'37" j'en ai plein l'derch,mais il faut bien que j'amortisse mon abonnement, mais franchement je me sens devenir zombi ou ectoplasme, je sais pas c'que ch'fous là, y'a que des mecs, des mecs, des mecs, et encore des mecs, de plus en plus violents, péremptoires et chiants à crever! Où est passée l'autre moitié de l'humanité? Mais qu'est c' qu'elle à foutue nom de Dieu pour être aussi inexistante et insignifiante? J'ai même entendu, "la force fécondante de la masculinité" Bordel on a même pas chié les mômes ! INCROYABLE!Je poursuis héroïquement...J' me d'mandais pourquoi depuis pas mal de temps j'avais la chiasse et une vague envie de vomir récurrentes ,j'ai même pensé avoir le covid, et aucun médicament ne pouvait calmer mes maux de tête ou de ventre ou des douleurs vagues, l'horreur! Je pense avoir cerné le mal; LA TERREUR MESDAMES, LA TERREUR TOUT SIMPLEMENT! LE FASCISME MASCULIN DANS TOUTE SON HORREUR AU PLUS HAUT POINT,J'EN AI DES SUÉES DE TERREUR! Pourtant je ne suis pas sans espoir ,je vous entends très bien mes soeurs, très très bien, continuons sereinement notre Oeuvre silencieuse...Un Grand Bravo à Soeur Raphaêlle Tchamitchian, quel courage et que de pertinence dans les questions, qui permettent de déployer l'ampleur du problème...Un MUST
Par Catherine Richard_1, le 27/06/2020 à 18h51 ( modifié le 27/06/2020 à 19h30 )