Covid19 : Pas de quartier pour les non-blancs
Dans le Texte
Amal Bentounsi et Houria Bouteldja
Judith Bernard
L'alerte a vite été donnée : dans ce qu'on appelle les "quartiers populaires", l'hécatombe menaçait. Le Covid-19 s'y montrait beaucoup plus meurtrier qu'ailleurs, avec des taux de surmortalité spectaculairement élevés. Le nombre de contaminations, le débordement des pompes funèbres, la longueur des files d'attente pour recevoir des dons alimentaires, tout indiquait que les banlieues payaient un tribut exorbitant à l'épidémie.
Et pour tout dire on n'était pas très surpris. Ces territoires sont des déserts médicaux, concentrant dans un habitat très densément peuplé des populations fragilisées par leur précarité économique, qui les expose à des comorbidités fatales. Ces territoires comptent aussi parmi leurs habitants la plupart des "premiers de corvée" : ceux-là ne sont pas restés confinés, et ont fait tourner le pays, lui permettant de se nourrir, d'être soigné, d'être livré tandis que les classes sociales plus aisées bénéficiaient du relatif confort du télétravail. Les habitants des quartiers populaires ont donc, beaucoup plus nombreux qu'ailleurs, contracté le virus, atterri dans un système de santé saturé, et sont parfois morts faute d'un accueil en réanimation.
Tous ceux qui fréquentent ces quartiers et connaissent leurs réalités économiques et sociales savaient devoir s'attendre à ce bilan tragique, et des tribunes ont paru pour tenter d'alerter l'opinion sur ces inégalités que l'épidémie rendait plus flagrantes et plus funestes. Quelles inégalités ? Les inégalités "sociales et économiques". C'est dans cette langue-là qu'on parle, en France, avec pudeur - tandis qu'aux Etats-Unis on peut écrire, satistiques ethno-raciales à l'appui, que les noirs meurent deux à trois fois plus du virus que les autres. En France on dit "quartiers populaires"- on ne dit pas cités d'immigration ; on ne dit pas inégalités raciales. On ne dit pas que ce sont les non-blancs qui ont fait tourner le pays, et qui l'ont payé si cher.
C'est pourtant sans doute cette condition, "racisée", qui les a exposés, beaucoup plus sévèrement qu'ailleurs, à la violence d'Etat : verbalisations, répression, violences policières, non seulement l'épidémie n'a pas apaisé les relations entre la police et les habitants des cités, mais elle semble même avoir accru les tensions. Et les médias n'ont pas manqué d'alimenter la stigmatisation, pointant l'indiscipline coupable de ces populations supposées incapables de respecter le confinement.
Ainsi l'épidémie a pu accuser - c'est-à-dire accroître et dénoncer - la structuration raciale de notre société. Encore faut-il pouvoir le dire. Dire que le racisme dans la police (où l'on a voté majoritairement pour Marine Le Pen à la dernière présidentielle) est une réalité substantielle, dont les conséquences sont très tangibles - Camélia Jordana s'y est essayée, et la tempête qu'elle a soulevée dit assez la persistance du tabou. Dire que les populations les plus pauvres, les plus exposées au risque de la faim, les plus assujetties à des conditions de travail qui représentent un risque mortel dans le contexte de l'épidémie sont, en France, les populations non-blanches.
Des "indigènes" ? C'est le mot que le Parti des Indigènes de la République a choisi, pour les désigner en mobilisant l'histoire coloniale dont ils sont issus, et que leur condition actuelle rappelle cruellement. C'est donc avec Houria Bouteldja, porte-parole du PIR, que j'ai voulu esquisser un bilan décolonial de la crise du Covid-19, et avec Amal Bentounsi, fondatrice du collectif "Urgence notre police assassine", qui rassemble les familles de victimes de crimes policiers : l'une et l'autre sont particulièrement bien placées pour décrire le mal qui frappe les banlieues, que la crise sanitaire n'a rendu que plus spectaculaire, et qu'il faut nommer sans faux-semblant si l'on veut pouvoir le combattre.
Judith Bernard.
Commentaires
18 commentaires postés
Merci pour cette émission sur un sujet à haute tension si j'en crois les commentaires...
J'entends la lutte contre les injustices policières et étatiques, j'entends les opinions politiques "indigènes" de déconstruction de nos passés coloniaux pour définir un nouvel ordre de justice.
j'entends surtout le besoin d'Amour pour supporter ces douleurs profondément intégrées au sein de chacun. Le chemin sera long et plein d'embûches.
Toutefois, un commentaire de curiosité. Puisqu'au sens scientifique il n'y a pas de race, pourquoi s'évertuer à se définir sur ce critère qui fait la part belle à Zemmour et Cie?? Une volonté polémique? Une peur de sortir de cette classe pour retrouver la grande classe des discriminés de tout poil et obédiences?
Bon courage à tous dans ces luttes où l'Amour est le chas de l'aiguille qu'il faut en permanence s'évertuer à traverser.
Par FRANCK FORCIER, le 13/07/2020 à 11h09
@Judith, il y a beaucoup d'accusations ineptes d'antisémitisme, contre H. Bouteldja (celles que vous pointez). Mais il y en a aussi d'autres plus fondées, qui se discutent à leur tour mais ne se balaient pas d'un revers de main. https://lundi.am/Une-indigene-au-visage-pale
Par Totorugo, le 26/06/2020 à 12h53
@Florac Emmanuel : l'exploitation des humains par d'autres humains est en effet un phénomène antérieur au capitalisme, nous sommes bien d'accord. Mais je vous parle de la structuration raciale de la société (avènement d'une blanchité conçue comme référent "universel", infériorisation systématique de tout ce qui est non-blanc), qui permet de "justifier" cette exploitation à bon compte ; cette structuration raciale se met en place dans le cadre de la colonisation, consubstantielle au capitalisme. Cette structuration raciale offre un cadre idéal, et donc très pérenne, à la naturalisation des dispositions à la pauvreté, en effet tentée auparavant sous d'autres figures. Et quels que soient les méandres historiques par lesquels ces phénomènes ont cheminé - esclavage et déportation aux Etats-Unis, colonisation et immigration post-coloniale en France, il reste que la racisation actuelle de la société est le résultat de son organisation capitaliste et impérialiste. En ce sens, et parce qu'on lutte au présent, contre les dominations telles qu'elles se réalisent actuellement, on ne peut pas séparer anticapitalisme d'une part et antiracisme politique et anti-impérialisme d'autre part. Pour ce qui est des mariages mixtes en France, s'ils constituaient une solution contre le racisme systémique (celui porté par les institutions policière, judiciaire, étatique), nous aurions pu depuis longtemps en constater les bénéfices ; on attend toujours. Pour ce qui est de votre désir de chiffres, que je peux comprendre, je vous invite à les établir vous-même : prenez les morts victimes de violences policières des 20 dernières années en France. Comptez les Blancs. Déduisez-en le pourcentage. Que le ressenti ne vous suffise pas, je peux le comprendre ; mais il me semble tout de même que ce ressenti, qui a si longtemps été rendu inaudible - puisque les non-blancs disposent de peu d'espaces médiatiques où ils peuvent l'exprimer - doit être écouté et respecté. S'agissant de la "pique" que vous souhaitiez infliger à Houria Bouteldja, qui travaille pour l'IMA en effet et ne s'en cache pas, elle ne vous a pas attendu, ni ses innombrables détracteurs, pour théoriser sa propre part de "blanchité" et les privilèges qu'elle lui doit : elle le fait très explicitement dans son livre. Elle est, si je puis dire, au clair avec ça ; l'ombre suspecte est du côté de ceux qui veulent à n'importe quel prix la diaboliser, ou, par exemple, voir de l'antisémitisme dans un commentaire qui parle "d'actionnariat", de "lobby", de "groupes d'intérêt", éléments clairement identifiables à l'organisation capitaliste de la société indépendamment de toute appartenance confessionnelle.
Par Judith, le 07/06/2020 à 13h18 ( modifié le 08/06/2020 à 02h14 )
@Judith, je pense que vous faites de nombreux contresens historiques, anthropologiques et économiques. Évidemment si vous n'avez que des arguments moraux du genre "il est obscène de dire que X", nous sommes hors du débat rationnel, ça ne constitue pas un argument. L'exploitation des humains par d'autres humains et l'esclavage ne sont pas des inventions du capitalisme. Il est hasardeux d'assimiler des situations bien différentes en France (où les mariages "mixtes" sont parfaitement ordinaires) et aux USA (où les mariages "mixtes" sont exceptionnels), même s'il y a évidemment des ressorts communs au racisme un peu partout. Le renvoi des pauvres à une infériorité biologique prétendue (indépendamment de la couleur de peau), est une banalité à travers l'histoire (du sang bleu des nobles aux castes indiennes). La situation socio-économique en France est plus complexe que "les racisés sont toujours les plus pauvres", voir les derniers bouquins de Todd et Fourquet.
Il ne s'agit pas de nier le racisme décomplexé de la police et le mépris de classe éhonté des médias mainstream (car oui, j'en suis persuadé, c'est bien du mépris de classe plus que du racisme : on se souvient de certaines émissions sur les RMIstes picards), mais de réfléchir à partir des faits et pas à partir des ressentis. Or on parle beaucoup dans cette interview à coups d'affirmations péremptoires, mais sans jamais donner de détails (comme dans mon exemple sur le nombre de tués par la police : chaque mort est inacceptable, il est évident que le racisme y a son rôle, mais n'est-ce pas l'arbre qui cache la forêt?).
Mme Bouteldja n'est peut-être pas fonctionnaire, mais d'après Wikipedia elle est bien employée d'une institution publique, l'IMA. Oui, c'était une pique contre elle, mais pas une insulte.
Concernant le commentaire de M. Guiet je continue à le trouver incompréhensible, et douteusement allusif. Alors je ne comprends pas ce qu'il signifie à part qu'il ne veut pas être clair.
Par Florac Emmanuel, le 06/06/2020 à 17h42
@Florac Emmanuel
Capitalisme et structuration raciale de la société sont nés ensemble, dans le même mouvement ; l'accumulation primitive avait besoin de décréter l'infériorité essentielle de certains peuples pour les esclavagiser ou les spolier. On ne peut donc pas traiter l'un sans l'autre : l'anticapitalisme sans l'antiracisme politique* est un couteau sans lame. Que les plus prolétaires soient toujours les plus négativement racisés n'est pas un hasard, il est obscène de le formuler par un "il se trouve que" qui fait mine d'ignorer les corrélations profondes qui rendent interdépendants ces deux phénomènes systématiquement associés (surexploitation et racisation négative). Par ailleurs Houria Bouteldja n'est pas fonctionnaire. Enfin, les formulations employées par Jean-Michel Guiet, ("l'actionnariat qu'on nomme "société civile" ou "groupes d'intérêts" , dont un des avatars est "lobby") ne comportent pas d'autre allusion antisémite que celle que vous convoquez vous-même pour les interpréter à votre convenance, et de manière assez abjecte.
* L'antiracisme politique se distingue justement de l'antiracisme moral (celui de Amazon et de Bank of America) en ceci qu'il propose une analyse causale de la structuration raciale de la société, analyse dans laquelle l'anticapitalisme et l'anti-impérialisme occupent une place centrale. C'est dire combien, de bout en bout de votre commentaire, vous tapez complètement à côté.
Par Judith, le 05/06/2020 à 10h40
@Malagate : Il faut se rendre sur PayPal, y avoir un compte, cliquer sur envoyer (de l'argent) et taper cette adresse mail comme destinataire : urgence-notre-police-assassine@live.fr
Par Raphaël, le 05/06/2020 à 10h33 ( modifié le 05/06/2020 à 10h34 )
L'assimilation à la situation américaine est fallacieuse. Aux USA, 400 policiers meurent chaquent année, mais la police tue au moins 8000 personnes. En France, il y a 15 morts de policiers et 15 morts de civils. Notez le décalage: la violence n'est pas de même ampleur.
Remarquez qu'Amazon et Bank of America affichent fièrement "Black lives matter". C'est tellement pratique de parler de la race pour ne pas parler de l'exploitation capitaliste et de la lutte des classes...
Pas d'inversion de la causalité, s'il vous plaît: les exploités sont d'abord les prolétaires, et il se trouve que les prolétaires sont racisés. Mais Mme Boutledja, que je sache, qui n'a pas de mots trop dur pour "l'état colonial", est une fonctionnaire bien payée par cet état honni... C'est bien pratique, et pas très cohérent.
Plus ça va et plus je me méfie de ces "indigènes". Ils emploient même des mots douteux comme "collabeurs"... à force de se focaliser sur la race, ne devient-on pas raciste?
Je note que Jean-Michel Guiet dans les commentaires fait une fine allusion antisémite. Décidément, tout cela ne sent pas bon...
Par Florac Emmanuel, le 04/06/2020 à 22h07 ( modifié le 04/06/2020 à 22h08 )
Super merci pour les liens, ce serait bien de les mettre dans la description non ?
Par Philomène, le 03/06/2020 à 15h53
@Raphaël: bonjour, votre lien ne fonctionne pas. Est-ce possible de le modifier? Merci :)
Par Malagate, le 03/06/2020 à 11h14
Merci, merci, et merci.
Par Malagate, le 03/06/2020 à 11h11
Merci pour cette très belle émission :-)
Heureusement qu'il y a Hors Série, et DLT en particulier, pour donner la parole à une belle variété d'invités, toujours de très haute qualité, qu'on voit très peu ailleurs !!!
Comme ça a été dit par "Liliane", c'est d'utilité publique.
Un grand bravo bien mérité !
Par Nehemiah LPL, le 02/06/2020 à 22h22
Minute 59 , qui donne ses ordres à l'état ? C'est aspect est négligé.Nous le savons pourtant tous je crois , l'actionnariat qu'on nomme "société civile" ou "groupes d'intérêts" , dont un des avatars est "lobby".
Par Jean-Michel Guiet, le 01/06/2020 à 19h05
@ Philomène : pour le soutien https://www.paypal.me/ONPVP / pour l'application https://apps.apple.com/fr/app/urgence-violences-policières/id1493754560
Par Raphaël, le 01/06/2020 à 18h27
pour info une pétition pour le "refus de la loi visant à empêcher la diffusion des images de violences policières".
https://www.change.org/p/gouvernement-fran%C3%A7ais-refus-de-la-loi-visant-%C3%A0-emp%C3%AAcher-la-diffusion-des-images-de-violences-polici%C3%A8res
Par Pascal, le 01/06/2020 à 15h26
Est-il possible de partager par commentaire ou dans la description de la vidéo le lien de soutien financier à l'application UVP ? Merci.
Par Philomène, le 01/06/2020 à 12h32
"avec beaucoup d'amour et de bienveillance", je suis avec vous, avec nous.
Par Pascal, le 31/05/2020 à 14h47
Merci beaucoup pour cette émission. Le point terminologique de Mme Bouteldja est très éclairant quant à la politique inscrite dans nos mots, l'importance de bien nommer. Et l'application mobile de Mme Bentounsi est vraiment ingénieuse, à partager dans tous nos réseaux pour se défendre juridiquement ! Cela pourra peut-être résorber ma peur de retourner en manifestations ...
Par Philomène, le 31/05/2020 à 10h25
Brillant ! Passionnant !
D'utilité publique.
Grand merci !
Par Liliane, le 31/05/2020 à 09h31