Hors-Série
Arret sur Images
Me connecter
abonnez-vous


Bernard Herrmann, l'inconscient musical

Dans Le Film

Vincent Haegele

La scène du baiser dans Vertigo d'Alfred Hitchcock, avec ce lent travelling circulaire, nous bouleverse. C'est une immense scène d'amour, entre Judy-Madeleine (Kim Novak) et Scottie (James Stewart), mais plus intimement entre deux grands artistes : Alfred Hitchcock et Bernard Herrmann. Savoir qui, de la mise en scène ou de la musique, nous émeut le plus est impossible. Ici le cinéma devient un art total, où mise en scène et musique forment un tout organique : une symphonie filmée.

Il est d'autant plus bouleversant d'apprendre que la relation entre Hitchcock et Herrmann était houleuse, comme s'ils ne parvenaient à se comprendre qu'à travers leur art respectif : l'un est ses films, l'autre est tout entier dans sa musique et c'est à travers eux qu'ils dialoguent jusqu'à la fusion. Herrmann est comme la part impudique de Hitchcock, son analyste. Leur collaboration se termine d'ailleurs avec Marnie (1964) qui se clot sur une scène de psychanalyse sauvage. Pas de hasard...

Notre invité, Vincent Haegele, a publié l'unique monographie française sur le compositeur: Bernard Herrmann, un génie de la musique de film (Minerve, 2016). Il prend le parti très élégant et intelligent de raconter l'homme à travers son art. Divorce et décès sont expédiés en deux phrases, ce qui intéresse Vincent Haegele, historien de formation qui a aussi joué la musique de Herrmann, c'est de dresser le portrait intellectuel et artistique de Herrmann : l'influence du compositeur Charles Ives, son refus d'aller se former en Europe, ce mouvement de balancier perpétuel entre musique savante et musique populaire, opposition qu'il a finalement résolue en devenant un artiste travaillant pour la puissante industrie de Hollywood, en apprenant au monde entier à tendre l'oreille et à être ému. Un grand artiste de son temps, c'est-à-dire profondément démocratique.

J'ai commencé à parler du duo Hitchcock/Herrmann, mais, à la suite du livre de notre invité, cette émission a vocation à rendre hommage à toutes les facettes de Bernard Herrmann : il fut un grand chef-d'orchestre, un vulgarisateur et un pédagogue qui n'a jamais renoncé à composer en dehors du cinéma. Un homme colérique, fougueux, d'autant plus génial qu'il semblait infréquentable, profondément insatisfait des autres autant que de lui-même. Ces effusions de rage, son impuissance, ses accès de mélancolie, son "sens du passé", son hypersensibilité, Herrmann ne s'en est pas caché : il a tout livré dans sa musique. Revoir Citizen Kane, L'aventure de Madame Muir et L'affaire Cicéron de Joseph L. Mankiewicz, Psycho, La Mort aux trousses ou Marnie de qui vous savez, Sisters et Obsession de Brian de Palma, Taxi Driver de Scorsese....A la lecture du livre de Haegele et en revoyant les films on se demande qui de l'industrie de Hollywood ou de Herrmann était au service de l'autre. Ce que l'on peut dire, c'est que Herrmann a contribué à ce que la musique de films devienne  un art souverain ainsi qu'une part de notre inconscient collectif.


Quelques liens :

La Sinfonietta de Bernard Herrmann dont certains passages seront repris pour la musique de Psycho (1960)

Un portrait musical de Hitchcock par Bernard Herrmann

Un entretien (en anglais) avec Bernard Herrmann qui donne une idée du personnage (1975)

Les "114 songs" de Charles Ives

Dans Le Film , émission publiée le 31/08/2019
Durée de l'émission : 106 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

5 commentaires postés

Bonjour, quelqu'un a-t-il lu le bouquin et me pourrait me le preter ? B

Par Guillaume TARASSE-SOPHRONE, le 05/04/2021 à 16h58

Une émission tout à fait passionnante!

Par Moe 13, le 14/09/2019 à 08h18

j'avais hâte de vous retrouver . vos émissions sont un exceptionnel enrichissement

Par bernejo, le 13/09/2019 à 09h35

Vers 14', allusion aux accords interdits au Moyen Âge : s'il est question du triton - le "diabolus in musica" -, il s'agit d'une croyance démontée par les médiévistes, non non, les musiciens ne croyaient pas que la quinte diminuée étaient le siège du diable... Mais cette anecdote a été abondamment relayée, généralement au service de l'idée d'un Moyen Âge sale, moche et stupide. Fake dirait-on aujourd'hui.
(le groupe Black Sabbath par exemple en a astucieusement joué, mais on peut l'entendre de manière plus harmonieuse au début de la chanson "Maria" de West Side Story).

Murielle Joudet, j'aime personnellement beaucoup votre manière de mener les entretiens... Merci !

Par Pompastel., le 03/09/2019 à 17h32

belle évocation du parcours créatif de b herrmann, avec au sommet, "la trilogie du vertige" en conjonction géniale avec hitchcock.

la musique du film de p greenaway, "le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant" (1989) composée par m nyman est un grand souvenir d'une puissante mélodie... au service du macabre!

Par luc lefort, le 01/09/2019 à 14h51 ( modifié le 01/09/2019 à 14h53 )