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Il était une fois dans l'Ouest de Sergio Leone

Dans Le Film

Jean-François Rauger

Ca doit être moi, mais j'ai toujours trouvé l'intrigue d'Il était une fois dans l'Ouest d'une insondable complexité. Je suis allée le revoir au cinéma pour préparer l'émission: j'arrive en retard, je me glisse dans la salle, et là, je sens qu'il y a un truc bizarre: j'avais oublié cette longue séquence d'ouverture de douze minutes où trois hommes en cache-poussière attendent un homme. La bande son m'est apparue comme une sorte de petit concert bruitiste: le vent, la goutte d'eau, l'éolienne, la mouche...Morricone lui-même parlait de "sa meilleure partition". Je ne comprenais toujours pas l'intrigue, mais j'avais - je crois - compris ce que voulait faire Leone: nous perdre pour mieux qu'on ressente. Scorsese lui-même évoque le fait qu'il a du voir et revoir le film pour l'aimer follement, et qu'il ne comprenait pas cette lenteur désarmante dans laquelle baigne tous les gestes - il y voyait moins un western américain qu'un opéra italien.

Cette ouverture m'a donné la clé du film: on peut évidemment regarder Il était une fois dans l'Ouest pour son histoire (maintenant j'ai enfin tout compris), mais on peut aussi l'apprécier comme une pure expérience sensorielle qui puise dans le western classique pour en tirer des sensations, des gestes, des sons. Comme si, du western classique, il ne restait plus que la persistance de quelques images hallucinées: la silhouette noire de Henry Fonda, la sueur sur les fronts, des échanges de regards, des archétypes figés dans le temps, des duels qui s'étirent tellement qu'ils en deviennent des chorégraphies autonomes. C'est un western d'après la mort du western et qui tente pourtant, comme le dit très bien Christopher Frayling le biographe de Leone, de "retrouver quelque chose qui a été perdu puis retrouvé grâce à la mise en scène de sa simulation".

Pour le critique, c'est un défi assez intimidant de se plonger dans cette oeuvre, comme si à vouloir l'analyser on ne pouvait que s'y perdre. Alors dans cette émission on se perd, on déchiffre des bouts, on en laisse d'autres, on essaye de savoir d'où peut provenir une telle oeuvre, avec Jean-François Rauger pour fidèle éclaireur. S'il est entendu qu'Il était une fois dans L'Ouest est l'histoire de la fin d'un monde (l'Ouest sauvage rattrapé par le capitalisme et la civilisation), notre invité nous explique très justement que le film nous raconte aussi la fin d'un certain rapport au temps, bientôt englouti par la vitesse qu'induit le progrès et la construction du chemin de fer. Ce rapport au temps qui est en train de disparaître, c'est pour Sergio Leone celui du jeu, de l'aventure, de la fiction elle-même.

 

Dans Le Film , émission publiée le 10/11/2018
Durée de l'émission : 98 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

4 commentaires postés

Bel entretien, rythmé avec un choix de séquences illustrant des échanges de qualité où l'intervenant donne la mesure d'un courant cinématographique révélateur de notre rapport au temps, à l'espace, à l'imaginaire avec quelques archétypes d'acteurs. Un agréable moment. Merci

Par Astrid Dugoine, le 21/12/2018 à 17h44

A Yanne

Une phrase au moins m'a fait tiquer dans votre commentaire : "Elle ne sera pas souillée par Franck parce qu'elle est prostituée, et qu'elle est en mesure de passer sur son viol." Voulez-vous dire que le viol d'une prostituée, finalement, ce n'est pas si grave, parce que ces femmes sont habituées à ce qu'on utilise leur corps ?

A propos, je crois me souvenir qu'un des personnages du film ( le "Cheyenne", je crois), conseille à Jill d'aller voir de temps en temps les ouvriers du chemin de fer pour leur donner à boire... et de ne pas s'offusquer si l'un d'eux lui met une main aux fesses. Aujourd'hui, ce genre de propos - tenu par un personnage censé être sympathique - aurait du mal à passer - du moins l'espéré-je.....

Par J. Grau , le 12/11/2018 à 22h27

le duo m joudet-jf rauger toujours efficace pour envisager des chefs-d'oeuvre du cinéma; "le mépris","la règle du jeu","la cérémonie" cette émission sur "il était une fois dans l'ouest" le confirme.
tous les personnages du film sont touchants, mème les pires, mais ce sont les scènes entre cheyenne et jill que je trouve les plus belles.

Par luc lefort, le 12/11/2018 à 17h28 ( modifié le 12/11/2018 à 17h52 )

Autant je trouve que votre lecture est très intéressante, autant je ne suis pas d'accord sur un point : c'est le personnage de Jill.
Jill est la seule qui ne va pas mourir ni partir. Dans une histoire que je ne trouve pas si compliquée, elle est le noyau, la source où elle arrive. La civilisation, c'est aussi elle, dans sa face belle et agréable.
Elle est la seule à être belle et fraîche : tous les autres personnages sont enlaidis à dessein. La poussière du voyage leur colle à la peau et aux vêtements, pas à elle.
Henry Fonda, le beau/laid, humain/cruel, est une figure pathétique, ambigüe et violente. Les magnifiques variations des couleurs de ses yeux indiquent au bout du compte ce qu'il n'est pas : le personnage mythique des Raisins de la colère.
Jill est la femme qui vient de loin, et qui renie son passé pour être une autre. Elle ne sera pas épouse et mère (je n'ai pas vraiment senti ce qui est décrit, qu'elle veut s'enrichir), qui garde les photos de ses futurs enfants. Elle ne sera pas souillée par Franck parce qu'elle est prostituée, et qu'elle est en mesure de passer sur son viol.
Elle est forte, elle va survivre et rester, et sera la mère, celle qui va construire Rome, la louve (le Lupa latin, c'est aussi la prostituée) originelle qui abreuve les deux jumeaux fratricides. Mais ils sont morts ou partis. Le crime rituel qui fonde la ville a déjà eu lieu...

Jill n'est pas l'intruse, elle est le cœur.

En tout cas, tous ces extraits du film m'ont donné envie de le revoir...
Un très très grand film, sa lenteur et son originalité l'ont étonnamment empêché de vieillir.

Par Yanne, le 10/11/2018 à 17h37