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La puissance subversive de la psychanalyse

Aux Sources

Florent Gabarron-Garcia

Psychanalyse et subversion : voilà deux termes que l’on n’a pas idée d’associer, et pour cause. Les psychanalystes sont au mieux dépolitisés, au pire franchement réactionnaires, lorsqu’ils mettent leur savoir au service d’une cause homophobe ou qu’ils usent de leur autorité pour moquer la « régression infantile » qu'aurait été mai 68 et la « pulsion consommatrice » qui animerait les révolutions arabes. Pourtant, il n’en fut pas toujours ainsi. Florent Gabarron-Garcia, mon invité, est l’auteur d’un ouvrage décisif sur L’héritage politique de la psychanalyse (édition de la Lenteur, 2018). Comme l’indique le titre, à l’origine – l’Autriche des années 1920 – psychanalyse et socialisme furent étroitement associés. Freud encouragea à Berlin l’ouverture d’une policlinique prodiguant des soins gratuits aux plus démunis. Il plaçait ses espoirs politiques dans le social-démocrate Viktor Adler, un proche d’Engels dont Trotsky dressa un portrait élogieux. Les premiers disciples de Freud – Sandor Ferenczi, Otto Fenichel, Hélène Deutsch – étaient de fervents partisans du socialisme, parfois dans sa version la plus radicale, révolutionnaire. Wilhelm Reich dénonçait la répression du désir par les normes bourgeoises conservatrices. L’Internationale psychanalytique copia son modèle de fonctionnement sur celui de l’Internationale communiste. Partout, à l'époque, la psychanalyse se préoccupait de justice sociale.

Par la suite, et dès les années 1930, la psychanalyse renia sa puissance subversive. Elle prit ses distances avec les affaires politiques, elle se lava les mains des iniquités du monde pour se replier sur le triptyque papa-maman-et-moi, elle mit au pilori les voix dissidentes, elle prêta mains fortes aux préjugés misogynes et homophobes et elle se satisfit de devenir une clinique bourgeoise réservée à qui détient les moyens de payer trois séances par semaine. C’est du moins ainsi qu’évolua la psychanalyse dominante. En parallèle, des traditions minoritaires restèrent fidèles à l’intention émancipatrice de départ. Pour les freudo-marxistes, l’émancipation individuelle (que prodigue la cure en libérant l’individu de sa névrose) ne prend sens qu’en complément d’une émancipation collective (que prodigue la révolution qui libère l’humanité de l’exploitation capitaliste). Pour le psychanalyste Jean Oury, qui fonda en 1953 la clinique de la Borde dans un château en ruine du Loir-et-Cher, il convenait, en plus de soigner les patients, de soigner l’institution soignante, c’est-à-dire de réformer le fonctionnement des établissements psychiatriques, afin d’en finir avec l’enfermement des psychotiques. Comme Oury, Gilles Deleuze et Felix Guattari refusèrent eux aussi de réduire le fou au statut de « loque autiste, séparée du réel et coupée de la vie ». L’analyste doit se mettre à son écoute, se laisser affecter par son délire. Cette nouvelle clinique ouvre la voix à une nouvelle théorie, qui découvre les dimensions politiques et sociales de l’inconscient, au lieu de réduire ce dernier au champ familial

Cette contre-histoire de la psychanalyse est au cœur de l’ouvrage de Florent Gabarron-Garcia. Elle est rare, trop rare, et c’est pourquoi nous avons jugé nécessaire de lui consacrer une émission. On comprend alors qu’en renouant avec son héritage politique la psychanalyse contribue à subvertir le règne de la marchandise et de l’efficacité. Bon visionnage !

Manuel Cervera-Marzal

Aux Sources , émission publiée le 03/11/2018
Durée de l'émission : 84 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

10 commentaires postés

Je suis partagé et voici mon dilemne:

De par sa prépondérance dans les medias serieux à mes yeux (France Culture, ici à HS?, entre autre) et à mes souvenirs de lycée et de Philo, j'ai toujours cru en la pertinence de la Psychanalyse.
Je tombe sur cette emission et je la trouve egalement tres interessante.

Et puis au hazard d'un Article de Mediapart sur Lacan https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/041218/lacan-enseignait-la-psychanalyse-est-sans-effet-sur-la-connerie, je me suis mis a voir les autres articles de ce blogger/psychiatre ou il démonte scientifiquement la psychalalyse de Freud et Jung avec des sources claires et exhaustives à chaque fois.
https://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article294.

Celui-ci intervient avec d'autres psychiatres et psychologues internationaux ici:
https://www.dragonbleutv.com/reperes/147-les-deconvertis-de-la-psychanalyse et ou on recadre le "droit chemin" ici: https://www.dragonbleutv.com/reperes/83-les-fondamentaux-de-la-psychatrie

Des pistes pour garder un esprit critique pour une discipline qui apparemment ne séduit plus beaucoup dans le monde (à ma grande surprise) sauf dans l'Europe francophone et en Argentine.

Peut être que je me trompe et que je suis victime aussi. Dans ce cas las je voudrai avoir des liens qui puissent m'aider à comprendre sur la pertinence de la Psychanalyse, ou au moins ce qu'elle à vraiment apporté outre ce qui a été fait mention ici, ou pour la publicité.

Avec bienveillance et en attendant avec impatience vos prochains entretiens.

André






Par Andredge, le 11/12/2018 à 18h01

super emission, merci.

Par delphine b, le 16/11/2018 à 05h51

super emission, merci.

Par delphine b, le 16/11/2018 à 05h51

Passionnant Florent Gabarron-Garcia !

Par Paul Balmet, le 07/11/2018 à 11h48

Bonjour,
Tout ne peut pas être abordé en 1 heure 24.
Il faut de longues années de formation et de pratique pour se rendre compte de la complexité de l'inconscient,
et des difficultés auxquelles ceux qui s'y risquent sont confrontés. Penser les liens entre l'individu et la société
peut être mené en même temps, ou pas...
Un pan entier qui n'a pas été abordé dans cette rencontre c'est ce qu'est devenue la psychanalyse après son passage aux USA.
Au cours de son voyage pour s'y rendre Freud confiait à Ferenczi: "Ils ne savent pas que nous leur amenons la peste!"
A mon avis ils nous l'ont bien rendu.
Une autre vision consiste à dire que c'est le neveu de Freud (Edward Bernays: inventeur de la propagande aux USA) qui est,
là-bas, et donc partout maintenant, à l'origine de la manipulation de l'inconscient à des fins de marketing.
Nous avons du pain sur la planche ( et Pontalis, pour ceux qui connaissent!)
L'inconscient a tendance à se refermer quand on y pratique une ouverture.Souhaitons au capitalisme, qui n'est pas pour
rien dans ce mécanisme, qu'il lui arrive la même chose ...de façon définitive. On peut même aller au-delà du souhait, et l'aider un peu!

Par sanslesdents, le 06/11/2018 à 23h22

allongé sur le divan de cette émission, pour apprendre la définition de l'anti-oedipe, ou l'histoire de la clinique de laborde. sans trauma, ni aliénation psychique, mais forclos dans le refoulement castrateur... entre w reich et j lacan!

Par luc lefort, le 06/11/2018 à 16h57

Bon les gens faut arrêter de faire des entretiens intéressants là, ça va pas du tout !

(merci)

Par HBK, le 05/11/2018 à 20h01

"La folie est un avatar malheureux d'une juste protestation contre d'injustes contraintes" Lucien Bonnafé le désaliéniste ...merci pour cette rencontre, nous assistons à un recul réactionnaire ici aussi !
voir le site d'Armand Ajzenberg "78 000 malades mentaux morts dans les hôpitaux psychiatriques sous le régime de Vichy"
https://blogs.mediapart.fr/armand-ajzenberg/blog/031118/78-000-malades-mentaux-morts-dans-les-hopitaux-psychiatriques-sous-le-regime-de-vichy

Par morvandiaux, le 04/11/2018 à 15h46 ( modifié le 04/11/2018 à 15h47 )

Autant cette vision d'un psychanalyste est intéressante, autant est oubliée dans cette interview la valeur émancipatrice de la psychanalyse : Chez des athées, en cas de crise de nature psychologique, pouvoir se tourner vers un psychanalyste est un contrepoint, beaucoup plus efficace que la religion. C'est à la fois une façon de se reconstruire personnellement et de retrouver une belle qualité de lien avec ses semblables.
Le côté subversif de ce qui a conduit Freud à inventer la psychanalyse, en même temps que de grandes théories émancipatrices s'édifiaient, était indéniable.
Que la contre-réaction néo-libérale, qui est une construction idéologique destinée à faire de l'entrisme dans les théories de gauche pour les dévitaliser et les récupérer, soit aussi intervenu dans la psychiatrie psychanalytique, c'est évident.
Le problème, c'est que le néo-libéralisme est un système extrêmement élaboré que la gauche radicale peine à analyser, trop persuadée que les êtres humains sont fondamentalement libres, alors qu'évidemment, nous le sommes dans un cadre de contraintes contre lesquelles nous ne pouvons pas grand-chose. Notre construction psychologique en est une.



Par Yanne, le 03/11/2018 à 18h32

Passionnant ! Un sujet que je connais trop mal et l'occasion pour moi de découvrir la psychothérapie institutionnelle

Par Lou Fricker, le 03/11/2018 à 15h47