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Cannibales !

Dans Le Mythe

Mondher Kilani

Autant l’avouer d’emblée : je suis une petite nature. La seule vue d’une gouttelette de sang, d’un bout d’organe dégoulinant ou d’une quelconque matière visqueuse non-identifiée présente toujours des raisons amplement suffisantes pour me faire tourner de l’œil. Ces considérations personnelles étant désormais dévoilées, on se fera sans doute une idée assez juste de l’état psychologique dans lequel je me trouvais au moment de me lancer dans l’aventure de ce nouveau Dans le Mythe. Car il faut bien reconnaître que parmi les diverses catégories de l’horreur, l’imagerie cannibale a de quoi de tenir le haut du pavé.


Pas seulement coupable de tuer, de torturer ou encore d’assassiner en série, le cannibale fignole son crime en le doublant de l’outrage suprême : manger sa propre espèce – ce qui lui assure paradoxalement de s’en voir à jamais rejeté. Ainsi se forge le tabou cannibale : celui qui mange ses pairs ne mérite même plus de voir cette parenté reconnue. À la première bouchée de chair humaine, il est immédiatement exclu de l’humanité pour endosser les traits d’un monstre sanguinaire ou d’un sauvage aux mœurs primitives et irrationnelles.


Assez pour inspirer bon nombre de films avec lesquels il m’a été donné de « négocier » quelques scènes en détournant parfois les yeux et les oreilles du généreux festin de boyaux que l’on me proposait. Mais ruse n’est pas triche et au milieu de ce stratagème de détournement, j’ai aperçu quelquefois ce que le dégoût m’empêchait de voir. Car loin d’être seulement le thème de prédilection d’un cinéma « gore » où la gratuité de l’horreur s’abandonne à une surenchère nauséeuse, la bouche du cannibale qui dévore ne manque pas aussi de nous parler.

Et que de choses riches et insoupçonnées elle dissimulait sous ses crocs ! On ne manquera pas ainsi de remarquer la genèse coloniale de cette figure, longtemps incarnée par les peuples insulaires indigènes. À travers ce mythe, l’Occident chercherait alors à justifier son propre désir d’absorption de l’autre par sa projection dans un état ensauvagé. Le processus cannibale est enclenché : avaler l’autre pour mieux l’éjecter hors de soi… et le domestiquer. Du grand art, n’est-ce pas ?

Pas plus grand, cependant, que le travail vertigineux auquel s’est livré notre invité, l’anthropologue Mondher Kilani dans son récent ouvrage Du Goût de l’Autre. Fragments d’un discours cannibale (Seuil, 2018), ouvrage qui aura grandement inspiré cette émission. En suivant le fil d’un judicieux retournement de l’accusation, Mondher Kilani nous raconte l’épopée de cette figure hybride : ici, elle est une allégorie de l’engloutissement social et économique des faibles par les forts ; là, elle devient le visage de la passion amoureuse destructrice ; enfin, elle s'énonce sous la forme d’une interrogation existentielle : où situer la ligne de démarcation exacte entre Moi et l’Autre, celle qui permet à la fois la relation et la séparation ?

En compagnie de Mondher Kilani donc, Rafik Djoumi et moi-même avons exploré tous les soubassements métaphoriques, artistiques et politiques du mythe anthropophage. Pour l’occasion, on a rendu visite au très élégant Hannibal Lecter, affamé dans sa prison de verre, aux reporters disparus, probablement dévorés dans la jungle de Cannibal Holocaust ou encore au jeune Freder Frederson perdu dans les bas-fonds d’une Métropolis gloutonne. Bref, du cinéma, de la tripaille et de la pensée. Autant vous dire qu’on s’est régalés.

Louisa Yousfi

ATTENTION CERTAINES IMAGES PEUVENT HEURTER LA SENSIBILITÉ

Dans Le Mythe , émission publiée le 21/04/2018
Durée de l'émission : 97 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

16 commentaires postés

Un dernier mot: ça m'a donné envie de revoir Landru, M le maudit et un tas d'autres films.
Je crois que je vais bien dormir, les enfants.

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 22h59

C'est au 20 bis

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 21h47

Niggers and jews on my time

Je passais cool devant l'école de ma rue
Ou y a une plaque aux enfants qui en ont été déportés (je trouvait pas le mot)
Et une autre à la fraternité, l'égalité et la liberté
Quand j'ai vu deux paires d'yeux noirs briller

Il veut que je parle de lui alors Hell yeah
Alors ok, il a une teillebou vide à côté de son assiette
Et j'ai entendu un bruit d'assiette presque brisée
ça vibre dans mes oreilles comme du Bob Marley

Gap
Map

Je me demande qui encore est mouillé
J'ai une béquille, un mauser en héritage
Je suis son et leur otage, je viens de réaliser
Fuck, fuck, fuck, fuck, bam

Word up!
I'm scared like a crazy mother fucker
My wallet is empty and i smoke like a fairy chimney
Alas, if I leave, my poem will stink like shit
But I'll do it, the track is over, they're waiting for me



Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 21h26

J'ai gravé Hell on earth de Mobb Deep, et cà me titille de slamer un peu en mesure.
C'est reparti

Il doit tomber
comme il m'a fait tomber
Je vois sa queue nuit et jour
Et il m'a laissé avec un zob de ouistiti

J'ai la main gauche qui sent la merde
C'est ce qui arrive si tu touches la bouffe à daddy
Il doit tomber

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 20h40

C'est une sorte de semoule, seulement avé des grains plus gros et moins bons.

J'espère que je vous laisses. Salut à Jacques (pas le mort (ou alors bicentenaire) qui se ramenait chez nous les couilles dans les mains).

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 20h35

Pardon, c'était des sortes de nems qui ressemblent à des parties de poisson pané. Et ça sent plutôt bon. Je ne goûterai même pas. Je préfère le truc concassé qui n'a pas de goût (même pas de sauce tomâââte).

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 20h32

Mon esclave (mon beau-père) vient de m'apporter la bouffe. ça sent la poiscaille, maintenant.
Il m'oblige à écrire.


Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 20h30

Ce que j'écris devient moins intéressant. ça doit être la maestria de Mozart qui m'inhibe.

Est-ce que le vieux Hopkins est encore en vie? En tout cas, moi, mon papa (qui s'y connaît en marmites) est mort. Ma reum étranglée m'a même emmené à son enterrement, alors...

J'aimerais tant (c'est presque un rêve, que les keufs viennent faire un tour ou je creche... Je cohabite rue Boileau.

Voilà, c'était Mozart.

Votre site est vraiment bien foutu. Très beau, magnifique.

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 20h29

Des murs, des murs!

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 20h22

Une feuille à rouler dans le tiroir (c'est Amadeus, maintenant, et ça vient de chez moi).
A quoi reconnaît-t-on un anthropophage qui se planque? Est-ce à sa façon obstinée de manger comme un porc (rôti), ou à sa manière de mettre des cadavres de bouteilles de pinard dans le frigo?

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 20h21

Ah! Le mec est en bas et il me lit peut-être.

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 20h15

Je publie ceci avant de lire les autres commentaires... pour une fois.
Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à porter ostensiblement des pompes de cuir?? Est-ce que je me ballade avec un scalp de buffle sur la tetê?
Qu'est ce que je dis si vous me dites cannibales? Je vous dit "Anthropophage".
J'ai un parâtre fasciné par le deuxième voyage de Colomb, et subitement intéressé par le cannibalisme, les jolies petites filles, et plein d'aut' choses. J'espère que Prince est au ciel avec son Pc ou son Mac.Phase 1.


Du goût de l'Autre?

Je n'ai pas le sou (aujourd'hui) pour m'acheter un ou deux bouquins qui me titillent et que j'ai envie de dévorer (je ne mange pas de papier, bêêêê). Béatrice Dalle mérite mes excuses (c'était au Bains Douches que je me suis comporté comme un con....). Je me dis, commenr Prince fait-il pour composer d'aussi belles et parfois d'aussi moyens morceaux? Hum...

Alors comme ça, Colomb (le "découvreur" de l'amérique, tout de même) (où était-ce des Indes?) aurait suivi une rumeur pour faire un rapport fructifiant au Roi et à la Reine? Suis-je surpris? Et quid des rumeurs qu'il eut été lui-même un esclavagiste? Quelqu'un pour m'aguïller?
(Ouff! le Riff de Kiss! Wendy et Hugues doivent être aux anges...

Des cris dans la cour...

Je vous laisses.

Par Diego Montes, le 21/07/2018 à 20h12

Superbe simplement superbe. Je sens que je vais regarder plusieurs fois.
Cerise sur le gâteau: Il y aurait -il moyen de rendre dispo toutes vos futures emissions en podcast?
La-bas si j'y suis, y arrive bien, et c'est top.
En attendant la prochaine!

Par Andredge, le 23/04/2018 à 22h17

Une étonnante actualité: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1096678/mort-canadien-perou-meurtre-guerisseuse-autochtone-arevalo-woodroffe#container-anchor

Par Jean-Michel Guiet, le 23/04/2018 à 15h29

Merci pour cette émission très riche.

J'aurais deux petites remarques : je trouve dommage que la discussion soit simplement un suite d'aspects du thème. La problématisation identité/altérité aurait pu mieux structurer l'ensemble de l'entretien, notamment dans sa seconde partie : je trouve la conclusion - si conclusion il peut/doit y avoir - pauvre voire inexistante, on reste un peu sur notre faim ... La seconde remarque est que vous aviez annoncé une dimension amoureuse de la question. Elle affleure dans l'analyse d'Hannibal Lecter mais elle n'est pas traitée pour elle-même, or je trouve qu'elle est relativement centrale : le rapport de possession (indu ?) qu'il y a dans la relation amoureuse qui culmine dans le "fait de ne faire qu'un" charnellement jusqu'à la possibilité de mettre au monde un enfant ! La partie développée - insuffisamment - par Rafik Djoumi sur l'allaitement est passionnant. La dimension métaphysique de la dialectique création/destruction qu'implique la figure cannibale joue son plein à ce niveau-là, et le fait que les réalisateurs des derniers films sur cette figure soient des réalisatrices peut être intéressante (je suis consciente de la nécessité de calibrer la vidéo en un temps limité mais j'attendais bcp de cet aspect là). Peut-être que Mondher Kilani l'aborde dans son livre ?

En tous cas je vous remercie. Avec la vidéo de la semaine dernière de François Cusset sur la violence, la dimension philosophique des entretiens refait surface, ça fait plaisir.

Par Philomène, le 21/04/2018 à 20h41

Très intéressant !
Il est dommage que vous n'avez pas expliqué la soudure que constitue "Beignets de tomates vertes", entre les films des années 70/80 et les films de femmes, plus tardifs.
Dans ce film, certes tiré d'un roman, on ne fait pas mystère, même si c'est suggéré plus que filmé, que les clients du restaurant vont manger à leur insu, et d'ailleurs penser que "c'est le meilleur barbecue qu'ils aient jamais mangé", dit le shérif qui enquête sur sa mort, le mari violent et harceleur qui a été empêché radicalement de tuer son épouse.
Ce film retourne le paradigme originel : pour se protéger, on mange l'agresseur, accessoirement celui qui voulait voler l'enfant, donc l'avenir, ce qui a l'avantage de faire disparaître la trace du crime, et un monde d'entraide, de poésie et de douceur peut continuer d'exister.Ce film a ouvert la voie aux grands combats féministes d'aujourd'hui A noter qu'aucune femme n'a tué, c'est un autre homme qui l'a fait.

Par Yanne, le 21/04/2018 à 16h06