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Anarchist in the UK

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David Graeber

Avant que David Graeber n’accepte l’invitation de Hors-Série, je n’avais lu de lui que deux ouvrages ; les deux plus courts disponibles en français. L’un consacré à Occupy Wall Street et l’autre à l’anthropologie, sa discipline d’appartenance. J’avais ainsi évité de me coltiner le plus volumineux de ses livres : 5 000 ans d’histoire de la dette. Pour l’occasion, j’ai donc englouti cette enquête monumentale. J’y ai découvert comment, derrière la prétendue évidence morale selon laquelle « il faut toujours payer ses dettes », se cache une violence insidieuse : la domination des créanciers sur les débiteurs. Ceux qui ont souscrit un jour à un prêt pour acheter leur véhicule, régler leurs factures ou payer leurs études connaissent cette violence, cette crainte de ne pouvoir rembourser, ils connaissent l'épée de Damoclès tenue par leur banquier. Le cas des pays africains, qui continuent de payer à leurs anciens colonisateurs une dette dont ils ont déjà remboursé vingt fois le montant initial, prouve combien l’endettement repose toujours sur un rapport de forces. Comme le dit le proverbe : « Si tu dois 100 000 dollars à la banque, elle te tient. Si tu lui en dois 100 millions, tu la tiens ».

Je me suis également plongé dans le dernier ouvrage de Graeber, consacré à la bureaucratie. Avec une ironie mordante et des montagnes de données, l’auteur montre combien le néolibéralisme, qui se présente comme un remède aux lourdeurs de l’Etat, pousse au contraire à son paroxysme la bureaucratisation de nos existences. « Toute initiative gouvernementale conçue pour promouvoir les forces du marché aura pour effet ultime d’accroître le nombre total de réglementations, le volume total de paperasse et l’effectif total des agents ». L’Etat néolibéral ne manque jamais d’imagination pour rédiger des lois qui interdisent les semences artisanales, les monnaies alternatives et les solidarités collectives. Et, pendant qu’il se débarrasse de ses enseignants et de son personnel hospitalier, il octroie des milliards à des officines privées auxquelles il confie d’inutiles missions de consulting et de dangereuses missions de surveillance. Mais le libéralisme ne se contente pas d’intensifier la bureaucratie étatique ; il en fait de même pour la bureaucratie privée. Qui a été trimbalé deux heures au bout du fil pour résilier un contrat sait combien les multinationales constituent des labyrinthes au moins aussi anxiogènes que les administrations publiques.


Au cours de notre entretien, nous avons discuté des quatre ouvrages mentionnés à l’instant, ainsi que de la révolution espagnole de 1936, de la lutte des Kurdes au Rojava, de Michel Foucault, de Donald Trump, et d’autres choses encore. Sur chacun de ces thèmes, David Graeber expose sa pensée avec une clarté exemplaire. J’ai été frappé, en le lisant comme en l’écoutant, par le fait que David Graeber est un homme entier. Il n’y a pas d’un côté l’anthropologue et de l’autre l’activiste, il n’y a pas de séparation entre celui que le New York Times décrit comme « l’un des intellectuels les plus influents du monde » et le type en tee-shirt qui se ballade au festival de la CNT. David Graeber fait fusionner la figure du chercheur et celle du militant. Et c’est peu dire que le mélange porte ses fruits ! Je vous laisse en juger…

Manuel Cervera-Marzal 

En accès libre , émission publiée le 26/08/2017
Durée de l'émission : 82 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

17 commentaires postés

Encore une super interview sur Hors Série. Merci Hors Série !!!

Par PIERRE-NICOLAS CHERADAME, le 04/09/2020 à 22h42

Je viens de finir cette excellente émission et horreur je viens d'apprendre que D. Graeber vient de mourir, étrange sentiment…

Par Patrick, le 03/09/2020 à 18h20 ( modifié le 03/09/2020 à 18h21 )

MERCI !!!
Effectivement, Bureaucraty se lit très facilement. En dehors de ses idées, D. Graeber a l'infinie politesse d'écrire dans un langage accessible, truffé d'exemples concrets, ce qui derait être tout ouvrage de vulgarisation,conçu pour améliorer la compréhension d'un phénomène ou concept.
Un autre de ses livres, court (117 P.) mais très explicite, "la démocratie aux marges", Edts LE BORD DE L'EAU, La bibliothèque du Mauss,

Par christine forget, le 01/10/2017 à 15h58

Génial. A chaque fois c'est un cadeau ces entretiens.

Une remarque, à 24 min : "politiciens d'extrême gauche". Non ? Vraiment, cette traduction de "far left politicians" ?

Par Spawn, le 16/09/2017 à 15h03

excellent graeber, comme souvent. 2 remarques pour les internautes d'HS :
1/ son livre bureaucracy se devore facilement, et le chapitre sur les super-heros et la catharsis est géniale;
2/ en gros fan de B. Briot, j'aurais aimé que Manuel CM suggère au constat sans réponse de "des emplois à la con et en co;l blancs se créent alors qu'on a moins besoin de trimer" la notion capitaliste d'emploi comme pilier seul admis comme créateur de valeur car autorisant du profit, ce qui explique ; l'inflation d'emplois (meme à la con) avec son marché si moralement utile, la où le travail devrait etre reconnu dans le salaire attaché à la personne et donc déconnecté de l'emploi. Bref, Judith B. et son interview de Friot le développent mieux que moi.

Par damien Astier, le 02/09/2017 à 23h03

je suis époustouflée par la qualité de l'invité . c'est d'une telle densité qu'il faudrait que je réécoute cette rencontre exceptionnelle meri merci

Par bernejo, le 02/09/2017 à 21h14

super!

Par theztul, le 02/09/2017 à 20h35

super!

Par theztul, le 02/09/2017 à 20h33

Respect total à l'équipe de Hors-Série pour ce moment de pensée complexe (qui n'est pas l'apanage de Jupiter) mais pas compliquée, juste virevoltante et stimulante. Un entretien remarquable en tout point.

Par Westrum, le 02/09/2017 à 01h48

Bravo pour cette interview qui pose avec un naturel désarmant des questions fondamentales sur le travail, la monnaie et assène (enfin un peu) des analyses percutantes sur Foucault ou la victoire de Trump.

Par Robert., le 01/09/2017 à 18h50

Miam !

Par Jean-Michel Guiet, le 01/09/2017 à 14h58

Toutes ces idées sont étourdissantes, et très intéressantes, mais je ne suis pas sûre d'avoir tout compris.
Cette façon de faire voleter des concepts difficiles à appréhender dans leur totalité, et les rattraper au vol, j'ai du mal...

Entre nous, la CNT, avec tous ses bourrins, ils ont dû rester bouche bée.

Par Yanne, le 28/08/2017 à 21h40

J'ai trouvé cette interview passionnante : les questions étaient claires et ont fait parcourir l'œuvre particulièrement prolifique de cet anthropologue. David Graeber m'a apporté de nouveaux angles de réflexion sur plusieurs sujets (la bureaucratie, la dette, l'intérêt du consensus dans la démocratie, la violence dans des mouvements citoyens, la monnaie, etc.). Il a une façon très pédagogique de traiter une question, en alternant humour, théorie, anecdotes personnelles et images.
Je suis ravie de ce qu'il m'a apporté comme pistes de réflexion. Merci à Manuel Cervera-Marzal pour cet entretien !

Quel est le livre de David Graeber que vous conseilleriez en premier (en anglais ou français) ?

Par Sarah Proche, le 27/08/2017 à 21h17

sinon, c'était passionnant, merci à David Graeber et à toute l'équipe.

Par Marie LABAT, le 26/08/2017 à 18h26

J'ai du mal à piger cette histoire de dette qui une fois remboursée deviendrait de la dette privée.

Par Marie LABAT, le 26/08/2017 à 17h07

désolé : je ne parle pas anglais et j'ai des difficultés pour lire les sous-titres, j'espère qu'un jour un anthropologue français sera invité...il en existe et de nombreux.

Par morvandiaux, le 26/08/2017 à 14h45

bonjour
Formidable éclairage de l'instrumentalisation de la dette. Sur le même theme, l'ouvrage de Nicolas Sersiron "Dette et Extractivisme" est aussi d'une pure clarté, fourmillant d'exemples éclairants, comme celui de Haïti. Et sa notion d'Extractivisme est lumineuse.
bruno

Par bruno, le 26/08/2017 à 12h34