Blindtest #10
Diagonale Sonore
Naïssam Jalal
Raphaëlle Tchamitchian
Il est des personnalités qui tracent farouchement leur chemin en-dehors de tout sentier battu, sans compromission, avec ténacité voire nécessité. Active depuis une petite vingtaine d’années, la flûtiste et compositrice Naïssam Jalal résiste à toute catégorisation simpliste. Quand elle n’improvise pas avec son quintet cosmopolite Rhythms of Resistance (Osloob Ayati, 2015 ; Almot Wala Alamazala, 2016 ; Un autre monde, 2021), elle enregistre avec Osloob, un rappeur palestinien (Al Akhareen, 2018), construit un répertoire original avec treize musiciens égyptiens (Om Al Aagayeb, 2019) ou se lance dans une collaboration avec le joueur de oud Hazem Shaheen (Liqaa, 2018). Faute de mieux, en France on la range dans la catégorie « jazz », c’est-à-dire en fait dans la catégorie « ni chanson, ni rock, ni vraiment musique écrite, ni complètement musiques du monde, ni… ». Bref, dans la catégorie de la musique libre, indépendante et, dans ce cas précis, engagée.
Albums dédiés Aux résistances (2009) et aux combattants de la révolution syrienne (Almot Wala Alamazala), hommage au philosophe marxiste Daniel Bensaïd (« Lente impatience ») : Naïssam Jalal est connue pour ses prises de position que d’aucuns qualifieraient de radicales, et qu’à Hors-Série on trouve simplement sensées. Sur son site, une page « Tribune libre » prend position sur l’actualité et/ou sur des expériences quotidiennes d’injustice, de racisme, etc. Née en France de parents syriens (aujourd’hui naturalisés Français), elle a grandi en région parisienne avant d’arpenter des grandes villes du monde arabe — Damas, Le Caire — en quête de ses origines et, du même coup, de son identité musicale. De ces voyages initiatiques est née une musique ouverte sur le monde, en particulier sur les traditions arabes et indiennes, ainsi qu’un profond attachement à la diversité des imaginaires.
Face à toute cette colère, une autre voie s’est progressivement dessinée dans son parcours musical. Avec Quest of The Invisible (2019) puis Healing Rituals, Naïssam Jalal fait de la musique un endroit de soin, d’apaisement et de guérison. Sorti au début de l’année, Healing Rituals a été pensé dans le prolongement de ses expériences de jeu dans des hôpitaux, mais au-delà il s’agit de faire de la musique une nourriture vitale pour survivre dans un monde injuste. L’album rassemble ainsi huit rituels imaginaires (rituel la rivière, du vent, de la colline, de la brume, etc.) visant à reconstituer par le son la sensation provoquée au contact de ces éléments naturels. Ce disque méditatif agit comme un baume, et fait une large place au silence — ce silence particulier qui, tapi au creux du son, est encore de la musique.
Raphaëlle TCHAMITCHIAN
En concert le 13 octobre à Toulouse, le 19 à Nancy, le 26 à Paris et le 17 novembre à Rennes. Plus d’infos : https://naissamjalal.com/en-concert/