Blindtest #7 : Mozart était une femme
Diagonale Sonore
Aliette de Laleu
Raphaëlle Tchamitchian
24 juin 1805. Création d’un opéra inédit au Théâtre de l’Opéra-Comique (Paris), La Méprise volontaire ou la Double Leçon. Comme il était alors d’usage, le nom du compositeur, dévoilé à la fin de la première, n’est pas connu. Les musiciens de l’orchestre sont conquis, le public est enthousiaste, toute la petite société vibre de louanges sur le génie inconnu. Mais, lorsque le compositeur s’avère être une compositrice — Mlle Le Sénéchal de Kercado, une jeune femme de 19 ans — tout le monde fait volte-face. Surprise, amertume. Les « vieux admirateurs » boudent la pièce, les « élégants » décident qu’il n’est « pas possible que l’œuvre provienne d’une femme », et les musiciens de l’orchestre la dénigrent auprès de la direction. Joué une dizaine de fois, l’opéra est retiré du répertoire, et Mlle Le Sénéchal de Kercado disparaît des radars.
Cette histoire, rapportée par Aliette de Laleu dans Mozart était une femme (éditions Stock, 2021), qui reflète particulièrement bien l’absurdité de la misogynie ordinaire, est emblématique du traitement réservée aux femmes par la musique classique. Quand on pense à la tradition écrite, on pense aux « grands hommes » qui ont contribué à façonner la culture européenne : Wolfgang Amadeus Mozart, Jean-Sébastien Bach, Ludwig van Beethoven… Jamais à Elisabeth Jacquet de La Guerre, Louise Farrenc ou Lili Boulanger. Dans son livre, la journaliste Aliette de Laleu retrace depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui le parcours de ces femmes oubliées.
Compositrices, cheffes d’orchestre, chanteuses ou interprètes, certaines ont dû créer dans l’ombre d’un homme (Clara Schumann, Fanny Mendelssohn), d’autres sont en leur temps devenues de véritables stars (Maria Malibran, Ginette Neveu), d’autres encore ont endossé le rôle moins fragilisant de professeur et de pédagogue (Hélène de Montgeroult, Nadia Boulanger). Mais qu’elles aient été célèbres ou non à leur époque, elles ont sciemment été rayées des livres d’histoire, et ont quasiment toutes disparu de l’imaginaire collectif. Du Moyen-Âge à l’époque contemporaine en passant par le baroque et l’opéra, ce septième blindtest s’attache à mettre en lumière quelques unes de ces figures, et trace un chemin féministe dans l’histoire de la musique européenne savante de tradition écrite — la musique classique.
Raphaëlle TCHAMITCHIAN