Blindtest #3
Diagonale Sonore
Edward Perraud
Raphaëlle Tchamitchian
Vous voyez les morceaux qui introduisent chacune de nos émissions ? Les « tschhhh tchak tac tac tac pffff bim brrrrr uuuuuh j’ai perdu mes lunettes j’ai perdu mes lu-lu » ? Et bien c’est Edward Perraud qui les a faits, en duo avec la chanteuse Élise Caron. Après un premier album sorti en 2012, Bitter Sweets (d’où sont extraits nos génériques), le duo voix/batterie vient d’en sortir un deuxième, Happy Collapse (Quark records). On y retrouve leurs improvisations explosives, leur goût du mélange, leur folie douce.
Depuis des années qu’il sillonne les scènes (plus ou moins) underground de France et de Navarre, Edward Perraud est passé de la frange la plus radicale de la scène improvisée européenne à une musique mélodique, colorée et hétérogène. À la forme jazz s’allie une énergie rock et des accents pop — ce qui est vrai de beaucoup de musiciens de jazz français contemporains, quoique dans des équilibres et des assemblages différents. La singularité d’Edward Perraud, c’est son jeu vibratoire, presque chamanique, qui (nous) plonge à l’intérieur du son. Sur scène, il devient homme-orchestre : entouré de tout un tas d’objets divers et variés (bols, fils, clochettes, arc, chaînes… en plus des habituels toms et cymbales), il fait craquer, sonner, vrombir, frotter, cliqueter sa batterie, à tel point que, parfois, on ne sait plus où commence ni où finit l’instrument. Cette profusion a néanmoins un envers : la creusée du silence, l’exploration du vide, l’écoute au présent.
À l’image de la musique d’Edward Perraud, cet entretien marche sur le fil entre écoute et discours, profusion et silence, vide et plein. À mesure que l’on traverse les styles et les époques, une subjectivité artistique se dessine et des questionnements émergent : ça serait quoi, une musique marxiste ? Qu’est-ce que ça veut dire exactement, « composer » ? Comment définir une belle musique ? Au passage, Perraud nous offre une leçon de jazz, compare les jeux de ses prédécesseurs et commente telle ou telle composition, en empruntant tout autant à la pop qu’à la musique indienne. Le but du voyage ? Habiter le son, comme on habite le présent. John Coltrane disait vouloir jouer de la musique comme un arbre fait pousser des feuilles, naturellement, sans effort. J’aime à penser que c’est comme cela qu’est née cette discussion.
Raphaëlle TCHAMITCHIAN
Discographie sélective :
Edward Perraud, Hors Temps, Label bleu, 2021
Das Kapital, Vive la France, Das Kapital records, 2019
Edward Perraud, Espaces, Label bleu, 2018
Edward Perraud Quartet, Synaesthetic Trip 2, Quark records, 2015
Avec Philippe Torreton, « Mec ! », Tacet, 2015
Thomas de Pourquery Supersonic, Play Sun Ra, Quark records, 2014
Edward Perraud solo, Préhistoire(s), Quark records, 2010
Edward Perraud & Frédérick Galiay, Big Pop, Artmalta l’étrange sonothèque, 2008