Le rap, une esthétique hors-la-loi
Diagonale Sonore
Bettina Ghio et Christian Béthune
Raphaëlle Tchamitchian
Moi, j'aime pas tellement le rap. Chaque fois qu'on m'en conseille, ou que tout le monde s'enthousiasme pour un(e) artiste, je me dis : allez, va voir, le rap, c'est LA musique populaire d'aujourd'hui, tu ne peux pas passer à côté de ça. En plus, moi qui suis si passionnée de culture africaine américaine, il n'y a aucune raison que je ne tombe pas dedans : le rap est un héritier direct du jazz, des musiques noires, et plus largement de toute la culture africaine américaine, des dirty dozens (un jeu qui consiste à s'insulter mutuellement pour rigoler) à la figure du gangster/hustler (l'arnaqueur) qu'on retrouve depuis les contes folkloriques des esclaves, en passant par ce rapport si particulier à l'oralité, comme l'explique bien Christian Béthune.
Et puis je suis marseillaise. Toutes mes années collège ont été bercées par IAM et la Fonky Family (la FF !). Dans le rap français, on trouve des trésors d'invention langagière, explorés en détails par Bettina Ghio. Qui aurait cru que l'on puisse tracer une filiation directe entre Booba et les troubadours médiévaux ? Que Doc Gynéco s'identifie à Cyrano de Bergerac ? Bien des morceaux sont de véritables poèmes (même si les premiers intéressés prennent soin de s'en défendre) qui n'ont rien à envier à Georges Brassens ou Léo Ferré (avec qui Bettina Ghio fait aussi des rapprochements). Est-ce que ce n'est pas à cause de leur attitude "hors-la-loi", selon Christian Béthune (à qui j'emprunte le titre de cette émission), plus qu'à cause du contenu de leurs textes, que les rappeurs sont disqualifiés d'office du monde de l'art ? Est-ce que ce n'est pas leur manière de scander plus que ce qu'ils scandent qui rebute ? Car, finalement, ce qui fait politique dans le rap, c'est moins le contenu des paroles ou le positionnement explicite de ses auteurs que sa forme, l'esthétique à contre-courant qu'il propose, et qui remet en question notre vision de "l'art".
Bibliographie
Christian Béthune, Le rap, une esthétique hors-la-loi, Autrement, 2003
Christian Béthune, Pour une esthétique du rap, Klincksieck, 2004
Bettina Ghio, Sans fautes de frappe, Rap et littérature, Le Mot et le Reste, 2016