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Ma très grande mélancolie arabe

Dans le Texte

Lamia Ziadé

(émission conçue et animée par Louisa Yousfi) 

Qui saurait résumer l’œuvre de Lamia Ziadé ? Il suffit de lire les quatrièmes de couverture de ses récits illustrés pour jauger la gageure. Toutes commencent par « Dans ce livre, il y a » suivi d’une énumération vertigineuse, foisonnante, chaotique des « choses » qu’on y trouve : « des résistants tués, des révoltés abattus, des leaders assassinés, des enfants massacrés, des nationalistes pendus (…) il y a la plume, le mot, le verbe, l’éloquence, il y a le discours et le slogan, l’étendard et le combat, et il y a les attentats, des processions, des funérailles, des cortèges, des pleurs. Et aussi des colonnes, des chapiteaux, des gisants, des sarcophages. Des tombeaux phéniciens, des nécropoles romaines, des pyramides égyptiennes. Il y a des blasts d’explosion. Il y a du sang, des soupirs, des larmes, de la poussière, de la fumée, des bris de verre, des décombres, la désolation l’exil, l’agonie la tragédie, le deuil. Des couronnes, des fleurs, des rubans, des chants, des youyous. Il y a un siècle au Proche-Orient. »

Rien que ça.

En vérité, les livres que Lamia Ziadé, plasticienne et illustratrice franco-libanaise, sont de véritables compositions miraculeuses qui retracent l’histoire du monde arabe en une infinité de dimensions : la grande histoire mêlée à l’autobiographie, les grands discours politiques aux anecdotes, les choses de l’enfance aux armes de la guerre, les sites historiques aux foyers domestiques. En bref, une histoire augmentée du Moyen-Orient, tissée cependant à partir d’une "pulsion d'archives" profondément politique : l'enjeu est de raconter l'histoire de cette région de l'intérieur d'elle-même dans l'objectif de conjurer l'oeil occidental qui n'a eu de cesse de la déformer en fonction de ses propres intérêts. Ainsi, sous la plume et le trait de Lamia Ziadé, les "terroristes" palestiniens deviennent des résistants, les "dictateurs arabes" ont droit à leur complexité morale, les "accords de paix" se revèlent être des arrangements désastreux entre puissances occidentales sur le dos du peuple arabe, et la fameuse "résilience" des Libanais est surtout une affaire de profonde conscientisation politique qui refuse de laisser le dernier mot à l'ennemi. 

Retentons le résumé : une histoire politique, sensible, intime, esthétique, mélancolique du monde arabe. Mais aussi et surtout remise à l'endroit. 

Louisa Yousfi 

Bibliographie : 

Bye bye Babylone (POL,2010)

Ô nuit, ô mes yeux (POL,2015)

Ma très grande mélancolie arabe (POL,2017)

Mon port de Beyrouth (POL,2021)

Mentionné dans l'émission :

Mahmoud Darwich, La Terre nous est étroite, et autres poèmes, 1966-1999, NRF, 2000.

Dans le Texte , émission publiée le 04/09/2021
Durée de l'émission : 75 minutes

Regardez un extrait de l'émission