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Impérialisme : état des lieux

Dans le Texte

Benjamin Bürbaumer

Il y a quelques semaines, la question des guerres que nous livrons loin de « chez nous » a brusquement fait retour dans le débat public. Plusieurs tribunes remarquables ont été publiées, qui examinaient l’éventuel lien de causalité entre les frappes militaires menées par les armées occidentales dans les pays de la « périphérie » et les attentats terroristes ensanglantant les pays du « centre ».

Sur un plateau télé, j’avais en effet émis l’hypothèse de ce lien de causalité ; mal m’en avait pris - j’avais ensuite été l’objet d’un vigoureux lynchage symbolique sur les réseaux sociaux, rhabillée évidemment en « islamogauchiste » par Valeurs Actuelles et Causeur, promise à toutes sortes de sévices corporels par la fachosphère qui hurlait à « l’apologie du terrorisme », et remise à ma place par tout un secteur à prétentions intellectuelles qui jugeait très déraisonnable que je m’abaisse ainsi à ressortir les vieilles lunes de l’anti-impérialisme.

Vieilles lunes, vraiment ? Que le concept d’impérialisme ait plus de cent ans d’âge, qu’il ait été largement discuté dans certaines périodes à forte intensité polémique – au début du XXème siècle, puis dans les années 70, par exemple – c’est certain. Mais il semble ensuite avoir été enseveli par l’irruption de la notion de mondialisation, formée dans les années 80, qui est depuis devenue la seule grille analytique des relations internationales dans leur dimension économique. Au passage c’est toute une théorie explicative des guerres qui a été marginalisée, comme si les conflits armés qui ont endeuillé tant de peuples depuis les années 90 n’avaient strictement rien à voir avec les enjeux du capitalisme global.

« Guerre propre », « frappes chirurgicales », menées au nom de valeurs universelles censées justifier toutes les ingérences militaires, ces opérations armées se sont certes donné des airs très respectables qui ont permis à l’opinion publique de détourner les yeux ; il n’y a d’ailleurs souvent pas grand-chose à voir tant nous sommes tenus ignorants du nombre de morts causés par nos armes et nos armées, loin des caméras des médias occidentaux. Mais cette invisibilisation relative ne doit pas nous faire ignorer que ces conflits persistent, que nous y avons notre part, et que les enjeux économiques y sont décisifs ; bref : ce n’est pas parce qu’on ne débat plus de l’impérialisme que c’en est fini de l’impérialisme.

J’ai donc voulu remettre ce concept au coeur de la discussion, en compagnie de Benjamin Bürbaumer : auteur chez Amsterdam d’un livre intitulé Le Souverain et le marché, Théories contemporaines de l'impérialisme, il est particulièrement à même de proposer un état des lieux de ce concept trop longtemps négligé. Son ouvrage propose en effet un passionnant parcours à travers les différentes périodes d’élaboration théorique de la notion, depuis ses fondateurs au début du XXème siècle – Lénine, Rosa Luxemburg… - jusqu’aux débats contemporains opposant l’idée d’un post-impérialisme à celle d’un super-impérialisme.

Les divergences actuelles entre les différentes approches théoriques, qui interrogent notamment le rôle des Etats-Unis (compétiteur capitaliste parmi d’autres ou chef d’orchestre du capitalisme global), la fonction des Etats-nations (rivaux entre eux ou garants fidèles de l’accumulation du capital transnational)… n’ont rien pour nous dissuader de nous réapproprier ces analyses. Elles permettent en effet de mesurer combien l’hypothèse du libéralisme, selon laquelle le libre-échange planétaire, en favorisant le commerce des hommes, serait un élément d’homogénéïsation pacificatrice, est peu convaincante ; elles soulignent au contraire combien le capitalisme, même globalisé, continue d’opérer selon une logique d’expropriation permanente qui ne peut se passer de la violence armée. 

Judith BERNARD

Dans le Texte , émission publiée le 26/12/2020
Durée de l'émission : 77 minutes

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