(émission conçue et animée par Louisa Yousfi)

« Sans l’Afrique, les diasporas africaines n’ont pas d’identité, sans les diasporas, l’Afrique perdrait de vue aussi bien l’ampleur de sa contribution passée et actuelle à notre monde que l’étendue mondiale de ses responsabilités. » Cette citation de l’historien Elikia M’Bokolo citée en introduction de l’ouvrage Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme (La Découverte, 2014) touche en plein cœur l’essence de cet immense projet révolutionnaire qui naquit au sein des millions et des millions d’âmes et de corps noirs déportés en captivité du continent africain vers les Amériques et la Caraïbe et qui formeront peu à peu une diaspora historique, arrachée à la terre de ses ancêtres, exploitée, déshumanisée, éclatée à travers le monde, et pourtant continuellement en lutte pendant près de deux siècles.

Réunir ce qui a été séparé, unir ce qui a été éclaté, retrouver ce qui a été enlevé: telle est l’ambition de départ du panafricanisme qui rassemblera sous ce vocable l’ensemble des luttes de résistances du peuple noir et des populations africaines sous toutes les dimensions politiques, culturelles, philosophiques, idéologiques… Du mouvement de libération du peuple noir en proie à l’esclavage au mouvement politique des pays africains engagés contre le colonialisme aux diverses luttes antiracistes menées par les afro-descendants, le panafricanisme se pose alors comme une véritable contre-histoire de l’Occident, lui révélant « d’en face » son véritable visage : celui d’une barbarie sans nom qui s’est abattue sur le peuple noir, marquant son destin à jamais. La traite négrière, l’esclavage, le colonialisme, le néocolonialisme… cette histoire qui devait l’anéantir et la réduire au silence, « la famille africaine mondiale » n’a jamais cessé de se la réapproprier et de la transformer en histoire de résistances, de fierté et de dignité : de la négritude au mouvement rastafari, de la Harlem renaissance au Black Panthers Party, d’Antonin Firmin à Martin Luther King, de Marcus Garvey à W.E.B Du Bois, de Malcolm X à Thomas Sankara, de Kwame Nkrumah à Cheik Anta Diop…

Ce n’est rien moins que tout cela que nous raconte l’historien Amzat Boukari-Yabara dans cet ouvrage-somme qui s’appuie sur la mémoire dynamique des luttes panafricaines pour dresser une fresque réconciliatrice de ses différents visages en commençant par la figure centrale de la révolution haïtienne, véritable phare dans la nuit pour les luttes qui vont suivre. Si le propos d’Amzat Boukari-Yabara est d’une densité vertigineuse, il a la vertu d’être parfaitement clair car politiquement engagé. Il s’adresse à tous mais aussi, et peut-être surtout, à toutes les forces vives du panafricanisme qui font face aujourd’hui à de nouveaux défis et oeuvrent toujours pour faire advenir une Afrique unie, puissante et souveraine.

Enfin, l’histoire s’écrivant aussi au présent, nous avons voulu consacrer un temps d’échange sur la crise sanitaire qui, sous les faux semblants humanitaristes d’une Europe en crise prétendant vouloir aider l’Afrique face au virus, nous renseigne à de maints égards sur les liens de domination raciale et économique qui persistent entre la France et ses anciennes colonies. En ces temps de contagion, c'est là une discussion de salubrité publique.

Louisa Yousfi