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Hirak en Algérie : un an !

Dans le Texte

Omar Benderra

Ils marchent devant nous : en termes d’expérience politique, le peuple algérien est en avance sur nous, peuple de France. Un régime autoritaire, qui triche et qui ment, brutalise ses opposants, offre une façade démocratique pour mieux persister dans la capture oligarchique du pouvoir et de la richesse, les Algériens connaissent ça depuis plus de trente ans. Ils ont même des mots qu’on devrait leur emprunter : pour dire l’insupportable mépris des dirigeants contre leur peuple, mêlant abus de pouvoir, arbitraire, humiliation et injustice, ils ont ce mot-là, la hogra. Apprenons-le, il va nous être utile.

Ils ont déjà tout enduré, ne se sont émancipés de la tutelle coloniale que pour retomber dans celle d’un pouvoir militaire ayant hérité des pires méthodes du colonisateur, ont subi la mascarade d’une pseudo-démocratie pendant des décennies, le vol de leur révolution, de leur histoire, de leur richesse et de leur souveraineté, et les voilà debout, vent debout contre le régime, depuis un an, jour pour jour. De vendredi en vendredi, depuis le 22 février 2019, ils marchent dans les artères de toutes les grandes villes, par centaines de milliers, dans cet éblouissant soulèvement qu’on appelle le Hirak : ça veut dire « mouvement ».

Déclenché par la risible annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat présidentiel – alors que depuis son AVC en 2013, il est grabataire et n’apparaît que sous les espèces d’une momie en fauteuil roulant, et nul n’ignore qu’il n'est que le pantin que les dirigeants militaires ont choisi pour déguiser leur capture intégrale du pouvoir et de la richesse du pays – le mouvement n’a pas connu de relâche, en dépit des victoires partielles qu’il a d’ores et déjà obtenues. De la candidature de Bouteflika, il n’est désormais plus question, et quelques hommes d’affaires et dignitaires du régime ont été incarcérés, pour donner des gages aux foules réclamant la fin de la corruption.

Pas de mollissement non plus du mouvement devant les tentatives du régime pour diviser le peuple, pour rhabiller le Hirak en une « révolution de couleur » téléguidée par des mains étrangères, ou pour réprimer quelques figures identifiées comme des leaders. Mais de leaders, au fond, il n’y a pas vraiment : il n’y en a pas besoin, quand tout un peuple est allé au bout de ce qu’il pouvait endurer, et perçoit à l’unisson que l’heure a sonné de reprendre sa souveraineté.

Et bien sûr comme dans tous les soulèvements du monde, la question se pose, de l’alternative qui pourra en sortir : quel projet de société, quelle opposition aujourd’hui, capable d’en faire vivre les institutions demain ? C’est pour aborder ces questions et revenir sur cette passionnante séquence que je reçois Omar Benderra : il a co-dirigé le formidable ouvrage collectif qui paraît à la Fabrique, Hirak en Algérie, l’invention d’un soulèvement. Un recueil d’articles mêlant analyses et témoignages, retraçant le passé algérien autant que le présent de son soulèvement, qui se dévore comme un roman – souvent noir – et comme un manuel politique bourré d’enseignements, notamment en ceci qui devrait en faire le vademecum de tout aspirant révolutionnaire : c’est la plus belle leçon de résilience qu’il m’ait été donné de lire. 

 Judith Bernard.

Dans le Texte , émission publiée le 22/02/2020
Durée de l'émission : 72 minutes

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