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Samuel Fuller, l'homme à fables

Dans Le Film

Jean Narboni

N'importe quelle ouverture d'un film de Samuel Fuller serait une parfaite introduction à son oeuvre : le style est toujours vif, percutant, et nous n'avons pas besoin de plus pour accepter de prendre, avec lui, le train de la fiction. The Naked Kiss (Police Spéciale, 1964) par exemple : sur une musique jazzy, une femme bat un homme dans un champ-contrechamp turbulent qui demanda beaucoup d'astuce à Fuller et à son chef-opérateur (une caméra accrochée au dos d'un assistant...).


Il ne faut pas aller bien loin pour comprendre d'où lui vient cette fureur du geste, cette capacité à faire exister des personnages en une scène, cette fièvre. Samuel Fuller commence à travailler à 12 ans pour un journal, à 17 ans il est le plus jeune reporter criminel des Etats-Unis. Il écrit des romans et devient ghost writer pour Hollywood avant de rejoindre la 1ère division d'infanterie de l'armée des Etats-Unis, la Big Red One. Il débarque : en Afrique du Nord, en Sicile, en Normandie. Avec une caméra offerte par sa mère il filme la libération du camp de Falkenau. Il revient aux Etats-Unis, réalise une vingtaine de films qui, il suffit de les voir, sont aux origines du cinéma de Martin Scorsese, pour ne citer que lui.

Alors, son goût de l'action, il se retrouve évidemment dans sa propre vie. Ou plutôt devrait-on dire : dans le récit de sa propre vie. Car Fuller était un immense conteur, d'où ce goût de l'adresse et de l'efficacité, qui est, chez lui, non pas un désir de divertir bêtement mais un profond respect pour le spectateur et son attention. C'est ce que nous explique Jean Narboni, grand spécialiste du cinéma de Samuel Fuller, et qui l'a aussi longuement interviewé au printemps 1984 en compagnie de Noël Simsolo, ce qui a donné le premier ouvrage français sur le cinéaste, "Il était une fois...Samuel Fuller" (éd. Cahiers du cinéma).


Les deux ouvrages sont absolument complémentaires, l'un recueille l'art du récit enflammé de l'homme à fables, l'autre est une suite de petits chapitres incisifs qui ont bien retenu la leçon du style fullerien : aller droit au but, ne pas s'attarder.

Cette rapidité du geste nous dit que, finalement, derrière le Fuller cinéaste rien ne se perd du Fuller journaliste : l'homme décoche les plans à la manière du reporter qui ferait tinter à toute allure sa machine à écrire, cigare au bec, pressé par l'heure de la deadline, excité par tout ce qu'il a à consigner. Et qui nous raconterait quoi ? L'histoire de l'Amérique : la guerre, le journalisme, le racisme, le mal et l'innocence brûlée. Tout ce que sa propre vie raconte déjà, Fuller l'a déversé dans ses films. Avec un goût et une affection prononcés pour les petites frappes, les bas-fonds, les marginaux et la sueur sur les fronts. Un cinéma sans afféteries, sale, direct, fait de camaraderie et de violence extrême - une violence que se partagent également, paritairement, hommes et femmes.

La violence filmée les deux yeux grands ouverts par un cinéaste qui la détestait. Car Jean Narboni revient en détails sur le Fuller moraliste et la morale qui sous-tend son oeuvre : la pédagogie, la volonté d'informer, la nécessité impérieuse d'éduquer les plus jeunes générations. Si filmer Falkenau fut le premier geste du cinéaste, il fut aussi, on s'en rend compte, son geste fondateur. Fuller est pédagogue, moraliste mais sans une once d'idéologie. Il est tellement peu idéologue que tout a pu être dit sur son compte: qu'il était nazi, raciste, fasciste, misogyne. C'est tout l'inverse et les films parlent d'eux-mêmes. Il n'y a plus besoin de vous le prouver, mais on a voulu quand même le faire.

Dans Le Film , émission publiée le 04/05/2018
Durée de l'émission : 81 minutes

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