Spécialiste reconnu de l’Allemagne et en particulier du nazisme, l’historien Johann Chapoutot publie en ce mois de février un livre dont l’actualité ne peut malheureusement que sauter aux yeux, intitulé Les Irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? Les irresponsables, ce sont ces élites allemandes – patronales, politiques et militaires notamment – qui favorisèrent de multiples manières l’arrivée au pouvoir des nazis. Et c’est bien là l’un des apports fondamentaux de ce livre : rompre avec une représentation courante et facile qui se contente de faire de la « crise » (financière, économique, sociale, politique) l’explication du nazisme et de son succès, voire qui en rejette la faute sur les classes populaires et la gauche, notamment communiste.
Avec Johann Chapoutot, on analyse donc la mécanique d’accession au pouvoir d’un parti qui, quelques années seulement avant la nomination de Hitler au poste de chancelier, n’était encore qu’un groupuscule sans influence. Ce sont pourtant bien les nazis qui parviennent au pouvoir le 30 janvier 1933, en profitant surtout de politiques d’austérité impopulaires, d’une situation devenue ingouvernable, de complicités nombreuses au sein de la classe dominante allemande mais aussi de la médiocrité de leurs adversaires sociaux-démocrates. Ce parcours vers le pouvoir, avec les conséquences terribles que l’on sait, ne peut que stimuler la réflexion sur le temps présent, dans un contexte d’accélération de la montée des extrêmes droites à l’échelle mondiale et de ralliement au néofascisme de pans entiers de la classe capitaliste.
Documentant finement les soubresauts de la conjoncture, ce livre salutaire permet en outre de souligner la primauté de la lutte politique, tant il montre que rien n’était joué d’avance, que les nazis auraient pu ne pas parvenir au pouvoir, que leur ascension était résistible et leurs crimes évitables. En scrutant ainsi la politique allemande à la loupe, du printemps 1930 au début de l’année 1933, Johann Chapoutot nous rappelle que d’autres trajectoires politiques étaient possibles mais que les tentatives de barrer la route aux nazis se heurtèrent non seulement aux stratégies mesquines de personnages sans envergure, sinon carrément insignifiants, mais surtout aux intérêts de groupes sociaux puissants, déterminés à en finir avec la démocratie parlementaire et les conquêtes sociales de la classe ouvrière allemande.
Ugo PALHETA
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