Pourquoi Mélenchon va gagner en 2027

Ecrit avant l’audition de Jean-Luc Mélenchon par la commission d’enquête sur l’entrisme islamiste, audition où le chef de file de la FI s’est montré magistral (de l’aveu même de ses adversaires), cet article examine le scénario très plausible d’une présidentielle 2027 où le candidat insoumis passerait non seulement le premier tour, mais serait élu à la présidence. Alors que les éditocrates annoncent déjà sa défaite face à Jordan Bardella, les données électorales, la recomposition du champ politique et la sociologie du pays racontent une autre histoire. Bloc macroniste en miettes, « gauche raisonnable » sans base populaire, appareil insoumis rodé comme aucun autre, jeunesse massivement à gauche : la plupart des curseurs se déplacent dans son sens. Loin des fantasmes médiatiques et des sondages d’opinion commandités par les oligarques qu’il menace, cet article défend une idée simple : la victoire de Mélenchon est désormais le scénario le plus probable.

Politique

Jean-Luc Mélenchon constitue, pour l’ordre établi, une menace d’une rare intensité. Les grandes fortunes, dont l’influence s’exerce bien au-delà de leurs entreprises, voient dans ses propositions fiscales et sociales une remise en cause frontale de leurs intérêts. Bernard Arnault ou Vincent Bolloré comprennent parfaitement qu’un gouvernement appliquant la lutte contre les oligopoles, la taxation massive des dividendes et la démocratisation des médias porterait atteinte à des positions héritées depuis des décennies. Les forces de l’ordre savent également que Mélenchon est l’un des rares responsables politiques à dénoncer explicitement les violences policières et à proposer des mécanismes institutionnels pour les prévenir et les sanctionner. Les tenants du productivisme et ceux qui profitent de l’écocide redoutent la planification écologique des insoumis, pensée pour rompre avec l’impunité climatique. Enfin, les partisans du macronisme – qu’il s’agisse des élites politiques qui ont bénéficié du quinquennat ou de ceux qui profitent de la casse sociale menée au nom de la raison – identifient en lui le seul adversaire capable de renverser l’ordre qu’ils ont patiemment construit.

Le candidat qui dérange

C’est pour ces raisons qu’il est depuis dix ans la cible de tentatives de disqualification systématiques : tantôt présenté comme un chef autoritaire, tantôt comme un agent d’influence poutinien, tantôt comme un antisémite qui s’ignore, il est aujourd’hui attaqué sur un tout autre terrain. On ne conteste plus ses idées, son programme, ni même sa stratégie. On affirme simplement qu’il serait battu d’avance au second tour face à Jordan Bardella.

Cet argument révèle moins la faiblesse supposée de Mélenchon qu’il ne dévoile la vacuité doctrinale de ses rivaux, incapables d’articuler une critique de fond et condamnés à répéter les prophéties de cabinets de sondage appartenant à des groupes possédés par des milliardaires ou par des individus dont l’accointance avec l’extrême droite est dûment documentée. Ces instituts se sont lourdement trompés pour les législatives de 2024 – sur 31 sondages réalisés, 31 donnaient le Rassemblement national vainqueur, devant le Nouveau Front Populaire. Aucun d’entre eux n’a présenté le début d’une excuse. Aucun n’a procédé à la moindre réforme de ses « méthodes » (les guillemets s’imposent à la lecture de la récente enquête d’Hugo Touzet, qui dévoile le vide abyssal sur lequel repose leurs données). Il serait naïf, et coupable, de leur accorder une autorité prédictive sur une configuration aussi inédite qu’un duel entre la gauche radicale et l’extrême droite.

Une progression électorale continue mais sous-estimée

Pour comprendre pourquoi l’hypothèse d’une victoire de Jean-Luc Mélenchon en 2027 est la plus probable, il faut revenir à la réalité des dynamiques électorales. En trois candidatures présidentielles, Mélenchon a constamment progressé, en nombre absolu de voix comme en pourcentage. De 11 % en 2012, il est passé à près de 20 % en 2017 puis 22 % en 2022, manquant le second tour d’un cheveu : 420 000 voix. Cette trajectoire ascendante résulte certes de facteurs exogènes – l’affaissement historique du Parti socialiste, la crispation identitaire du Parti communiste, l’absence de cohérence au sein d’EELV – mais aussi d’un travail stratégique extrêmement structuré. En 2017 comme en 2022, la majorité des électeurs se déclarant plus à gauche ou plus à droite que Mélenchon ont pourtant voté pour lui. Pour de vastes pans de l’électorat, Mélenchon est devenu le point d’agrégation, la figure centrale autour de laquelle se recompose l’espace de la gauche.

Ce phénomène, observé ailleurs en Europe, répond à une double dynamique : le discrédit des partis de gouvernement incapables de proposer une issue sociale à la crise économique, et la montée de nouvelles mobilisations syndicales, féministes, écologistes, populaires et antiracistes dont les revendications infusent aujourd’hui l’agenda politique. La France insoumise a capté cette énergie, elle a construit un corpus doctrinal et programmatique compatible avec ces attentes.

Février 2025 (source : page Facebook de Jean-Luc Mélenchon)

Le spécialiste de la remontada

À cette évolution structurelle s’ajoute un phénomène récurrent des campagnes mélenchonistes : sa montée en puissance tardive. Ce qu’il a lui-même théorisé sous le nom de « tortue sagace », et que les fans de football qualifient de remontada. Historiquement, Jean-Luc Mélenchon réalise l’essentiel de sa progression dans les six derniers mois précédant l’élection. Les courbes de 2017 et de 2022 montrent des hausses de quinze points sur cette période – ce que ne fait aucun autre candidat. Dans le dernier mois, il peut engranger presque dix points. Les ressorts sont connus : ses talents de débatteur, sa capacité à créer des contrastes nets lors des grands rendez-vous télévisés, l’inventivité et l’ampleur de ses meetings, et le recours au porte-à-porte de ses nombreux groupes d’action produisent une dynamique cumulative unique en France. Déjà en 2017, chaque débat majeur lui apportait deux à trois points. En 2022, malgré une concurrence accrue due à la candidature de Fabien Roussel, les tendances furent similaires. Les meetings ont été des dispositifs de mobilisation massifs et spectaculaires, de l’hologramme aux meetings olfactifs, répliquant une mécanique parfaitement maîtrisée.

Cette montée tardive s’explique aussi par la sociologie de son électorat. Les jeunes, les classes populaires, les abstentionnistes intermittents, n’apparaissent dans les sondages qu’à partir du moment où ils commencent à s’intéresser aux débats. Leur intensité participative est faible hors période électorale. Les enquêtes d’opinion les sous-représentent systématiquement. Ainsi, les mêmes enquêtes surestiment l’extrême droite et sous-estiment le vote insoumis. Rien d’étonnant donc à ce que Mélenchon démarre bas : son électorat est, en dehors des échéances électorales, statistiquement invisible. De là découle une évidence analytique : les sondages de décembre 2025 ne nous apprennent rien sur les dynamiques de mars-avril 2027.

            Mélenchon est aujourd’hui placé à 13% par les sondeurs. A la même période, pour les deux précédentes présidentielles (c’est-à-dire 18 mois avant les scrutins de 2017 et de 2022), il était mesuré à 8% – soit cinq points de moins. Si sa trajectoire des dix-huit prochains mois suit la même courbe ascendante qu’en 2017 et 2022, il finira à environ 26% en mai 2027, un score synonyme de qualification assurée pour le second tour.

            Au même (ca)niveau que les sondages erronés, il convient de rappeler les fausses prophéties journalistiques, qui sont moins des prévisions fondées sur des faits que l’expression de désirs à moitié avoués. Après l’épisode des perquisitions au siège de la France insoumise, en octobre 2018, les grands médias ont répété durant deux ans que la carrière politique de l’intéressé était définitivement enterrée ; à la présidentielle suivante, il surclassait une nouvelle fois le reste de la gauche. La même « mort » lui avait été annoncée lorsqu’avant la présidentielle de 2017 il avait émis l’hypothèse d’une sortie de l’UE.

La fragmentation du bloc macroniste, une fenêtre d’opportunité historique

            Un autre élément, rarement analysé à sa juste mesure dans les prévisions actuelles, concerne la conjoncture politique, et plus précisément l’état d’effritement avancé du bloc central construit autour d’Emmanuel Macron depuis 2017. Ce bloc, qui avait rassemblé une partie de la droite, le centre et l’aile gestionnaire du Parti socialiste, n’a jamais constitué une force idéologiquement unifiée. Il reposait sur la conjonction improbable entre un rejet momentané des partis traditionnels, l’adhésion des élites économiques à un projet néolibéral décomplexé et la personnalisation extrême du pouvoir autour de la figure d’un président jeune, disruptif et au capital symbolique alors intact. Or ce capital s’est plus que dégradé. Il s’est abaissé à un niveau record dans l’histoire du pays : 11% de confiance en novembre 2025. Et contrairement à l’idée que cette usure serait simplement le produit d’une décennie d’exercice du pouvoir, tout indique que la fragmentation actuelle résulte aussi d’un calcul stratégique du président sortant.

Il est désormais établi – par une série d’enquêtes journalistiques convergentes – qu’Emmanuel Macron a souhaité et encouragé, directement ou indirectement, la victoire du Rassemblement national lors des législatives de 2024. La dissolution a été décidée dans des conditions qui, de l’aveu même de certains proches du président, avaient moins pour objectif de clarifier la situation parlementaire que de provoquer un choc politique dont le RN sortirait vainqueur. Les appels passés à des candidats pour qu’ils retirent leur candidature dans certaines circonscriptions stratégiques, la passivité assumée de la majorité présidentielle face aux triangulaires défavorables au camp progressiste, et les consignes contradictoires envoyées aux fédérations locales ont construit un scénario où le RN devenait le maillon d’une stratégie de long terme. L’hypothèse la plus plausible est désormais la suivante : Macron ne souhaite pas qu’un héritier naturel s’impose à la tête de son camp, que ce soit Édouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin ou François Bayrou. Il sait que toute figure trop solide, trop autonome, qui s’installerait à l’Elysée, serait susceptible de lui fermer la porte d’un retour. En favorisant l’éparpillement et l’affaiblissement de son propre bloc, il laisse ouverte la possibilité d’une recomposition ultérieure (en 2032) où il reviendrait comme recours face à une droite extrême arrivée au pouvoir mais en situation d’échec.

Dans ce contexte, l’extrême centre est plus fragmenté que jamais. Édouard Philippe, malgré une image d’homme d’État, n’a ni parti structuré ni base militante ; Gabriel Attal est prisonnier de son identification au macronisme ; Gérald Darmanin mise sur un électorat réactionnaire qui lui préfère déjà le RN ; et François Bayrou ne dispose plus d’aucun crédit depuis son passage à Matignon. Aucun de ces prétendants n’est en mesure d’incarner un pôle suffisamment large pour empêcher leur dispersion et forcer ses rivaux à se retirer. Le bloc central se présentera désuni en 2027, s’annihilant mutuellement et rendant extrêmement improbable la présence d’un candidat macroniste au second tour. Ajoutons à cela que tout candidat de ce camp portera le fardeau de son prédécesseur, désormais désavoué par ses soutiens les plus fidèles et, surtout, par les segments de la population qui constituèrent pourtant sa base électorale en 2017 et 2022. Cette absence d’un pôle centriste crédible et unifié constitue une des données les plus déterminantes pour l’élection à venir : elle ouvre mécaniquement un espace pour un duel Mélenchon–Bardella (ou Mélenchon – Le Pen).

Une concurrence inconsistante

Du côté de la gauche, les candidatures alternatives – Glucksmann, Tondelier, Ruffin, Autain – ou celles de fossiles que certains rêvent encore de ressusciter – Hollande, Cazeneuve, Royal, Duflot – bénéficieront d’une visibilité et d’une bienveillance médiatique certaines. Les grands groupes de presse, appartenant à des puissances économiques hostiles à LFI, ont tout intérêt à fabriquer une « gauche raisonnable », rassurante pour les marchés, inoffensive pour les oligarques, et docile sur les sujets européens et géopolitiques. Ce scénario n’est pas nouveau : on l’a vu en 2017 avec Benoît Hamon, porté un temps comme incarnation d’une social-démocratie combative avant de s’effondrer ; en 2022, avec Yannick Jadot ou Christiane Taubira, dont les dynamiques médiatiques n’ont jamais trouvé de traduction populaire. Les raisons sont les mêmes : ces candidatures manquent d’un programme structuré, d’un appareil militant robuste, d’une cohérence idéologique, et surtout de l’ancrage social nécessaire pour dépasser un public composé essentiellement de diplômés urbains. Elles ne disposent pas de l’infrastructure indispensable pour mener une campagne présidentielle dans la durée : pas de réseau territorial significatif, pas de corpus doctrinal travaillé, pas de capacité de mobilisation numérique ou physique. Même portées artificiellement par les médias mainstream, ces figures ne parviennent pas à transformer l’essai dans la durée.

En face, Mélenchon s’appuie sur un appareil qui, depuis 2016, a acquis une solidité sans équivalent dans le champ politique français. LFI n’est plus le mouvement « gazeux » des premiers temps, ni le parti en manque d’implantation territoriale qui enjambait à contre-cœur les élections municipales de 2020 : c’est désormais une organisation structurée, dotée d’un groupe parlementaire nombreux, d’équipes d’assistants rodées à la production législative et communicationnelle, d’un outil intellectuel – l’Institut La Boétie – capable de produire des notes doctrinales et programmatiques de haute qualité (outil que d’autres, à gauche, tentent d’imiter), d’un réseau de cadres formés, d’une stratégie numérique maîtrisée, et d’une capacité logistique impressionnante. L’élaboration du programme L’Avenir en commun, travaillée depuis dix ans et enrichie par des consultations régulières avec experts, ONG, associations et professionnels, a donné naissance à un document cohérent, reconnu y compris par ses adversaires comme le plus complet, le mieux chiffré, le plus sérieux de l’offre politique française. Cette base programmatique, pensée pour durer, assortie d’une quarantaine de livrets thématiques, confère à Mélenchon une longueur d’avance que ses concurrents auront du mal à combler.

Dans ces conditions, la qualification de Mélenchon pour le second tour apparaît comme un scénario très probable. L’impopularité et la fragmentation du centre, l’absence d’assise populaire de la gauche décaféinée et le savoir-faire accumulé par les insoumis offrent à leur leader un boulevard.

Reste la question du second tour lui-même.

Un second tour inédit et une dynamique démographique favorable

Les sondeurs affirment que Mélenchon serait écrasé par Bardella. Mais ces prédictions n’ont aucune validité scientifique. Les instituts se trompent régulièrement sur des élections simples, dans des configurations connues et maintes fois répétées. Ils seront encore plus démunis face à un duel totalement inédit : jamais dans l’histoire de la Ve République un candidat de gauche radicale n’a affronté un candidat d’extrême droite au second tour. Les comportements électoraux dans une telle situation ne relèvent d’aucune loi préexistante.

On peut craindre que les électeurs LR basculent massivement vers le RN : c’est déjà le cas aujourd’hui. On peut anticiper qu’une partie des dirigeants macronistes se rallient à Bardella ou appelle à « faire barrage à Mélenchon » ; ce qui revient au même. Mais les électeurs centristes sont moins alignés sur leurs élites qu’on ne le croit. Une part d’entre eux demeure attachée à l’État de droit, à la séparation des pouvoirs, à l’indépendance de la justice et aux libertés individuelles. Pour ces électeurs, Mélenchon représente, malgré la longue liste de reproches qu’ils lui adressent, une menace moins grande que l’arrivée au pouvoir d’un parti ouvertement illibéral. Quant à l’électorat social-démocrate ou libéral-libéral (culturellement et économiquement), celui qui se reconnaît dans Glucksmann, il peut détester Mélenchon, il peut le vouer aux gémonies lors des diners de famille et des afterworks entre collègues, mais dans l’isoloir, seul avec lui-même, face au risque d’un basculement autoritaire, il se comportera rationnellement : il votera pour la gauche, fût-elle bruyante, radicale, populiste ou même « poutinienne » ; il le fera par prudence autant que par intérêt.

Mélenchon devra impérativement recentrer son discours, peut-être aussi son programme, pour conquérir au second tour les orphelins de Glucksmann et de Macron. Ce recentrage, il l’a déjà amorcé. Le « bruit et la fureur » de 2010 se sont progressivement atténuées. Le dialogue a été renoué avec des représentants du patronat, l’attache a été prise avec des gradés de l’armée, des collaborations peu visibles mais bien réelles sont à l’œuvre avec un bataillon de hauts fonctionnaires. Mélenchon et ses lieutenants misent désormais sur le sérieux institutionnel, la compétence technique et la respectabilité étatique, tout en conservant la capacité à incarner la radicalité impulsée par les mouvements sociaux et désirée par leur électorat populaire. Concilier ces deux registres n’est pas chose facile. L’art de préserver l’ambiguïté n’est pas donné à tout le monde. Mais cet art caractérise la trajectoire politique du leader insoumis, ex-militant mitterrandien, ex-sénateur socialiste et ex-ministre de Jospin d’un côté, mais aussi tribun de la révolution citoyenne, théoricien du dégagisme et désormais pourfendeur des violences policières et du génocide à Gaza. La faculté caméléonesque de Jean-Luc Mélenchon – chacun voit en lui ce qu’il veut y voir – est un atout considérable.

Enfin, si la victoire de Mélenchon apparait plus probable que jamais, cela tient aussi au fait que la France ne s’est pas droitisée, en tout cas pas dans les proportions que la droite tente de nous faire croire. Les jeunes générations penchent massivement à gauche, et les valeurs de tolérance et d’égalité progressent y compris chez les segments les plus âgés dont le vote va pourtant à Macron ou Fillon. Mélenchon est le seul candidat dont la base s’appuie sur les classes d’âge en expansion démographique. Le temps joue pour lui.

Une France politiquement de droite mais sociologiquement de gauche

Depuis plusieurs décennies, un paradoxe travaille la France : le pays vote majoritairement à droite mais sa population pense de plus en plus à gauche. Si l’on se limite aux résultats électoraux et aux sondages mis en scène sur les plateaux télé, on croit assister à une inexorable droitisation du pays. Mais dès qu’on quitte ce regard myope pour observer les évolutions de long terme des valeurs – génération par génération, en suivant des dizaines d’enquêtes accumulées depuis les années 1980 – le décor se renverse. Sous la surface d’un paysage institutionnel et médiatique monopolisé par la droite, on voit se déployer une lente et puissante dynamique de « gauchisation par le bas » : l’attachement à l’égalité, à la redistribution, à la protection sociale, à la tolérance, aux libertés publiques progresse doucement mais surement. C’est l’enseignement principal du livre que le politiste Vincent Tiberj a consacré au mythe de la droitisation.

Sur le plan socio-économique, les données longitudinales produites par mon collègue montrent qu’une majorité de Français restent durablement favorables aux services publics et à la protection sociale. Si l’on construit un indice de préférences sociales allant de 0 (libéralisme pur, marché roi) à 100 (égalitarisme maximal), la moyenne ne bascule dans la moitié la plus libérale que sur une courte période, au milieu des années 1980, au moment du tournant austéritaire et de la contre-offensive idéologique menée contre le bref épisode social du début du mitterrandisme. Depuis le début des années 2000, la courbe remonte nettement : les préférences redistributives se renforcent, l’adhésion à l’État social se stabilise à un niveau élevé et la demande de régulation augmente après chaque crise financière ou sociale. Autrement dit, malgré quarante ans de propagande néolibérale, la population n’a pas intériorisé la doxa du « trop d’impôts », « trop de fonctionnaires », « trop d’État ». Elle reste, en moyenne, plus proche d’un imaginaire social-démocrate que du catéchisme patronal.

Extension du domaine progressiste

Sur le plan culturel, le mouvement est encore plus spectaculaire. L’indice d’ouverture sur les questions de mœurs et de libertés publiques qu’a créé Vincent Tiberj montre une progression continue depuis la fin des années 1970 : ce qui semblait minoritaire, voire scandaleux, à l’époque (égalité femmes-hommes, droits des minorités sexuelles, lutte contre l’antisémitisme et le racisme) est devenu, pour une large majorité, un horizon de normalité. L’exemple le plus parlant est celui de l’homosexualité. Au début des années 1980, moins d’un tiers des personnes interrogées considéraient que c’était une manière acceptable de vivre sa vie ; aujourd’hui, cette proportion frôle les 90 %. De même, sur les questions d’immigration, un indice de tolérance élargie montre une progression régulière de l’acceptation des étrangers et de leurs descendants. La part de ceux qui estiment qu’« il y a trop d’immigrés » baisse, tandis que progresse celle de ceux qui voient dans l’immigration un facteur d’enrichissement culturel et jugent légitime la revendication d’égalité des droits. Loin de la fable d’un pays saisi par une obsession identitaire, une majorité silencieuse accepte la diversité, rejette les politiques ouvertement discriminatoires et se montre réceptive à un discours d’hospitalité encadrée plutôt qu’à la rhétorique de la forteresse assiégée. Ces données sont confirmées par les travaux d’une autre politiste de renom, Nonna Mayer.

Juin 2025 (page Facebook de Jean-Luc Mélenchon)

D’où vient alors cette impression oppressante d’une France « passée à droite » ? D’abord d’une droitisation « par le haut ». Le petit monde des responsables politiques, des fast thinkers et des grands groupes médiatiques exerce une guerre psychologique : il martèle, sondage après sondage, chronique après chronique, que le camp de l’égalité serait minoritaire, ringard, coupé du réel. Les sondages les plus anxiogènes – sur l’« insécurité culturelle », le « sentiment de submersion migratoire », la supposée lassitude face au féminisme ou au « wokisme » – sont commandés, mis en forme et commentés par des groupes qui ont tout intérêt à naturaliser l’idée d’une France droitisée. Cette mise en scène produit un effet d’optique : une minorité réactionnaire, mieux équipée médiatiquement, crie très fort et apparaît comme majoritaire, tandis qu’une majorité plus ouverte, plus égalitaire, moins bruyante, est reléguée à l’arrière-plan. L’extrême droite et l’extrême centre se servent de ce récit pour s’octroyer une légitimité démocratique ; la gauche molle s’en empare pour justifier ses renoncements ; et certains militants radicaux s’y réfugient pour expliquer leurs échecs sans avoir à interroger leur stratégie.

Majorité électorale et minorité sociale

Le cœur du paradoxe réside dans ce que les politistes appellent l’« abstention différenciée ». Le résultat des scrutins ne reflète pas ce que pense l’ensemble de la société, mais ce que pense une fraction socialement privilégiée et générationnellement située. Les bourgeois et les baby-boomers sont les fractions sociales les plus politisées au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire les plus assidues pour se rendre aux urnes. Les générations plus jeunes, plus diplômées, plus précaires, plus tolérantes, plus égalitaristes, s’éloignent massivement du vote sans forcément décrocher de la politique. Elles se mobilisent sur les réseaux, sur les places publiques, sur les rond-point, dans les mobilisations féministes, écologistes ou antiracistes, mais boudent des élections perçues comme inutiles et/ou déconnectées de leurs préoccupations. Comment leur donner tort lorsqu’on voit comment le président traite le résultat des urnes en 2024, et lorsqu’on se souvient du sort qui a été fait au « non » du referendum de 2005 ? Résultat : la majorité électorale ne représente plus qu’une minorité sociale. Les partis qui dominent l’offre politique se calent sur les peurs et les intérêts de ce segment restreint. Les classes populaires, quant à elles, se réfugient dans l’abstention intermittente ou systématique. On obtient ainsi une configuration où des valeurs globalement de gauche cohabitent avec des institutions verrouillées par différentes nuances de droite.

Sur cet arrière-plan paradoxal, la possibilité d’une victoire mélenchoniste prend une autre portée. Elle ne serait pas le triomphe improbable d’une gauche « extrême » sur un pays massivement droitisé mais la résolution d’un paradoxe devenu intenable : celui d’une France sociologiquement de gauche mais politiquement gouvernée par la droite. En rassemblant les cohortes les plus jeunes, les classes populaires encore prêtes à voter, les secteurs attachés à l’État social et aux libertés publiques, Mélenchon a compris cette réalité que les élites préfèrent ne pas voir. Sa victoire en 2027 serait moins une rupture qu’un rattrapage. Pour la première fois depuis longtemps, les valeurs majoritaires – égalité, protection sociale, tolérance, démocratie – trouveraient enfin leur traduction dans les urnes.

Février 2024 (source : page Facebook de Jean-Luc Mélenchon)

Transformer l’essai

Au regard de ces éléments – progression constante de Mélenchon depuis quinze ans, savoir-faire inégalé pour les campagnes, les débats et les meetings, sous-évaluation systématique de son électorat par les sondeurs, usure du pouvoir, impopularité et fragmentation du bloc central, absence d’alternative crédible à gauche, supériorité organisationnelle, faculté caméléonesque du candidat, dynamique démographique favorable et gauchisation par le bas du pays – un constat s’impose : la victoire de Jean-Luc Mélenchon le 25 avril 2027 n’est pas seulement possible ; elle constitue le scénario le plus plausible.

Je ne le dis ni par volontarisme ni par militantisme, mais par analyse froide des tendances qui travaillent en profondeur la société française. Les seules certitudes auxquelles s’accrochent ses opposants – les sondages prématurés et les emballements médiatiques – relèvent de la panique plus que de la raison. Les faits, eux, dessinent un autre horizon. Mélenchon a déjà approché la victoire. Les conditions politiques, sociologiques et historiques sont plus alignées que jamais pour qu’il l’atteigne.

Pour prolonger :

Trois livres :

  • Yves Déloye, Nonna Mayer (dir.), Analyses électorales, Bruxelles, Bruylant, 2017
  • Vincent Tiberj, La droitisation française. Mythes et réalités, Paris, PUF, 2024
  • Hugo Touzet, Produire l’opinion. Enquête sur le travail des sondeurs, Paris, Editions de l’EHESS, 2025

Trois émissions à (re)voir sur notre site :

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Une réponse à “Pourquoi Mélenchon va gagner en 2027”

  1. David

    Il y a un autre élément qui joue en faveur de Mélenchon, c’est qu’il est un des seuls sur l’échiquier politique à pouvoir représenter la figure de l’homme providentiel chérie par l’électorat de droite. Pour cela, il faut bien considérer que la probable candidature de Bardella est une occasion en or. On peut supposer que des électeurs de droite attachés à la tradition gaulliste préfèrent un Mélenchon à un Bardella qui n’a clairement pas la stature d’un chef d’état (l’imagine-t-on face à Trump, Poutine ou Xi Jingping ?)

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