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L'Hypothèse autonome

Dans le Texte

Julien Allavena

(émission conçue et animée par Louisa Yousfi)

J’ai fait la magique étude du bonheur que nul n’élude. J’ai cherché longtemps la manière de commencer cette présentation. Puis je me suis souvenue de ce vers de Rimbaud, cité dans l’ouvrage de mon invité, L'Hypothèse autonome (Amsterdam, 2020), sans emphase, sans la source, presque comme de rien, entre deux phrases d’un style plus prosaïque. J’ai reconnu le vers mais j’ai continué ma lecture sans m’y attarder. Finalement, c’est lui que je veux retenir de cet ouvrage particulièrement dense et érudit, parce qu’il me semble en résumer la thèse profonde et intime.

Officiellement, c’est une histoire-somme de l’autonomie, de ses différentes incarnations historiques, des modalités théoriques et stratégiques sous lesquelles elle s’est déployée, des obstacles qu’elle a rencontrés, et des contradictions qu’elle a su ou non surmonter. Mais pour qui prête l'oreille à l'en-deça du texte, se laisse également deviner comme une histoire sensible de ce mouvement, écrite à travers les interrogations, les apprentissages, et le "deuil" d'un militant qui précisément en revient, de cette « vieille lune » indécrochable… tout en continuant à l’observer et à la contempler.

Des grèves ouvrières italiennes pendant « les années de plomb » aux ZAD contemporaines, en passant par les mouvements féministes et homosexuels, la tradition autonome a réuni autour d’elle des femmes et des hommes en lutte contre la domination capitaliste, à l’heure où cette dernière s’est littéralement disséminée et insinuée dans toutes les strates de la vie. Il s’agit alors non pas seulement de se libérer d’un système économique et social de production mais d’une colonisation qui mine à l’intérieur d'eux-mêmes tout ce qui fait d'eux des humains. On connaît les pratiques autonomes les plus spectaculaires : le séparatisme (tiens, tiens) des ZAD, l’esthétique émeutière des black bloc, les actions directes, les squats. On connaît moins la lutte élaborée patiemment au jour le jour pour littéralement "expérimenter" la possiblité d'un autre monde, en posant pierre à pierre l'échafaudage d'une organisation émancipatrice et radicalement nouvelle de la vie en communauté. Bref tout ce qui arrive avant la révolution souhaitée, lui permettant de porter un horizon positif qui ne s'inscrirait pas dans ce "grand cycle défensif" dans lequel les luttes semblent interminablement engluées. Ce qui fait dire à l'auteur que c'est "moins l’hypothèse formelle qu’il faut retenir que le souvenir vif d’une expérience, d’une atmosphère, d’un rapport aux choses et aux êtres". Une magique étude du bonheur donc... que les Gilets jaunes ont touché du doigt, réactivant sans le savoir la tradition autonome tandis que ses héritiers autoproclamés manquaient au rendez-vous. 

Comment le mouvement autonome en est-il arrivé là ? C’est en tâchant de revenir sur ce qu’elle a été pour dire ce qu'elle n'est plus que Julien Allavena travaille à comprendre les limites internes de cette pensée stratégique condamnant dès son origine. Face à un tel constat, difficile de résister au vieux réflexe léniniste du Que faire ?

Et Julien Allavena de nous répondre : "Ce n'est pas un livre qui le dira."

Louisa Yousfi

Dans le Texte , émission publiée le 10/10/2020
Durée de l'émission : 95 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

5 commentaires postés

Merci pour ce travail.

Par milola, le 08/11/2020 à 17h18

"Comment le mouvement autonome en est-il arrivé là ? C’est en tâchant de revenir sur ce qu’elle a été pour dire ce qu'elle n'est plus que Julien Allavena travaille à comprendre les limites internes de cette pensée stratégique condamnant dès son origine. Face à un tel constat, difficile de résister au vieux réflexe léniniste du Que faire ?"
Je me disais, vers la fin de la vidéo, que tout ça (le début et la fin du mouvement autonome) peut être expliqué par la théorie situationniste, que Allavena cite enfin. Mais celle-ci, elle aussi, est entrée dans le spectacle...
Que faire? D'abord ne surtout pas céder au réflexe leniniste!!!


Par Aubépine, le 19/10/2020 à 11h37

Cruel mais lucide... mais cruel :)

Par Abracadabra, le 12/10/2020 à 17h53

Par certains côtés, le mouvement autonome me rappelle les "En dehors" cette frange des anarchistes individualistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle qui rejetaient l'organisation de la société en bloc pour lui substituer une vie communautaire (qu'on dirait zadiste aujourd'hui) en marge des lois et de la légalité. Une sorte d'aristocratie anarchiste qui méprisait le peuple en raison de sa soumission volontaire.

Pour revenir au mouvement italien, on sent très bien à la lecture de "Années de rêves et de plomb" qu'en creux se dessinait une trajectoire qui aboutirait à l'auto destruction. J'ai eu l'impression que l'autonomie italienne appliquait surtout le "Jouir sans entraves", mais ne produisait rien. Elle devait dès lors se nourrir "sur la bête" en donnant des noms folkloriques à ses pratiques illégales. On ne voyait pas très bien où cela aurait pu mener sur le long terme, plus personne ne produisant plus rien mais ne rechignant pas au confort capitaliste pour autant. Les tentatives d'unifier les différents mouvements donnaient lieu à des réunions qui tournaient au pugilat pour des questions doctrinales, alors que les modes de vie revendiquées étaient similaires.

Pour avoir un peu lu les bulletins français autonomes à la même époque, je me souviens qu'on n'y comprenait pas grand chose. Leurs rédacteurs s'enivraient de jargon et de théories fumeuses, un peu comme aujourd'hui Tiqqun et Le Comité Invisible (qui se revendiquent de l'autonomie italienne), ce que décrit très bien Julien Allavena vers la fin de l'entretien.
Mais, heureusement, l'action précède parfois la théorie.

Par Cobalt 60, le 11/10/2020 à 10h14

Classe

Par Gastibelza, le 10/10/2020 à 13h10