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Scarface

Dans Le Film

Jean-François Rauger

Œuvre explosive, moderne, ultraviolente : déjà pouvait-on attribuer ces qualificatifs au Scarface de Howard Hawks (1931), véritable révolution dans le film de gangsters. Brian de Palma n'en a pas seulement fait un remake finalement assez fidèle, il a repris le geste, et répété cette révolution pour les années 80.

De Tony Camonte à Tony Montana se déploie la même négativité, la même envie d'arracher dans un accès de rage sa part du rêve américain. On ne l'excuse jamais, on le psychologise à peine, sa méchanceté et son avidité semblent être immémorielles, telle une flèche décochée et qui avance inexorablement vers sa cible (la mort), sans qu'on puisse l'arrêter.

Avidité, on pourrait dire aussi inassouvissement ("rien n'excède l'excès" entend-on dans le film, et cette évidence est desespérante pour Scarface). Désir surtout, comme nous l'explique bien Jean-François Rauger, d'entrer dans une image. C'est à la fois le sujet de Scarface et l'un des fils rouges de la filmographie de Brian de Palma. Vouloir vivre quelque chose c'est vouloir intégrer l'image, désirer ce puits sans fond de références, de situations, de films qui ont inexorablement recouvert le réel et la possibilité d'une expérience du monde. Derrière l'image toujours une autre image : ainsi de Scarface qui n'invente rien, mais ne fait que répéter ce qu'il a vu dans les films de gangsters.

C'est ce qui fait de Brian de Palma un cinéaste maniériste, que l'on pourrait définir par ce que Deleuze dit du maniérisme dans une lettre à Serge Daney: "C'est le stade où l'art n'embellit plus ni ne spiritualise la Nature, mais rivalise avec elle : c'est une perte de monde, c'est le monde lui-même qui s'est mis à faire "du" cinéma, un cinéma quelconque, et que, comme vous dites ici : "il n'arrive plus rien aux humains, c'est à l'image que tout arrive." Jean-François Rauger revient brillamment sur ces mille détails qui font du film de De Palma un spectacle, et de Tony Montana, un showman en perpétuelle représentation - c'est finalement cet aspect que reprendront à leur compte les nombreux rappeurs influencés par le film.

Rentrer dans une image ardemment désirée pour finalement, comme l'indique notre invité, la faire exploser. Dans les films de De Palma qui précèdent, il y avait déjà des occurences de ces représentations qui se terminent, littéralement, dans un bain de sang : le bal de promo dans Carrie, le concert de rock de Phantom of the paradise...Comme si un lien secret mais essentiel tenait entre eux le spectacle et le carnage. Dix ans après, De Palma et Pacino tourneront ensemble Carlito's way, fausse suite à Scarface mais qui en prolonge le discours : rentrer dans une image, vouloir en sortir mais en être définitivement prisonnier.

Murielle JOUDET

Dans Le Film , émission publiée le 02/06/2018
Durée de l'émission : 93 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

7 commentaires postés

Un papier sympa sur le l'influence du film sur toute une générations de rappers
http://www.abcdrduson.com/articles/scarface-rap/

Par waree, le 12/06/2018 à 22h58

assez plausible l`hypothèse de j f rauger sur le destin suicidaire similaire, des mafieux comme scarface et des djihadistes actuels. le bourrage de crane religieux, ou le bourrage des narines pleines de coke, au service de l`ínstinct de mort...¨glorieux¨!!!

Par luc lefort, le 12/06/2018 à 09h40

c'est une excellent proposition que ce retour sur ce film.

il manque une analyse psychanalytique .Sur l'insondable désir de l'homme , sur la permanence de l'insatisfaction sur le désenchantement qui en creux semble être la question du film de de palma.

des être comme montana traversés par un idéal de pureté qui renvoie à une certaine religiosité de la femme .
bref cela reste un excellente séquence merci

Par bernejo, le 08/06/2018 à 12h50

Merci abracadabra pour ces infos. Quant aux transparences studio si elles font encore illusion chez vous.... tant mieux. :-)

Par Raphaël, le 03/06/2018 à 15h14 ( modifié le 03/06/2018 à 15h14 )

Jean-François Rauger :
"Les scènes tournées dans les voitures où on voit que c'est tourné en studio avec une projection derrière, qui est un procédé qui dans les années 80 ne peut pas être vu comme un procédé artificiel, un trucage. Le spectateur n'est plus crédule. Il voit bien qu'on n'est pas dans la rue, qu'on n'est pas dans une vraie voiture qui roulerait."

Hum, la honte : ça marche encore très bien chez moi ce genre de scène (oui oui en 2018).

Par Abracadabra, le 02/06/2018 à 23h32

Petite pensée pour la Michelle Pfeiffer de 1932, Karen Morley (de son vrai nom Mildred Litton), qui joua le personnage de Poppy (l'équivalent de la Elvira Hancock de 1983), devint communiste par amour, soutint la grève très dure de 1946 contre la Warner (Hollywood Black Friday) menée par les ouvriers du cinéma, puis victime du Maccarthysme, blacklistée mais refusant de donner le nom de ses amis, et finalement se présentant en 1954 au poste de lieutenant gouverneur aux élections de l'Etat de New-York avec l'American Labour Party.

Par Abracadabra, le 02/06/2018 à 23h06 ( modifié le 02/06/2018 à 23h08 )

" Le groupe de Rap Akhenaton.."
Alors non. Le groupe, c'est IAM, la chanson, c'est Demain c'est loin:

"La pauvreté, ça fait gamberger, en deux temps, trois mouvements
On coupe, on compresse, on découpe, on emballe, on vend
À tour de bras, on fait rentrer l'argent, on craque
Ouais, c'est ça la vie, et parle pas de RMI ici ici
Ici, le rêve des jeunes c'est la Golf GTI, survet' Tacchini
Tomber les femmes à l'aise comme Manny
Sur Scarface, je suis comme tout le monde, je délire bien
Dieu merci, j'ai grandi, je suis plus malin, lui il crève à la fin".

Par grosstete LPL, le 02/06/2018 à 21h28