Hors-Série
Arret sur Images
Me connecter
abonnez-vous


Melancholia

Dans Le Film

Jean-François Rauger

Pendant le confinement, lors de notre petite réunion Zoom à Hors-Série, on préparait la suite, on pensait aux émissions qu'on ferait une fois qu'on pourrait enfin reprendre les tournages. Concernant Dans le film, nos idées tournaient assez naturellement vers l'idée de catastrophe, et tout aussi naturellement, on était tous d'accord (je crois...) pour faire une émission sur Melancholia de Lars von Trier, l'un des grands films apocalyptiques de ces dix dernières années. Je me souviens avoir été littéralement soufflée par la fin, complètement engloutie par cette dernière séquence - la terreur des personnages, c'est la nôtre. Même si je n'ai jamais été une grande fan du cinéaste - l'émission m'a quand même permis de réévaluer l'oeuvre et le personnage - je me disais que là, LVT avait mis le doigt sur quelque chose. 

A travers le portrait de ces deux soeurs, Justine (Kirsten Dunst) et Claire (Charlotte Gainsbourg) s'entame un dialogue philosophique, omniprésent dans ce que notre collaborateur Jean-François Rauger désigne très justement comme la "Trilogie des sorcières" - Antichrist, Melancholia, Nymphomaniac. Un dialogue qui est, au fond, celui qu'on a parfois dans notre tête : notre pulsion de vie papote avec notre pulsion de mort, notre envie que ça continue s'entretient avec notre envie que tout s'effondre rapidement - histoire de voir ce qu'il y a derrière. Exactement comme Justine, frappée de mélancolie qui fracasse tout sur son passage et estime que l'humanité a assez duré, et Claire, mère d'un fils qu'elle veut voir grandir et qui la maintient obstinément du côté de la vie.

Melancholia est aussi - chose très rare - un film apocalyptique qui n'est pas pour autant un blockbuster, mais un film d'auteur feutré, sans débauche d'effets spéciaux (le prologue est la partie la plus chère du film), presque sans musique en dehors des vagues wagnériennes, où les hommes (qui habituellement sauvent in extremis notre planète adorée et leur famille) sont éjectés un à un du logiciel du film. Mouvement inverse de tous les films d'apocalypse que l'on connaît : Melancholia vide sa scène, s'allège progressivement de tout ce qui est (pour Justine) en trop : les hommes, la science, la famille dans son acception bourgeoise, l'argent...On y revient en détail dans le portrait que Jean-François et moi-même dressons de ce cinéaste intranquille, anti-moderne et farceur qu'est Lars von Trier. Que reste-t-il ? Une cabane, qui fait front au grand manoir et le toise depuis l'imaginaire qu'elle déploie, deux femmes, un enfant et, bien sûr, une terreur sacrée - bienheureuse catharsis, si chère à LVT, et dont on se dit qu'on aimerait plus souvent la traverser au cinéma.

Murielle JOUDET

Dans Le Film , émission publiée le 25/07/2020
Durée de l'émission : 105 minutes

Commentaires

4 commentaires postés

Passionnant. Merci pour cette émission !

Par LCB LPL, le 25/09/2020 à 13h55

Je me permets d'ajouter mon grain de sel (maternel) à la petite polémique sur le geste final de Claire : son enfant meurt en paix, calme et heureux, lové dans la protection imaginaire du tipi ; eût-elle gardé sa main dans la sienne, sa mère lui aurait transmis son angoisse, il aurait été pris de terreur, aurait vu la mort en face dans d'atroces souffrances. En le lâchant, elle fait le geste le plus courageux, le plus altruiste, le plus maternel qui soit : elle le protège de son angoisse à elle, et consent à sa propre solitude, épouvantable. Je continue d'être absolument bouleversée par cette séquence ultime.

Par Judith, le 30/08/2020 à 20h23

Merci pour cette émission. La fin de Melancholia était assez différente dans mon souvenir ; j'avais oublié la présence de l'enfant et de la soeur, mais j'en garde un mal-être profond. Ce n'est pas un film que j'ai envie de revoir tant il était... ouch. Mais comme un peu tous les films de Lars von Trier. Ils remuent tellement de choses en moi que je préfère m'en garder. Je ne conserve que les souvenirs des impressions laissées (Dancer in the dark... wouh, Dogville, wouh, wouh, wouh). C'est indéniablement un cinéaste majeur, tant ses oeuvres résonnent, voire provoquent des dissonnances (en moi). Bon, un soir de grande solitude, je vais essayer Antechrist et Nymphomaniac, sans vous remercier pour le rappel, mais en ayant à l'esprit que la création, c'est pas toujours propre sur soi. ET tant, tant, tant, tant mieux.

Par éponine, le 05/08/2020 à 21h57

Ça m'a bien plu cet épisode sur Von Triers et un de mes films préférés.
De façon surprenante j'ai toujours pensé que c'était Charlotte Gainsbourg la dépressive et qu'au moment du mariage tout le monde savait que la Terre risquait de se faire détruire.
Merci !

Par Fred GOT, le 25/07/2020 à 23h20