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Bernie Sanders, Jeremy Corbyn : l'heure du bilan

Aux Sources

Thierry Labica et Sylvie Laurent

Dans un contexte politique mondial dominé par un face-à-face mortifère entre l’extrême-centre et l’extrême-droite, la gauche radicale peut-elle sortir de sa marginalité ? Peut-elle s’emparer du pouvoir d’Etat par la voie des urnes ? C’est le pari qu’ont tenté Bernie Sanders et Jeremy Corbyn, un pari d’autant plus audacieux que l’assaut fût mené aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les deux poumons du capitalisme mondialisé. Ces vieux routiers de la politique, qui siègent dans leur parlement respectif depuis plus de trois décennies, ont longtemps prêché dans le désert. Leurs idées « socialistes », ainsi qu’ils s’auto-désignent, les faisaient passer pour des personnages obsolètes à l’heure du néolibéralisme triomphant. Pourtant, depuis 2015, leurs propositions de révolution fiscale, de Green New Deal et d’investissement massif dans les services publics sont désormais plébiscitées par la majorité des citoyens britanniques et états-uniens. La crise de 2008 est passée par là, et leur discours est en résonance avec la colère des classes populaires. Sanders et Corbyn se sont approchés de leur objectif à un point que nul n’aurait osé imaginer il y a quelques années. Bernie Sanders a donné des sueurs froides à l’establishment du Parti démocrate et aux financiers de Wall Street tandis que, simultanément, Jeremy Corbyn devenait l’ennemi public numéro 1 de la City londonienne et des caciques du Labour.

Pourtant, leurs espoirs ont été douchés. Il y a trois mois, Sanders a perdu les primaires démocrates face à Joe Biden, ancien vice-président de Barack Obama, qui affrontera donc Donald Trump en novembre prochain. Quant à Jeremy Corbyn, il a perdu les élections législatives de décembre 2019 face au conservateur Boris Johnson, désormais libre d’appliquer son Brexit. L’heure est donc au bilan, les questions sont nombreuses, et les réponses sont riches d’enseignements à l’approche de 2022. La défaite de Sanders et Corbyn est-elle due à des erreurs stratégiques de leur part, et dans ce cas, à quelles erreurs ? Ou leurs échecs s’expliquent-ils davantage par la toute-puissance du système économique qu’ils entendaient affronter ? Voyant Corbyn et Sanders grimper dans les sondages, les grands médias n’ont pas ménagé leurs efforts pour présenter les candidats de la gauche radicale comme de dangereux populistes qui précipiteraient le pays dans le chaos généralisé. Quant aux marchés, ils ont brandi la menace classique de la hausse des taux d’intérêt sur les emprunts publics, qui permet de discipliner n’importe quel (futur) gouvernement hostile aux intérêts de la finance.

Doit-on en conclure que la voie des urnes est bloquée, que le capital n’est prêt à aucun compromis politique, et qu’il ne reste donc qu’à prendre la rue, voire plus ? Tout n’est pas à jeter dans les assauts menés par Corbyn et Sanders. L’un et l’autre ont prouvé qu’une gauche de combat, dotée d’un programme ambitieux, pouvait reconquérir les classes populaires dont on disait qu’elles avaient définitivement abandonné le vote de gauche. A l’heure où l’on glose sur la disparition des militants, les campagnes de Sanders et Corbyn ont aussi montré qu’une telle tendance n’avait rien d’inéluctable. Des pans entiers de la jeunesse diplômée et menacée par la précarité ont rejoint les équipes des deux candidats, afin de mettre leurs compétences au service d’une cause juste. « Ils ont l’argent, on a les gens ». Sanders et Corbyn ont prouvé que, dans un système où les règles du jeu sont totalement biaisées en raison de la domination de l’argent sur la politique, on pouvait malgré tout tenir tête aux ploutocrates en s’appuyant sur la force du nombre. Enfin, alors que le débat public est pollué par le racisme et la xénophobie, les campagnes de Sanders et Corbyn ont rendu l’air plus respirable, en replaçant la justice sociale au cœur des discussions. Ce n’est que ça, mais c’est déjà ça.

Afin d’analyser les forces et les faiblesses des phénomènes Corbyn et Sanders, je reçois aujourd’hui deux historiens, dont l’analyse érudite et didactique est d’un incroyable secours : Sylvie Laurent est spécialiste des Etats-Unis, elle a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels La couleur du marché. Racisme et néolibéralisme aux Etats-Unis (Seuil, 2016) ; Thierry Labica est spécialiste de la Grande-Bretagne, il vient de publier L’hypothèse Jeremy Corbyn. Une histoire politique et sociale de la Grande-Bretagne depuis Tony Blair (Demopolis, 2019). Bon visionnage !

Manuel Cervera-Marzal

Aux Sources , émission publiée le 20/06/2020
Durée de l'émission : 97 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

6 commentaires postés

Merci a nos deux intervenants, merci Emmanuel. Une gauche radicale marginale pour l'éternité? J ai bien aimé l'idée de poser la question de, après la démocratie quel monde ou quelle constitution? sommes nous condamné au monde libérale et à sa tyrannie de l'argent ou... a l’insurrection... quelle fraîcheur dans cette émission
Je trouve aussi que chaque intervenant aurait mérité une émission à eux seuls

Par Maunoir Charbonnel, le 27/06/2020 à 09h10

Bravo pour cet entretien vraiment intéressant! Merci

Par François Leroux_1, le 23/06/2020 à 19h28

Merci pour cette émission très vivante et instructive. J'espère, M. Cervera-Marzal, que vous ne vous êtes pas senti visé quand Mme Laurent a parlé de la nouvelle génération de politicien-ne-s de gauche aux Etats-Unis (comme A. Occasio-Cortez) qui ne ressemble en rien au stéréotype désuet du militant "blanc, avec une veste à velours côtelé et de petites lunettes" (je cite de mémoire)! Il m'a semblé vous voir un peu tiquer à ce moment-là, mais je peut-être mal interprété votre regard....

Par J. Grau , le 22/06/2020 à 21h48

Dans la description de la vidéo "C’est le pari qu’ont tenté Bernie Sanders et Jeremy Sanders" Jeremy Corbyn plutôt, non ?

Par Raphaël DESCHAMPS, le 22/06/2020 à 00h24

Magnifique émission, merci, très instructive

Par marie berhonde, le 20/06/2020 à 20h26

Emission très, très intéressante...Merci!

Par Jocelyne Poncelet-Kirstetter_1, le 20/06/2020 à 17h00