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Once upon a time...in Hollywood

Dans Le Film

Jean-François Rauger

Août 2019, je me rends au cinéma Max Linder avec un ami pour voir, en 35mm, Once upon a time...in Hollywood de Quentin Tarantino. La salle se plonge dans le noir, je trépigne sur mon siège. En sortant je croise un ami qui fait la queue pour la séance d'après, on échange quelques mots mais je m'arrête vite pour ne rien lui révéler. Cet ami croisé, cette file d'attente, me donnent l'impression que le cinéma s'est transformé en fête foraine où tout le monde se rue, forcément, sur les montagnes russes, l'attraction phare: ceux qui s'apprêtent à embarquer scrutent les visages de ceux qui en sortent pour juger de la qualité du spectacle, y trouver la trace d'une jouissance passée. Un mois après on y était encore : sur les messageries, les réseaux sociaux, dans les dîners, aux cafés. On échange nos avis, "et truc il en a pensé quoi ? - Il trouve que c'est un film de droite." Echange de regards consternés. Autour de moi les gens vont le revoir : une deuxième fois, une huitième... On vante les mérites de la superbe bande originale qui prolonge l'atmosphère du film au-delà de la salle. La petite actrice serait une référence à Jodie Foster. On se rue sur les produits dérivés. On aimerait entendre parler d'autre chose (ouf, Joker arrive). En novembre une version augmentée ressort dans quelques salles, comme si le film n'en finissait plus de croître à mesure qu'on parle de lui.

Le moment Once upon a time... fut une longue parenthèse foraine et analytique - ce que le cinéma, en terme d'impact, peut produire de meilleur: de la socialité, de la réflexivité collective. Un divertissement rêveur qui n'est pas là pour vider les crânes mais qui est, comme toute grande oeuvre, une manière de se scruter soi-même, de goûter à son propre goût, à sa sensiblité, à son intelligence, à sa culture, à ses amitiés - ce que Tarantino semble faire le premier en réalisant ce film en spectateur. C'est comme cela que je m'explique que notre collaborateur Jean-François Rauger, a pu revoir le film une bonne dizaine de fois sans se lasser, en y découvrant encore d'infimes détails qui ont fait sa joie et comme si, à force de vision, il allait peut-être pouvoir être autorisé à habiter le film. Voilà donc que "Dans le film" porte bien son nom: on a pris deux heures pour essayer d'habiter le film du mieux qu'on peut, comme des adultes et comme des enfants, comme des cinéphiles qui trépignent et comme des exégètes détachés, avec un très précieux travail de recontextualisation comme seul Jean-François Rauger sait les faire. Parce que le film est ainsi, à réconcilier les oppositions : le spectacle et sa critique, le détachement et l'hypnose, la joie pure du moment présent et la reconstitution d'un monde perdu, le star-system et son analyse, la consolation et la mélancolie. Rares sont les films qui théorisent et renouvellent à ce point l'idée de spectateur de cinéma tout en rendant hommage, en les rassemblant, à tous ses états.

Murielle JOUDET

Dans Le Film , émission publiée le 04/01/2020
Durée de l'émission : 122 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

9 commentaires postés

passionnant .cela me renvoie au peintre vermeer le miroir dans la peinture . regarder etre vue regarder entrain de peintdre ce vertigineux exercice de l'ego

Par bernejo, le 23/10/2022 à 17h09

Passionnante analyse du film ( chef d oeuvre ) de Tarantino , je découvre votre site , je suis conquis ...

Par Nicolas Gouth, le 29/02/2020 à 19h57

Film réactionnaire, dans l'air du temps trumpiste. Le dénouement rend enfin justice (loi du Talion) avec molosse bien dressé "au doigt et à l'oeil" et arme de guerre qu'on garde dans le garage au cas où ... Dans un État - la Californie - où l'abolition de la peine de mort a sauvé la vie de Manson. Tout est dit !

Par MICHEL NODIN, le 09/01/2020 à 08h53

Si ce film est un film musé, votre commentaire est aussi pénible à écouter que celui d'un mauvais audio guide. J’arrête le supplice au moment ou vous évoquer la scène avec Bruce Lee en déforment complétement les propos de sa fille :

"Shannon Lee n’accepte pas qu’ils aient traité l’artiste martial «de la façon dont le Hollywood blanc l'aurait fait quand il était encore en vie». Shannon Lee termine par l'amère conclusion que le personnage de Bruce Lee a été construit pour être une caricature, avant d’ajouter : «Compte tenu de la façon dont Tarantino décrit avec sympathie Steve McQueen, Jay Sebring et Sharon Tate, je suis surprise qu’il n’ait pas accordé la même courtoisie à Lee, le seul personnage non blanc du film. Je comprends qu'ils veulent faire du personnage de Brad Pitt ce super dur à cuire qui pourrait battre Bruce Lee. Mais ils n'avaient pas besoin de le traiter comme les blancs d'Hollywood l'ont traité de son vivant."

C'est aberrant que sur ce site qui nous fournis des outils pour lutter contre le colonialisme, le sexisme, la domination masculine... vous puissiez faire l'éloge de cette bouse réactionnaire qui charrie avec lui le pire de l'Amérique.

Par kila, le 07/01/2020 à 11h48 ( modifié le 07/01/2020 à 11h51 )

J'apprends que Brad Pitt a remporté le Golden Globe du best supporting actor pour son rôle de Cliff Booth ! C'est bien mérité, je trouve, pour le rôle d'un personnage doté d'autant d'épaisseur ! https://www.vulture.com/2020/01/brad-pitt-golden-globes-2020-speech-leonardo-dicaprio.html

Par kirisakow, le 06/01/2020 à 15h14

Vous ne pouviez pas mieux démarrer l'année, un très grand merci pour ces entretiens toujours aussi passionnants.
Je cours revoir le film.

Par Raf, le 06/01/2020 à 13h24

Je pense qu'il y a quand même quelques oublis dans l'analyse.

La première, c'est que c'est une reconstitution des années 70, avec des films lents, des plans qui ne servent pas à grand-chose, des couleurs, et l'esthétique des années 70, telles qu'on peut s'en rappeler. Et des films très violents qui à la fin évoquent les films d'exploitation par la caricature de violence finale. et c'est une réévocation de tous les films et de la télé de ces années-là. On se croit dans ces années-là, et on se croit dans un film de ces années-là.

C'est aussi un hymne à l'amour à Polanski : si Sharon Tate ne meurt pas, c'est aussi un cadeau cathartique à Polanski et à son cinéma. Et tous les personnages tournent autour de Polanski alors qu'il est absent. Même si Polanski a détesté le film, évidemment, c'est un hommage à Polanski.
Le fait que Sharon Tate ne meurt pas rend le film ébouriffant, parce que cette mort est annoncée en permanence à travers ce que nous savons. C'est un truc scénaristique super et nouveau. Tarantino aime étonner ses spectateurs pour les faire revenir. Il nous dit en permanence qu'il nous aime pour ce qu'on est, une foule sentimentale, délicate et cruelle.

Et pour finir, last and not the least, le titre de ce film fait référence à Hollywood parce que le cinéma d'Hollywood refait l'histoire en permanence : il modifie des livres , et il modifie l'Histoire dans un but cathartique et de prestige de l'Amérique. A Hollywood, les Américains, à travers Rocky, gagnent la guerre du Vietnam.
Et les héros américains y gagnent toujours. Alors que nous savons que dans la réalité, depuis la seconde guerre mondiale, les USA ont perdu toutes leurs guerres, entre autres parce qu'elles sont illégitimes, ce que se garde bien de dire le cinéma d'Hollywood...

Il s'inscrit dans un cinéma typiquement hollywoodien, celui du mensonge, entre autres politique, à tout prix. C'est une des industries du mensonge.

Par Yanne, le 05/01/2020 à 01h24 ( modifié le 05/01/2020 à 01h25 )

J'aimerais faire trois remarques :

• 01 31 06 : Je trouve pas que Cliff Booth voulait offrir un spectacle en disant “Ladies!” aux filles qui observaient, choquées, la raclée qu'il mettaient au hippie qui lui avait crevé le pneu. J'y vois plus une mmanière de se justifier, comme si finalement il disait “Désolé mesdemoiselles, mais d'une, votre copain n'aurait pas dû crever ce pneu, et de deux, fallait pas qu'il m'insulte alors que je lui ai presque proposé un arrangement à l'amiable”. Le défaut de Cliff, qui peut être une qualité cependant, c'est qu'il traite le monde entier, les gens aussi bien que son chien, de la même manière. Comme qui dirait, “deal with it.”

• 01 37 36 : J'ai lu que The Mamas and The Papas ne sont pas les interprètes originaux de California Dreamin', mais c'est bien leur reprise qui est la plus connue. La chanson a été reprise maintes fois. La variante qu'on entend dans le film est de Jose Feliciano. Très belle, évidemment. J'aime bien l'écouter quand je sors faire un footing le soir.

• Murielle a beaucoup de classe et j'adore ses chaussures.

Par kirisakow, le 04/01/2020 à 20h27

cela ressemble vraiment a un film de droite ,si la violence c'est l'apanage de la droite ... différence de classe ,ceux qui vivent la violence et ceux qui en parlent et la jouent pour de faux . la différence de standing d'appartement , cette violence là , qui pour ceux qui en profitent n'en est pas . C'est ce qui a provoqué , peut être , Manson . Et si on pousse plus loin , sans le beauf le riche n'aurait pas été sauvé . Il ne reste que l'amitié , meme la richesse peut disparaitre . Sacré Tarantino , j'en ai revu pas mal depuis , que je n'avais pas aimé , kill bill , inglorious , huit salopards .Son cinéma est d'une simplicité fascinante .Ou du moins c'est ce qu'il en reste , un lavage de cerveau , une catharsis dont je viens d'apprendre la signification . Et en ce moment de gilets jaunes et de manifs une réplique culte de réservoir dog "t'as tué des gens ? Non que des flics "

Par jf, le 04/01/2020 à 15h40