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Gilets Jaunes : démocratie et émancipation

En accès libre

Antoine Chollet et Samuel Hayat

Voici une semaine qu'on nous tympanise sans relâche : l'antisémitisme supposé des Gilets Jaunes sature le débat public, et la dernière lubie de Macron, qui entend criminaliser l'antisionisme au même titre que l'antisémitisme (ce qui serait à la fois anticonstitutionnel et complètement irresponsable), semble avoir pour vocation d'ensabler le mouvement des Gilets Jaunes dans des polémiques infâmantes. On voit bien l'intérêt de la manœuvre : pendant ce temps-là, les revendications d'un des plus grands mouvements de contestation que la France ait connus depuis cinquante ans deviennent complètement inaudibles, et les vertus politiques de leur soulèvement se dissolvent dans l'acide des querelles et des injures.

Et pourtant, ces vertus politiques ne manquent pas, à commencer par la très salutaire réactivation de la question démocratique qu'ils mettent en œuvre. Confrontés très tôt à une répression féroce, les Gilets Jaunes ont été précocement amenés approfondir leur positionnement politique : la simple demande de pouvoir d'achat s'est métamorphosée dès le mois de décembre en une exigence de justice sociale conjuguée à un projet institutionnel de grande ampleur, dont le RIC n'était que la métonymie. Il s'agissait, à travers la mise en place d'une procédure de consultation populaire d'initiative citoyenne, de reprendre le gouvernail, et d'infléchir profondément la forme de notre organisation politique.

La démocratie représentative ayant largement montré ses limites, c'est de démocratie directe que les Gilets Jaunes parlent désormais, et ce sont ses procédures qu'ils ont concrètement mises en oeuvre partout où ils le pouvaient. Sur les ronds-points qui tiennent encore, dans les maisons du peuple que les pelleteuses n'ont pas encore rasées, dans les assemblées qui parviennent à se tenir, toutes les décisions doivent être votées, la parole doit circuler de manière égalitaire et respectueuse des expressions minoritaires, les représentants doivent être dûment mandatés, et quiconque s'autoproclame porte-parole sans l'onction d'une assemblée se voit bientôt disqualifié par le reste du mouvement. Macron aura beau mouiller la chemise en d'interminables soliloques devant des auditoires dûment disciplinés, il ne se trouve plus grand monde (à part les éditocrates de BFM) pour être dupe de la mascarade : c'est du côté des Gilets Jaunes que s'édifie un projet démocratique authentiquement soucieux de l'expression populaire, et de la doter d'une capacité politique réelle.

Bien sûr il y a loin de la coupe aux lèvres : il ne suffit pas de vouloir la démocratie, et de la mettre en œuvre localement, pour révolutionner les institutions et nous faire changer de système. Mais le processus est enclenché : les "subalternes", les "gagne-petit", les "invisibles" qui avaient déserté les organisations syndicales et partidaires aussi bien que les rendez-vous électoraux se sont massivement emparé de la question politique et sont décidés à reprendre la main.

Du côté de leurs observateurs bienveillants, on se réjouit de ce processus de politisation ; mais on s'inquiète, aussi. N'entrer dans l'action politique que sous le prisme de l'exigence démocratique, n'est-ce pas se contenter d'un "citoyennisme" bon enfant, se réclamant d'un peuple uni et homogène - et illusoire, ignorant de ses propres contradictions - et persuadé que c'est dans les procédures institutionnelles (et non dans le rapport de force économique, qui fera retour tôt ou tard) que peut se jouer l'émancipation ?

Ce sont ces questions que je voulais aborder avec mes deux invités : Antoine Chollet est philosophe, et un expert en matière de démocratie directe. Samuel Hayat, de son côté, est enseignant-chercheur en sciences politiques, spécialisé dans l'histoire des luttes populaires du XIXème siècle et la démocratie représentative. Ainsi les deux grandes formes de la démocratie (la démocratie libérale, représentative, face à la démocratie sociale, directe) sont-elles mises en discussion afin d'éclairer ce que les Gilets Jaunes s'efforcent de construire, avec une héroïque opiniâtreté, tandis que le pouvoir s'acharne à les ensevelir sous l'opprobre. 

 

Judith Bernard.

En accès libre , émission publiée le 23/02/2019
Durée de l'émission : 82 minutes

Regardez un extrait de l'émission