Hors-Série
Arret sur Images
Me connecter
abonnez-vous


Gilets Jaunes et gauche anti-capitaliste : que faire ?

Dans le Texte

Stathis Kouvélakis

Il est des intellectuels qui dominent du regard leur époque avec l'acuité de l'aigle ; Stathis Kouvélakis est de ceux-là. Une telle position doit sans doute beaucoup à l'aventure d'une biographie : à la fois savant et engagé (venu à la philosophie politique mu par son engagement anticapitaliste, nous a-t-il dit), il était membre du Comité Central de Syriza lorsque cette coalition de gauche radicale a remporté les élections législatives grecques de janvier 2015, permettant à Alexis Tsipras de devenir premier ministre : le programme, anti-austérité, entendait mettre un terme aux politiques néolibérales qui asphyxiaient la Grèce. Six mois plus tard, Tsipras capitule devant la Troïka et se fait le zélé serviteur de la stratégie du choc qu'il s'agissait de pourfendre. Les membres de Syriza qui dénoncent cette trahison quittent alors cette coalition, pour fonder Unité Populaire, un parti eurosceptique, d'inspiration marxiste et internationaliste : Kouvélakis est de ceux-là.

Unité Populaire est d'une formation bien trop récente pour obtenir des sièges au parlement lors des législatives grecques de septembre 2015, mais l'expérience est décisive : avoir vécu la fulgurante conquête du pouvoir, la trahison presque immédiate du projet de rupture, en dépit d'un soutien populaire massif, et la scission consécutive, avoir vu son pays mis à genoux par ses créanciers, aiguise nécessairement l'exigence critique et la profondeur du regard.

Sur le mouvement des Gilets Jaunes, c'était lui que je voulais entendre ; lui à qui une vie internationale (il vit en France, a ses racines en Grèce, enseigne à Londres, et c'est évidemment un brillant polyglotte) permet une vision panoramique particulièrement éclairante. Lui qu'une longue fréquentation des luttes politiques rend particulièrement expert, sans qu'il y ait perdu une once des ambitions anticapitalistes qui animent son engagement.

Le rendez-vous de notre entretien était pris depuis plusieurs semaines lorsqu'il a publié sur le site de nos camarades de Contretemps un article d'analyse du mouvement : Gilets Jaunes : l'urgence de l'acte, qui offrirait la matière première de ce Dans le texte. Article spectulairement pénétrant, combinant la hauteur de vue et l'exactitude du détail. Il y remet en perspective le surgissement de l'événement, à la fois inédit et attendu de longue date, examine minutieusement les contradictions qui traversent le mouvement des Gilets Jaunes comme celles qui travaillent les formations politiques qui l'environnent, et qui lui font des yeux de Chimène en tâchant de ne pas voir ce qui rend leur amour impossible (et que Stathis relève facétieusement).

Dans cette hauteur, nul cynisme, aucune condescendance, aucun évitement non plus : les contradictions, pour lui, ne doivent surtout pas faire l'objet d'un déni, mais elles ne sont pas non plus rédhibitoires. Il ne faut pas chercher à les expulser hors de soi, ni les considérer comme indépassables ; il faut les travailler. C'est à quoi il s'emploie vigoureusement, et à quoi il invite la gauche sociale et politique à oeuvrer, urgemment - car sinon, le pire est au rendez-vous. Le pire, ce serait d'abandonner le terrain de ce mouvement (singulièrement glissant) au flou de formulations populistes, qui en refusant l'analyse de classe - la seule qui permette de pointer le capital comme l'adversaire exclusif de nos luttes - ouvre la voie aux stigmatisations fléchées : de la "caste" à la "banque Rotschild" puis à la stigmatisation antisémite, il n'y a qu'un pas, que seule une rigoureuse position de lucidité anticapitaliste empêche de franchir. 

Judith BERNARD

Dans le Texte , émission publiée le 26/01/2019
Durée de l'émission : 77 minutes

Regardez un extrait de l'émission