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The Host de Bong-Joon Ho

Dans Le Film

Jean-François Rauger

J'ai découvert The Host de Bong Joon-Ho au lycée, il était au programme de Lycéens au cinéma, dispositif qui permet au lycéens de France de visionner quatre fois par an des oeuvres cinématographiques et d'en discuter avec des intervenants et leurs professeurs. Les films choisis pour être projetés sont parfois d'évidents chefs-d'oeuvres de l'histoire du cinéma, le choix des films contemporains est, quant à lui, plus hasardeux. Car autant dire que les programmateurs ont une grande responsabilité : celle d'inculquer en quatre séances par an le goût du cinéma et de l'analyse à des petits boutonneux mal dégrossis, et avec The Host, ils ne pouvaient pas faire choix plus pertinent. Car il ne manque rien à The Host, et c'est peut-être ce sentiment d'être devant un film "plein" qui est aussi jouissif pour le spectateur. Dans un même souffle narratif, Bong Joon-Ho condense plusieurs films et ambitions : le film d'auteur et le blockbuster, le drame familial et la comédie politique, le divertissement et sa critique. A l'image de ces contrastes, The Host est aussi travaillé par d'innombrables oppositions : entre le propre et le sale, la sphère privée et le fracas du monde, l'action et la maladresse, la personne et le biopouvoir. Celles-ci renvoient toutes à une dichotomie qui les contient toutes et qui est le grand sujet du film : l'humain et l'inhumain.

Cette émission est aussi pour nous l'occasion d'évoquer l'industrie cinématographique de la Corée du Sud mais aussi son histoire récente. Car la passionnante expertise de Jean-François Rauger nous apprend que l'histoire contemporaine du pays est la matière de The Host : de la présence militaire des Etats-Unis au soulèvement de Gwangju en passant par la guerre du Vietnam... S'y plonger c'est donc inévitablement s'engouffrer dans tout un imaginaire politique transmué en matière onirique.

 



Nous dédions cette émission à André S. Labarthe, co-créateur avec Janine Bazin de la série de documentaires télévisuels Cinéma/Cinéastes de notre temps et qui nous a montré ce que pouvait être une émission de cinéma.

Dans Le Film , émission publiée le 10/03/2018
Durée de l'émission : 78 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

2 commentaires postés

Le héros américain du début est immédiatement présenté comme un double idéalisé du personnage de Song Kang-ho, puisqu'ils ont les mêmes mèches décolorées. L'Américain fait tout ce que le Coréen devrait faire, à savoir tenter de sauver tout le monde. Et bien sûr il le paye cher, cette posture héroïque n'ayant de valeur que dans les films américains. A la fin du film le Coréen parvient enfin à faire face au monstre en l'empalant avec une barre de fer, que l'on avait déjà vu dans cette même scène une scène, qui en est l'inverse : l'antihéros et son jumeau américain en faisaient déjà une arme, à ceci près qu'elle étaient rendue inoffensive par le panneau et le bloc de ciment à ses extrémités (ainsi colorées comme un jouet) et qu'ils se contentaient de la lancer sur le dos du monstre.
Le scientifique américain fou a du strabisme mais pas de sourcils (stade ultime de l’asepsie mortifère). Il rejoint la longue liste de méchants américains du cinéma de Bong Joon-ho, surmaquillés et cartoonesques. Ils s'adressent aux personnages coréens comme à des enfants, mais semblent eux-mêmes nés d'un imaginaire enfantin, comme si Disneyland avait contaminé toute la société américaine.

Je me permets de remettre ici quelques idées de ce que j'avais écrites sur le défunt forum d'ASI, à propos d'"Okja" et de son rapport à "The Host", dont il est une sorte le remake :
La bête Okja représente la création artistique, chouchoutée par son réalisateur mais récupérée par l’ultracapitalisme américain. La scène du viol s’apparente aux diverses tentatives des studios pour en tirer des suites, remakes et autres produits dérivés censés satisfaire l’appétit des consommateurs. A quel remake pense Bong Joon-Ho en particulier ? A celui de son propre film "The Host" ! Ses similarités avec "Okja" sont nombreuses : un gros monstre, de vilains Américains déshumanisés, des Coréens lâches et asservis, un groupuscule clandestin rompu aux méthodes d’émeutes. Certaines scènes sont quasi-identiques : un prélèvement de tissus sans anesthésie, une poursuite dans un parking sous-terrain sur la même musique, un jeu avec des baies vitrées, une figurante filmant les déambulations du monstre, l’adoption d’un enfant rescapé à la fin (humain ou cochon)… Les différences résultent de l’édulcoration imposée par ce remake tout-public : le monstre, toujours né de l’impérialisme américain, n’est plus carnivore et meurtrier mais végétarien et affectueux, il ne régurgite plus des monceaux d’ossements mais envoie des petites crottes rigolotes, les terroristes sont devenus inoffensifs, le deuil final s’est changé en retrouvailles. Le tour de force de Bong Joon-Ho est d’avoir intégré au film sa propre critique à travers l'évocation de sa conception, seule façon d’assumer la contradiction de travailler pour l’empire Netflix. "Okja", ce gros machin construit pour satisfaire la demande des consommateurs, rafistolé, bafoué, supplicié, montré en spectacle, renvoie à la gueule de son public la violence de ses conditions de production et semble nous dire de faire comme son réalisateur : surtout ne pas le regarder !

Voir "Okja" en plus de "Mother" permet de mieux comprendre "The Host". La métaphore maternelle a quelque chose de politique elle aussi. La société coréenne, tout comme le monstre, résulte de l'impéralisme américain et du renoncement coréen. C'est une mère qui étouffe sa fille ou la réduit à la passivité (la sœur archère). Quant à la masculinité, après la brutalité des années 80, est elle devenue assoupie et absente, incapable de s'occuper de ses filles (ni même de les voir, puisque le personnage se trompe de gamine au début). La fin où le petit garçon a remplacé l'adolescente n'est pas présentée comme positive (la fin d'un film n'est pas forcément la vision d'un idéal ou un mot d'ordre, et n'interdit pas d'avoir un point de vue critique sur le monde qu'elle dépeint), elle montre seulement ce que le personnage du "héros", incarnation du mâle coréen actuel pour Bong Joon-ho, a été capable de faire jusque là, et le fait qu'il soit devenu père d'un garçon et non pas d'une fille va dans ce sens.

Dans "Mother" la mère est une figure dévorante, infantilisante, incapable d'ouvrir les yeux sur ce que son rejeton est devenu, préférant recourir à la brutalité pour mettre la poussière sous le tapis plutôt que d'affronter les problèmes, dont celui des rapports entre hommes et femmes, tous très violents dans le film.

Enfin "Okja" peut apparaître comme le versant féminin de "The Host", puisqu'il est cette fois centré sur une jeune fille. S'y développe une vision du sexe assez singulière, notamment à travers la scène d'accouplement forcé d'Okja. Voici un autre passage sur "Okja" de ce que j'avais mis sur le forum d'ASI :
Tous les personnages du film sont plus complexes qu’il n’y paraît, à commencer par son héroïne Mija. Bong Joon-Ho en fait une jeune fille refusant de devenir jeune femme (son oncle préfèrerait qu’elle rencontre des garçons plutôt que traîner avec un animal). Elle finit par échanger son cadeau de mariage contre Okja, qui semble incarner, sous la forme d’un doudou très envahissant, l’enfance que Mija refuse d’abandonner, préférant le pipi-caca à la découverte du sexe. Dès lors la scène d’accouplement prend tout son sens, au-delà de la maltraitance animale. Ce n'est pas une critique de la pression sociale du mariage, mollement incarnée par le grand-père. Okja est humanisée (nulle mention de chaleurs) et comme Mija elle refuse de fréquenter les garçons. La scène est poussée à l’extrême et prend la forme d’un viol. Tout est fait ensuite pour que Mija ne soit pas mise face aux images de la vidéo, mais elle est placée dans un dispositif pervers où tout se passe dans son dos. On ne sait pas ce que Mija dit ensuite à l’oreille d’Okja pour la calmer. A la fin toutes les deux retournent vivre comme avant à la campagne, avec un petit qui n’est pas celui d’Okja, dont le viol semble n'avoir laissé aucune séquelle. Okja incarnant une sorte de double inconscient de Mija, on peut se demander de quoi Mija est rescapée… L’oreille-boîte-noire d’Okja, réceptacle des confidences de Mija depuis sa plus tendre enfance, a recraché une scène terrible qui pourrait être le refoulé de la jeune fille. Le film reste d'ailleurs évasif sur son passé (même ses parents sont enterrés), et la maintient dans un rapport au sexe uniquement fondé sur le déni voire le dégoût (comme dans "Indiana Jones et le Temple Maudit", autre film d’enfants pour adultes mémorable).

La société coréenne présentée dans "Okja", toujours gangrénée par la corruption et la soumission, semble encore loin de parvenir à la maturité, mais cette fois les femmes sont présentes : la petite fille a survécu et Okja, devenue mère par adoption, élève son enfant. Il faudra attendre les prochains films de Bong Joon-ho pour savoir comment les choses évoluent... Quant aux hommes, ils ne sont plus représentés que par le grand-père, complètement hors du coup et amené à disparaître. L'idée de renouveau était déjà avancée dans "Snowpiercer", où le train (désigné au féminin dans la version anglaise) pouvait se voir comme le prolongement du monstre : les personnages adultes mourraient dans le déraillement et seuls le petit garçon afro-américain et l'ado coréenne survivaient. Cette dernière y était d'ailleurs jouée par la comédienne avalée par le monstre de "The Host" !

Merci pour cette émission !

Par sibo, le 10/03/2018 à 20h32 ( modifié le 10/03/2018 à 20h46 )

J'ai vu ce film, qui à l'époque ne m'avait pas paru un chef-d'oeuvre, et qui m'avait plutôt mise mal à l'aise. Il m'avait semblé sexiste, carrément, et votre regard commun ne m'a pas fait changer d'avis. Par exemple, le fait que la petite fille est changée par un petit garçon...
Même si je dois avouer que du point de vue cinématographique, ça le fait...

Par Yanne, le 10/03/2018 à 16h05