L'image peut-elle tuer ?
Dans Le Film
Marie-José Mondzain
Murielle Joudet
A plusieurs reprises, lors de l'émission, je ne cesse d'invoquer auprès de Marie-José Mondzain cette scène initiale qui aura été à l'origine de cette émission : moi, le 13 novembre, seule toute la nuit devant mon ordinateur à compulser un maximum de sites et de pages Facebook, avec derrière, la télé en pleine crise d'épilepsie entre BFMTV et Itélé. Je parle d'une nuit mais je me souviens très bien : ça a duré une semaine, et je peux même aller plus loin : ça dure encore, ça n'en finit pas, cette gourmandise morbide, pour les images de la catastrophe, les vidéo Youtube qui me prennent à la gorge, et on peut même le dire, une simple information est en elle-même une image. Je n'ai rien vu sur le massacre d'Orlando, mais mon cerveau malade s'est occupé de me livrer ses images, et c'est un peu comme si j'avais tout vu. Ca s'infiltre dans les rêves, dans un moment d'absence lorsque je marche dans Paris. Bref, tout porte à croire qu'on pourrait répondre positivement à la question du très bel ouvrage de la philosophe spécialiste de l'image Marie-José Mondzain : oui, l'image peut tuer, ou disons qu'elle n'en finit plus de nous abîmer l'imaginaire.
Cette émission c'est en quelque sorte le parfait contrechamp de toutes les émissions qui précédaient et qui portaient pour la plupart sur des objets d'amour. Cette fois-ci on s'est occupés de décortiquer un objet de haine, de dégoût qui se retourne pourtant en addiction : le réel qu'on nous propose sous forme de catastrophe permanente. Il était d'ailleurs assez curieux de voir qu'après le 13 novembre j'ai mis une semaine avant de pouvoir regarder un film, comme si c'était trop obscène d'opposer la quiétude d'une fiction à ce torrent d'images d'enfer, comme si l'obscénité, l'irréalité, était du côté de la fiction, et non pas des mauvaises images qui opèrent comme des coups de couteau intempestifs dans le réel. La violence de l'image (la philosophe inaugure son livre avec les images du 11 septembre) c'est peut-être ça : la déréalisation totale, le retour au chaos, alors qu'à la base, la fiction, le cinéma, la littérature (en tant qu'elle produit aussi des images), sont là pour ordonner l'expérience, agencer un monde, nous donner le monde.
Je ne vous en dis pas plus, simplement que j'ai pris un plaisir immense à lire cet essai et à faire cette émission, le plaisir immense qu'il y a à suivre la rigueur implacable et salvatrice des raisonnements de Marie-José Mondzain, qui mêle réflexions historiques, politiques, théoriques, part du 11 septembre et arrive jusqu'à Intouchables en passant par Leni Riefensthal et l'icône chrétienne. Elle nous livre là une explication généreuse, méticuleuse et émancipatrice, je crois, et nous permet de nous réapproprier un peu plus ce que nous voulons sauver : nos yeux, nos cerveaux, mais aussi et surtout l'image elle-même. Et ce qui est très beau, c'est qu'elle le fait grâce à un élément qui rend cette émission performative (il faut voir ma tête toute fière à la fin de l'émission) : la parole.
Commentaires
16 commentaires postés
ça a la prétention de voler tellement haut comme discours,que ça s'incarne dans une confusion filandreuse...cabu ou wolinski auraient croqué cette philosophe risible, avec un talent vivifiant...
Par luc lefort, le 09/05/2018 à 11h11
La seconde moitié de l'entretien verse dans le n'importe quoi, la faute à M. Joudet qui ne fait pas son travail d'intervieweuse de façon rigoureuse et d'un manque d'exigence intellectuelle de la part de son interlocutrice. Que de concepts complexes méritant largement plus d'approfondissements à peine survolés et même pas interrogés. 'Anorexie psychotique' , 'libération de l'imaginaire' (pourquoi pas, mais pas balancé comme ça entre deux phrases sans vraiment de précision de ce qu'on veut dire par là, après avoir parlé d'inceste, viol, parricide - ce n'est pas en convoquant le dyonisiaque et le cathartique que ça élude toutes les problématiques des années 70 sur le sujet), convocation des "autistes" entre deux phrases - inconséquent vu la diversité et la complexité du sujet et c'est un concerné qui en parle, pas une intellectuelle qui utilise ça comme argument lâche - puis ce "démocratie participative" balancé n'importe comment à la fin - dans une comparaison expliquée de façon assez nébuleuse...
Ca part dans tous les sens sans vraie cohésion et ça manque vraiment d'un cadre pour éviter cette dispersion.
Quelle confusion.Et on a beau convoquer Deleuze, on en est si loin...
Murielle Joudet devrait vraiment faire attention à être moins complaisante avec ses invité(e)s, ça fait plusieurs émissions qu'elle ne problématise pas les propos de ses interlocuteurs et je finis par penser qu'elle n'a pas la capacité de le faire, ce qui est gênant au vu de sa tâche. C'est bien de laisser la parole, mais n'est elle pas là pour interroger - c'est plus des entretiens, c'est une vitrine sans plus value. Dommage, surtout comparé à ses collègues sur le site. Manque d'expérience, de travail ou de compétence ?
Par hello_world, le 08/08/2016 à 01h55 ( modifié le 08/08/2016 à 03h48 )
Je n'ai pas le petit bouton pour mettre l'émission en plein écran (ce n'est pas le cas sur les autres émissions). Ca ne marche pas non plus en double cliquant sur la vidéo. C'est normal ?
Par Damien, le 18/07/2016 à 20h50
" Je suis un asthmatique de l'âme. Je veux dire par là que l'époque me pose un problème respiratoire. C'est ce qui m'a conduit très tôt à chercher, dans le fatras de mes années 90, quelques espaces, deux ou trois idées... pour respirer. Je pense ne pas être le seul. Au contraire, je veux bien prendre les paris : ce JE suffocant est un NOUS ; le NOUS d'une génération qui a façonné sa conscience entre deux dates curieusement symétriques : 9/11 pour 9 novembre 1989. 11/9 pour 11 septembre 2001. La chute d'un mur et la chute des tours. Boum derrière. Badaboum devant. Deux fois 9, deux fois 11, et deux effondrements. [...]. Je rage chaque jour de l'impudeur avec laquelle les vieux s'étalent et se répandent. Qu'ils meurent, bon sang, et emportent avec eux leurs souvenirs, leur État, leur libération sexuelle, leurs révolutions ratées, leurs désillusions. L'histoire qu'ils écrivent, nous n'en voulons plus. La nôtre, la voilà ! "
Camille de Toledo , "Archimondain jolipunk"
PS: ça serait bien de mettre cette émission sur youtube gratuitement. Ca tape trop juste pour le garder pour soit.
Par Gauthier R, le 13/07/2016 à 10h52 ( modifié le 13/07/2016 à 11h05 )
Simplement merci de m'avoir fait découvrir Marie-José Mondzain. Déjà plusieurs recherches pour me faire faire un pas de plus à ses côtés . Une envie furieuse de la faire connaître autour de moi (petits ou grands) . Continuez! :-)
Par dywenlac, le 10/07/2016 à 16h52
MERCI D'AVOIR INVITÉ CETTE DAME PENSANTE... que je lis depuis longtemps.
Par félie pastorello, le 02/07/2016 à 15h09
Superbes explications de Mme Marie-José Mondzain. Et en plus elle est polie. Elle ne vous a pas fait remarquer que c'était (comment dire ... , pas bien) de regarder les chaînes d'info en continu, ou la télé tout simplement. Je crois bien qu'il y a eu une époque ou les parents disaient aux enfants de ne pas rester trop longtemps devant un écran. Tant pis pour vous, mais merci pour nous car votre émission était vraiment très bien. Les autres aussi.
Franck Rigaud
Par franck rigaud, le 29/06/2016 à 20h52
L'hymen de la Vierge comme premier écran. Cette image m'enchante...et va me faire de l'usage.
Comme toute cette conversation passionnante, posée, riche.
Quand j'entends MJ Mondzain dire qu'apprendre à voir, c'est apprendre à parler, je rêve que cet entretien connaisse la plus large diffusion dans les milieux... adéquats.
Merci.
Par felix d, le 27/06/2016 à 17h48
Encore une émission fascinante sur hors-série une invité que je trouve exceptionnelle, brillante et qui fait du bien.
Ces Spinozistes (Marie-José Mondzain me semble proche de ceux la) nous font du bien. Quelle émission!
Bravo et encouragement a l'équipe,
Par Loic Chantry, le 27/06/2016 à 02h23 ( modifié le 27/06/2016 à 02h28 )
Mme Monzdain est magnifique de pertinence et d'intelligence. Quel oeil acéré ! merci pour ce très intéressant entretien.
Par Annie HUET, le 26/06/2016 à 11h42
merci pour cette émission !
pour poursuivre sur les images de non-amour, ne serait-ce pas judicieux d'inviter Jean-Louis Comolli, grand cinéaste théoricien des dispositifs cinéma avec son dernier livre "Daech, le cinéma et la mort" ?
Par gomine, le 26/06/2016 à 11h07
L'image mental , au coeur de tellement de chose , des cours de cinema etc , et puis un jour je vois que l'image mental est a l'esprit ce que l'air est au corps :
"La superstition est le grand ennemi de l'homme, mais la bigoterie est pire. Pourquoi un chrétien va-t-il à la messe ? Pourquoi la croix est sainte ? Pourquoi tourne-t-on son visage au ciel pour prier ? Pourquoi y a-t-il tant d'images dans les églises catholiques ? Pourquoi y a-t-il tant d'images dans les esprits des protestants quand ils prient ? Mes frères, nous ne pouvons pas plus penser à quelque chose sans une image mentale que nous ne pouvons vivre sans respirer. Par la loi de l'association, l'image matérielle appelle l'idée et vice versa. C'est pourquoi l'hindou utilise un symbole extérieur quand il adore. Il vous dire que cela aide à fixer l'esprit sur l'Etre qu'il est en train de prier. Il sait autant que vous que l'image n'est pas Dieu, que l'image n'est pas omniprésente. Mais après tout, que veut dire l'omniprésence à la plupart des gens ? C'est seulement un mot, un symbole. Est-ce que Dieu possède une limite ? Dans le cas où Il n'en possèderait pas, quand nous répétons ce mot « omniprésent », nous pensons à l'immensité du ciel ou de l'espace, c'est tout.
Comme nous arrivons à cela d'une façon ou d'une autre, par les lois de notre constitution mentale, nous devons associer nos idées de l'infinité à l'image du ciel bleu, ou à l'image de la mer, ainsi, nous connectons naturellement notre idée de la sainteté avec l'image d'une église, d'une mosquée ou d'une croix. Les hindous ont associé leur idée de sainteté, pureté, vérité, omniprésence, et autres idées du même type avec des images et des formes différentes. Mais avec cette différence que, pendant que certaines gens dévouent leur vie entière à une idole qui est une église et ne parviennent jamais à s'élever plus haut, parce que pour eux, la religion signifie l'assentiment intellectuel à certaines doctrines ainsi que faire le bien pour leurs congénères, la religion pour l'hindou est centrée sur la réalisation. L'homme doit devenir divin en réalisant le divin. Les idoles, les temples, les églises ou les livres ne sont que des supports, des aides dans cette enfance spirituelle : car encore et encore, il doit progresser.
Il ne doit pas s'arrêter en chemin. Les Ecritures disent : « Adoration externe ou adoration matérielle, sont le stade le plus bas ; combattre pour s'élever ou accomplir la prière mentale sont l'étape suivante ; mais le stade le plus haut est quand le Seigneur a été réalisé ». L'homme pénétré qui s'agenouille devant l'idole vous dira : « Personne ne peut L'exprimer, ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles, ni les éclairs, ni ce que nous dénommons le feu : à travers Lui, ils brillent tous. » Mais il ne méprise l'idole de personne ou ne nomme l'adoration des idoles des autres péché. Il reconnaît en cette adoration une étape nécessaire de la vie. « L'enfant est fils de l'homme. » Serait-il juste pour un vieil homme de dire que l'enfance est un péché ou que la jeunesse est un péché ?
Si un homme peut réaliser sa nature divine avec l'aide d'une image, serait-il juste de nommer cela un péché ? Non plus qu'une fois passé outre cette étape, la nommerait-il rétrospectivement une erreur ? Pour l'hindou, l'homme ne voyage pas de l'erreur à la vérité, mais de la vérité à la vérité, d'une vérité plus basse à une vérité plus haute. Pour lui, toutes les religions, depuis le plus simple fétichisme au plus haut absolutisme, mettent en lumière les tentatives de l'âme humaine pour appréhender et réaliser l'Infini, chacune de ces tentatives étant déterminée par les conditions de sa naissance et de ses associations, et chacune d'elle marquant une étape dans la progression spirituelle. Chaque âme est un jeune aigle s'élevant de plus en plus haut, réunissant de plus en plus de force, jusqu'à que ce dernier atteigne le Soleil Glorieux."
"oui, l'hindou refuse de vous désigner en tant que pêcheurs. Vous êtes les Enfants de Dieu, ceux qui partagent le bonheur éternel, des êtres saints et parfaits. Vous, des divinités sur terre, des pêcheurs ! C'est un péché de nommer un homme comme cela ; c'est une diffamation contre la nature humaine. Venez, O lions, et débarrassez-vous de cette illusion que vous êtes des moutons ; vous êtes des âmes immortelles, des esprits libres, bénis et éternels ; vous êtes pas la matière, vous n'êtes pas les corps ; la matière est votre serviteur, vous n'êtes pas serviteur de la matière.
C'est ainsi que les Védas ne proclament pas une combinaison terrible de lois impitoyables, ni une prison sans fin de causes et d'effets, mais que, en tête de toutes ces lois, dans et au travers de chaque particule de matière et de force, se tient l'Un « par la commande duquel le vent souffle, le feu brûle, le nuage se transforme en pluie et la mort arpente la terre. »
Vivekananda 1893 : http://www.1001nuits.org/index.php?title=L%27hindouisme%2C_par_Swami_Vivekananda
Par Gauthier R, le 26/06/2016 à 09h23 ( modifié le 26/06/2016 à 09h31 )
WHOUUOOOUUOOOOO!
quelle emission!!
magnifique! profonde ! LA qualitee des mises en perspective !!! j en suis encore tout chose !
a regarder et ecouter encore et encore pour savourer le miel de cet entretien vraiment... vraiment... ... luminescent ! enthousiasmant !
extra quoi!
merci !!!
ps > a la question "qu est ce qu on peut faire ?" qui surgit dans l emission > le tac au tac extraordinaire, la vivacitee de Marie-José Mondzain >> " et bien ca ! "
... c est rafraichissant et energisant ! ... donc >>> merci HORS SERIE :) !!!
Par yann, le 26/06/2016 à 07h45
En regardant cette émission, me sont revenus ces vers de Prévert :
j'ai mis ma main sur mon cœur
où remuaient
ensanglantés
les sept éclats de glace de ton rire étoilé
On dit qu'à chaque changement de siècle, et à plus forte raison de millénaire, il y a une explosion culturelle qui change tout.
Or, nous sommes en 2016 et cette révolution n'a pas eu lieu ! Normalement, comme le blocage est gigantesque, ça devrait être impressionnant.
Enfin, on peut toujours espérer....
Par Yanne, le 25/06/2016 à 22h10
Entendons l'Alerte et la mesure de la décrépitude dans laquelle nous surnageons comme nous pouvons, nous serons broyés et déjà certain(e)s sont consentant(e)s à devenir des prisonniers de ce système régressif en restant des heures (des jours !) devant les images décervelantes!! ...apprendre à se mettre à l'écart.
Revoir la conférence de Michel Desmurget sur la "lobotomie et la TV" vidéo 1h30
http://fsl56.org/les_conferences/michel_desmurget_tv_lobotomie
Par morvandiaux, le 25/06/2016 à 17h24
Très intéressant et formateur.
Par mbloch3, le 25/06/2016 à 15h41