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Vertigo, une enquête

En accès libre

Jean-François Rauger

Dans le film ne pouvait pas se priver encore longtemps d'un type d'émission qui, de façon aléatoire, serait entièrement consacré à l'analyse d'un film. Cela relevait d'une nécessité, mais aussi d'un défi (qu'est-ce qu'on a encore à dire sur les films qu'on aime ?) autant que d'une envie. Le critère de sélection du premier film était là assez simple, il n'y avait qu'à prendre le film le plus cité jusque-là dans nos entretiens. A ce jeu, Vertigo (Sueurs froides, 1958) d'Alfred Hitchcock bat tous les records : à chaque fois qu'un invité ou moi-même en parlons, il est brandi sur le ton de l'évidence. Pour moi comme pour eux Vertigo est le parfait synonyme d'un chef-d'oeuvre cinématographique, cela ne fait aucun doute.

En ce sens, faire une émission entièrement consacrée à Vertigo c'était prendre le temps de s'arrêter pour voir ce qui se trouve derrière ce terme de "chef-d'oeuvre" qu'on dégaine souvent à tort et à travers. On y trouve principalement des impressions vagues, des souvenirs de projection, des images qui se donnent avec leurs affects, des injonctions à aimer (aussi parfois), de l'intimidation, des discussions et des critiques lues sur le film en question, bref, tout un petit paquet d'informations qui se sédimentent pour composer l'idée du chef-d'oeuvre. Mais avant tout, et c'est là la définition minimale qui sera la nôtre lorsque nous ferons ce genre d'émissions : un chef-d'oeuvre c'est d'abord ce dont on discute, ce dont on ne finit jamais de discuter, et on en discute d'abord et avant tout pour convaincre avec nos fragiles moyens les plus sceptiques qu'il s'agit bien d'un chef-d'oeuvre (souvent on ne fait que les engueuler avant de leur repayer un coup).

"Vertigo, une enquête" cela peut prendre deux sens. C'est à la fois l'enquête du film, de Scottie (James Stewart) acceptant d'enquêter sur les étranges agissements de Madeleine (Kim Novak), et c 'est à la fois l'enquête du spectateur devant ce film, selon moi l'un des plus beaux qui soit, précisément parce qu'il vient nous chercher et nous offre d'être, à chaque visionnage, comme un détective devant un mystère encore irrésolu. De mémoire de cinéphile, on ne peut pas trouver place plus respectueuse ou ennoblissante. Le personnage de Scottie nous tend une image archétypale certes, mais satisfaisante et suffisamment romanesque de ce que nous nous sentons être en tant que sujet mais aussi, pour certains, en tant que cinéphile et sujet désirant (c'est là toute la zone extrêmement intime et, disons le, psychanalytique que le film parcourt en nous, faisant littéralement du passé la profondeur du sujet).
 "Jamais dans aucun film le cinéma n'a été autant fabrication et confession, spectacle et intimité." écrit très justement Jacques Lourcelles dans son Dictionnaire du cinéma. Vertigo (et cela vaut pour toutes les grandes oeuvres) c'est tout à la fois le plus intime, ce bout d'intimité que l'on garde jalousement pour nous et qui ne souffre d'aucune sociabilité, et une idée du cinéma largement partagé, celle-ci discutable ou du moins, sur laquelle nous pouvons communiquer. Un grand film est selon moi toujours la réconciliation entre ce que nous avons de plus intime et muet et ce que nous avons de plus sociable en nous (notre propension à discuter des films), et pour moi Vertigo a toujours été le film qui allait le plus loin dans cette réconciliation, en poussant encore plus loin

On en parle ici avec Jean-François Rauger, que nous recevions il y a un an pour évoquer son métier de directeur de la programmation à la Cinémathèque française. Jean-François Rauger est aussi critique au Monde et son dernier livre en date est un bel ouvrage intitulé "L'oeil domestique, Hitchcock et la télévision" (éd. Rouge Profond) où il évoque un pan assez mal connu de l'oeuvre hitchcockienne, à savoir sa série télévisée "Alfred Hitchcock Presents".  C'est avec un mélange indissociable d'érudition et de sensibilité qu'il nous parle de Vertigo et dans un premier temps revient sur la genèse du film, sur les aléas de sa fabrication avant de s'engouffrer tout à fait dans l'analyse et le "délire" d'extraits, puisque selon lui, "toute interprétation est un délire".
  En écoutant les anecdotes de tournage, il est ainsi drôle de voir à quel point certains choix (dont notamment celui de Kim Novak par exemple) ne tenaient à pas grand-chose alors qu'ils m'apparaissent relever d'une nécessité totalement impérieuse. Je crois que c'est une des qualités des grands films que de nous rendre quasiment incroyable l'idée que leur tournage ait pu avoir lieu, et avec cela, qu'ils soient entre autres le fruit d'une série de discussions et d'hésitations; on en revient toujours à cette impression de naturalité de l'oeuvre d'art qui existerait sur le même mode qu'un paysage.
Pour autant, parler de Vertigo, en savoir plus sur l'envers du décor et les chamailleries d'Hitchcock avec son actrice ou son producteur, en apprendre plus sur les influences picturales d'Hitchcock, ce n'est jamais égratiner l'oeuvre ou renoncer aux superlatifs, mais bien au contraire, voir qu'une fois décortiquée, l'intégrité du film reste étrangement intacte, qu'en touchant à tout et en ayant tout documenté on n'a le sentiment de n'avoir touché à rien. Pour moi, la seule évidence de Vertigo est celle de son mystère absolu. On est finalement comme Scottie, pétrifié devant un objet insaissisable, en train de recoller les morceaux d'un puzzle impossible. C'est peut-être cela que voulait dire Jean-François Rauger en parlant de "film impensable", ce sentiment vertigineux qu'en pensant le film c'était davantage lui qui nous pensait.
Mais c'est une admiratrice qui parle, et cette émission a d'abord été pensée pour les plus sceptiques et même pour ceux qui n'ont pas encore vu le film. Et s'ils ne sont pas satisfaits, je leur repaye un coup.


Bibliographie sélective :

Jean-François Rauger, L'oeil domestique, Hitchcock et la télévision, éditions Rouge Profond, 2014
Jean-Pierre Esquenazi, Vertigo, CNRS éditions, 2011
Tania Modleski, Hitchcock et la théorie féministe, les femmes qui en savaient trop, traduction de Geneviève Sellier, l'Harmattan, 2002
Jean Douchet, Hitchcock, éditions Bibliothèque des Cahiers du cinéma, 2003
François Truffaut, Hitchcock, édition définitive, Gallimard, 2003
Jacques Lourcelles, Entrée "Vertigo" dans le Dictionnaire du cinéma : les films, Robert Laffont, 1999

En accès libre , émission publiée le 12/12/2015

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

26 commentaires postés

J'ai encore appris des choses sur ce film incroyable. Bravo à Jean françois Rauger, sa clarté et son ouverture. Tout à fait d'accord sur l'adjectif qui qualifie le mieux ce film à savoir "psychique",sur l'ambiguïté constante, sur les ruptures et les contrastes, et sur l'expressionisme subtil et........psychique du film. Vertigo est vraiment une machine redoutable qui excite nos neurones à la fois dans ses recoins les plus "archaïques" (attention ! Concept non psychanalytique)et sur la raison avec la perception jouissive de l'ambiguïté.
Quant à Kim Novak et son interprétation, elle fait partie de ces accidents divins du cinéma (comme Peter O' Toole ds Lawrence ou Bogart ds Casablanca), c'est à dire ces pièces rapportées qui se transforment en fondation quasi métaphysique. Elle est........miraculeuse !
Par contre je ne suis pas d'accord avec cette foutue lecture psychanalytique. Freud n'a rien découvert à part le faux "complexe d'oedipe". L'inconscient et ses avatars existaient bien avant lui. D'ailleurs plus Hitchcock est dans l'explication "psychanalytique", plus il est mauvais (cf. "la maison du docteur Edwardes" ou "Pas de printemps pour Marnie" ou encore pire l'explication finale idiote de "Psychose"). La psychanalyse est une idiotie gnostique et peut se mettre dans la catégorie bien décrite par Rauger des délires interprétatifs.
Je ne suis aussi pas d'accord avec Rauger quand il parle de la filature et de son côté "qui fait avancer l'histoire" . Pas du tout ! La filature est pleine d'une tension insoutenable et renforce le côté spectacle intrusif et pervers comme si Scottie (James Stewart) s'infiltrait dans le cerveau de la soi-disant folle Madeleine en suivant ses.........errements (le fameux "wandering"). Et c'est pour cette raison qu'Hitch a eu raison d'enlever les monologues intérieurs. Il fallait renforcer l'angoisse de la vision de l'imprévisibilité.
Quant à l'histoire de la "petite culotte" elle fait partie des provocations sexuelles d'Hitchcock tout à fait superficielles (ds la veine du train de la mort aux trousses) qui ne peuvent qu'abuser des gens comme Truffaut et ses admirateurs et le lien entre fétichisme et impuissance que fait Rauger est très............. "psychanalytique" c'est à dire limite foutage de gueule.
Je ne suis aussi pas d'accord avec ce que dit Murielle Joudet sur le fait qu'Hitchcock n'a pas filmé le couple. Bien au contraire Murielle, Hitchcock a disséqué (si je puis m'exprimer ainsi) le couple et TOUS ses avatars dans "Fenêtre sur cour" avec la fin tragique que l'on sait et surtout surtout , cette même fin en arrière plan pour le couple "Kelly/Stewart".

Par Laertes, le 08/05/2016 à 18h06

Ca donne vraiment envie de revoir des classiques.

J'ai hâte d'une spéciale sur David Lynch.

Par Le cas échéant, le 28/12/2015 à 22h40

J'avais vu Vertigo il y a très longtemps et j'avais (d'après ce que je comprends aujourd'hui) presque tout raté. Je vais le revoir à la lumière de ce qui en a été dit ici et à l'écoute des remarques de Sleepless (en espérant qu'écouter n'empêche pas d'entendre).

Par Robert., le 25/12/2015 à 12h11

Passionnant entretien, je venais d'acheter Vertigo en Blu ray et quelques jours apres je recois la newsletter de hors serie mentionnant cette emission... Je me suis reabonne expres. En esperant que de nombreuses autres analyses suivront.

Par Baptiste B, le 21/12/2015 à 23h37

Bonjour tout-te(s),

J'ai pris l'entretien en pleine poire (ayant un rapport étroit de spectateur avec ce film comme bien d'autres personnes, j'imagine).
Bravo Muriel, continuez sur votre lancée. En général, je ne suis pas très féru de vos entretiens qui s'orientent plutôt (ce n'est que mon avis) vers une joute cérébrale qui entre peu en résonance avec mes propres repères ou mes référents personnels.

Mais là... !!! C'est le Jackpot ! Un entretien ludique et papillonnant (je conviens que le volet musical ait été escamoté mais j'ai trouvé les commentaires forts durs : ce n'est pas une exégèse totale du film, c'est un dialogue sur des délires interprétants (à ce titre, le sens de la formule de JF Rauger est un pur bonheur).
Je voudrai juste revenir sur la notion de regard et de voir (2 verbes radicalement différents).
Ces 2 verbes expliquent, de par leur sens, la raison même d'aller VOIR un film plusieurs fois (quand le désir s'en vient).
Car, ne dit-on pas : putain, j'ai pourant bien REGARDE ce passage mais je ne l'avais pas VU !!!
le regard, c'est la contemplation, de ce qui (semble) être.
la vue, c'est la VISION : on transperce un réèl et on perçoit.

C'est très mimi de terminer sur un "je crois que je vais pleurer", on avait envie de vous prendre dans les bras pour vous consoler :)

Merci à vous,

Cyril.

Par Klérian, le 20/12/2015 à 14h40

J'ai revu vertigo avant l'émission et, effectivement, j'ai remarqué toutes ces "portes ouvertes" dans l'interprétation du film. Cependant, je ne suis pas sûr d'avoir apprécié ce questionnement régulier sur le sens de l'histoire : les cartes sont un peu trop souvent brouillées, on est plusieurs fois dans l’invraisemblance. Bref, on s'interroge plus qu'on ne regarde le film. Pas toujours certes, ça reste un bon film et le générique atteint lui la perfection.
Dans le genre "film à tiroirs", où l'interprétation peut paraître ambigüe, Mulholland Drive est percutant.
Bonne émission.

Par Pierre-Yves Dubois, le 18/12/2015 à 20h13

Les films qu'on ne peut pas comprendre à la première projection devraient faire l'objet d'un avertissement pour les spectateurs. Quelque chose du genre : "Attention, film expérimental, conservez votre ticket, tarif dégressif pour les séances suivantes".
Ou bien : "Avertissement pour les spectateurs habituels des films de Monsieur Alfred Hitchcock : certaines scènes peuvent laisser croire qu'il s'agit d'un film de Monsieur Michelangelo Antonioni".
Ou bien : "Ne regardez pas ce film comme vous regarderiez un film ordinaire. Il s'agit d'un chez d'oeuvre indiscutable".
Pour les diffusions à la télévision : "Certaines scènes s'assombrissent ou bien virent au vert ou au rouge. Cet effet est voulu ; ne déréglez pas votre téléviseur".
Je dis ça parce que lorsque je l'ai vu à la télé, je n'étais pas prévenu que j'avais affaire à un film exceptionnel et j'ai cru que c'était un navet, un ces films d'Hitchcock, tel "L'Etau" dont il a perdu le contrôle pendant la réalisation ("un frèle esquif sur l'océan déchaîné et non un train avançant dans la nuit", aurait pu dire Truffaut) et qui ont été présentés au public alors qu'ils n'étaient pas vraiment achevés.
Je remercie donc Murielle Joudet pour m'avoir ouvert les yeux.

Par Papriko, le 18/12/2015 à 18h23 ( modifié le 18/12/2015 à 18h40 )

ça manque de déontologie tout ça

Par johnmellor, le 17/12/2015 à 14h27

Très intéressant. Cela m'a donné envie de revoir le film. Mais j'ai trouvé la fin un peu abrupte avec un petit goût de pas assez.

Par Yael Elbaz, le 15/12/2015 à 19h36

Cher phil, pour finir avec un dernier commentaire.

je ne suis aucunement dérangée par le livre d'Esquenazi, puisqu'il devait être mon invité. Son livre m'a appris pas mal de choses mais en dehors de cet apport purement factuel j'ai le sentiment que le livre d'Esquenazi se cache derrière tout un arsenal théorique (en gros Bourdieu et Becker) pour dire des choses qui ne concernent pas le film et qui ne disent rien de lui. L'idée d'une paraphrase du milieu hollywoodien est peut-être excitante mais assez insuffisante et elle ne m'intéresse pas beaucoup.
En clair, il y a au moins 150 pages en trop dans ce livre, quant au reste il m'aura réellement servi. Le but de cette émission était davantage de parler de Vertigo que d'exprimer une querelle entre deux écoles. Cela nous l'avons déjà fait précédemment (je vous renvoie à l'émission avec Laurent Jullier) et nous le referons peut-être un jour. Merci à vous.

Par Murielle, le 15/12/2015 à 18h51 ( modifié le 15/12/2015 à 18h51 )

Très intéressant décryptage de Vertigo, je vais le revoir imprégnée de tout cela. Merci.

Par Annie HUET, le 15/12/2015 à 17h48

Super DLF ! Félicitations ! J'ai trouvé l'émission très riche et resserrée dans son propos, et j'ai beaucoup apprécié lorsque l'analyse s'appuyait directement sur les images du film (cela m'a rappelé aussi un peu certaines émissions de DLT où les œuvres littéraires sont expliquées de l'intérieur, à travers la langue, le style, la structure du texte...). Merci.

Par JYC, le 15/12/2015 à 09h45

@ Murielle : Si votre premier choix était Esquenazi, je ne peux que regretter que la rencontre n'ait pas eu lieu.
L'événement aurait consisté à faire se rencontrer l'univers médiatique et le domaine universitaire, comme le souhaitait Geoffroy de Lagasnerie dans une précédente émission Aux ressources où il fustigeait la toute-puissance médiatique et le repli sur soi de l'Université. L'expérimentation, la vraie prise de risque aurait consisté pour vous, comme face à Laurent Jullier, à formuler avec précision votre désaccord avec les thèses d'Esquenazi, et pour Esquenazi de confronter sa théorie à l'"enthousiasme" et la "sensibilité" d'une critique cinéphile. Sauf erreur de ma part, vous mentionnez Esquenazi deux fois dans l'émission, et ce n'est vraiment pas à sa gloire : une fois pour l'anecdote sur Vera Miles, qu'on trouve dans tous les documentaires sur Vertigo, et l'autre fois pour critiquer sa référence aux thèses essentialistes de Paula Cohen. C'est un peu court... Ce qui vous gêne peut-être dans les thèses d'Esquenazi, c'est qu'il ne s'inscrit pas dans une perspective strictement esthétique du cinéma, mais dans les Cultural Studies : il cherche à remettre en contexte Vertigo, à montrer comment le film relit les codes du genre du film noir, et surtout comment il transcrit (le mot employé par Esquenazi est paraphrase) le milieu hollywoodien. Pour le dire en termes esthétiques, Vertigo tend à être un méta-film, mais son classicisme l'empêche d'en être un véritable comme le sont certains films d'Aldrich.

Par Phil, le 15/12/2015 à 01h49

Je vais peut-être vous paraître hors sujet, pardon d'avance, mais y a-t-il parmi vous, cinéphiles et hitchcockophiles, quelqu'un qui aurait vu Dial M for Murder/Le crime était presque parfait en blu-ray 3D et pourrait me donner ses impressions ?
Le rêve serait de le voir en salle obscure puisqu'il a été crée pour la 3D, à l'origine mais, dans ma province, j'ai guère d'espoir de vivre cela .

Par Hubert_Non_Uber, le 14/12/2015 à 15h32 ( modifié le 14/12/2015 à 15h44 )

C'est de l'humour Murielle... de l'humour ! Tout ça n'est pas bien grave. Je parle du temps seulement, et spécifie que l'intervenant est très intéressant. Je dis que "Hors série" est hors format, justement... ne me reprochez l'affirmation du strict contraire ! Et c'est justement parce qu'Hors série est aussi "hors format" que, d’emblée, la durée m'est apparue frustrante, si substantiel que soit le contenu. Tout ça n'est pas bien grave. Je veillerai à être plus doux. Eh, vous avez regardé la séquence de Rafik et Thoret ? Pas mal aussi hein ? Ca complète bien je trouve...

Par Arnaud Romain, le 14/12/2015 à 07h43

@Phil : Bonjour Phil, merci pour votre commentaire. Comme le dit Judith, notre premier choix s'était porté sur Jean-Pierre Esquenazi et pour tout dire je n'ai été que moyennement convaincue par son livre et l'émission aurait donc davantage portée sur le désaccord entre nos deux lectures du film.
Alors à choisir, j'ai voulu inviter Jean-François Rauger car j'admire sa sensibilité et sa capacité à pouvoir communiquer ses enthousiasmes avec une grande pédagogie et une toute aussi grande générosité; il suffit de le voir à l'oeuvre à la Cinémathèque présenter d'innombrables rétrospectives. De plus nous essayons autant que nous pouvons à Dans le film, de parfois faire des émissions sans se sentir obligés d'inviter le spécialiste de la question. C'est comme une sorte de pari où le temps de l'entretien devient un temps expérimental, nous ne savons pas du tout où la discussion nous mènera, croyez le.
Jean-François Rauger a lu le livre d'Esquenazi, il a révisé pour l'entretien, nous citons le livre dans l'émission et dans la bibliographie sélective et je revendique d'avoir choisi une lecture du film plutôt qu'une autre, auteuriste contre universitaire si vous désirez le voir ainsi. Par ailleurs je ne vois pas en quoi une émission avec Esquenazi aurait été un "événement médiatique". Dans tous les cas la question se pose d'une éventuelle deuxième émission sur Vertigo et nous en discuterons avec toute l'équipe. Encore une fois merci de tous prendre compte que nous ne cessons d'expérimenter à Hors-Série avec ce que cela suppose d'atermoiements, d'épiphanies et d'oublis. Nous sommes toujours les premiers surpris par le résultat.



Par Murielle, le 13/12/2015 à 19h34 ( modifié le 13/12/2015 à 19h38 )

je vais tenter de répondre à tous les commentaires, merci en tout cas pour vos retours.

Arnaud Romain : faites moi signe si vous trouvez quelque part ne serait-ce qu'une émission d'une heure, filmée, avec des extraits, qui portent uniquement sur un film, sans pub ni interruption musicale. Si vous appelez ça "retomber dans le formatage" désolée mais je trouve ça complètement désespérant. Nous avons déjà fait des émissions d'1h45, sur Scorsese, sur Rohmer, des émissions d'1h20 et nous dépassons toujours une heure d'enregistrement. Donc autant dire que les formats ont déjà "pétés" depuis toujours à "Dans le film" et plus largement dans toutes les émissions de Hors-Série.
Je me suis déjà exprimée sur l'oubli de Bernard Herrmann mais je ne peux pas tolérer qu'on puisse tout dire sur un ton légèrement condescendant, si nous vous prenions pour des "cons" cela ferait longtemps qu'on serait passés à autre chose. Nous travaillons tous suffisamment à Hors-série pour ne pas avoir à entendre ce genre de propos.
Maintenant, j'entends ce que vous dites et je me réjouis que vous en vouliez plus, nous tâcherons d'en faire davantage la prochaine fois. Nous avons une conscience très abstraite du temps lors d'un tournage et le recul nous manque parfois (sinon toujours) quant à la forme globale de l'entretien et quant à ce qui peut y manquer.

Par Murielle, le 13/12/2015 à 19h20 ( modifié le 13/12/2015 à 19h40 )

Je rappelle un "dans le texte" ("dans le film") datant d'il y a quelques années... et sans Judith, animé par Rafik, et qui s'attardait un peu chemin faisant sur Vertigo.

http://www.arretsurimages.net/emissions/2010-12-30/Le-cinema-n-a-rien-a-voir-avec-la-litterature-id3630

Jean-Baptiste Thoret, Rafik et Siri s'attardaient sur une séquence de Vertigo absolument cruciale en matière de pur cinoche, et très étrangement absente de l'analyse de votre invité Muriel. Il retient le caractère invraisemblable de la séquence du petit hôtel, qui pourtant de son propre aveu trouve parfaitement des explication dans le hors champs... en revanche, la scène du cimetière, elle, est totalement invraisemblable dans ce qu'elle offre à voir... et là, ce n'est que l'outil filmique et son usage poussé à ses possibilités narratives les pus géniales qui est à relever. Dommage qu'il ne le fut pas, et étonnant aussi.

Et puis, Mumu, un petit tuyau : vous n'avez pas de limite de temps, vous êtes sur le net... alors Hermann, s'il est dans vos notes, reparcourez vos notes avant de rendre l'antenne à Cognac-Jay et prenez les 10 minutes supplémentaires absolument indispensables à un tour d'horizon de l'impact de ce chef-d'oeuvre... En tout cas, allez au bout de ce qu'il y a à dire. Quand j'ai vu, avant visionnage, la durée de l'émission, je savais par avance que nous serions frustrés. Je ne comprends pas : pourquoi produire des émissions sur le net, hors série et "hors format", et retomber dans le formatage ? Est-ce que vous vous dîtes en conf de rédac que nous sommes trop cons pour tolérer des émissions plus longues que celles d'Hanouna ? Mais faites péter les formats Bon Dieu ! En quoi eut-il été handicapant de fournir une émission de 90 minutes sur ce film, avec un intervenant intéressant ? Et pis si c'est trop long, faites deux chapitres... je ne sais pas... Bref, Beaucoup trop court l'émission... beaucoup trop court; songez-y pour le prochain "Dans le film", quel que soit l'oeuvre analysée. Bisous à tous et bonnes fêtes.

Par Arnaud Romain, le 13/12/2015 à 13h55

@Phil : Amusant, votre commentaire! Jean-Pierre Esquenazi était l'invité initial de cette émission... Il s'est décommandé trois jours avant l'enregistrement (il sortait de chez son médecin qui lui recommandait le repos le plus strict). Murielle s'est alors tournée vers Jean-François Rauger, le seul capable d'être à la hauteur sur le sujet dans de telles conditions d'urgence... Qu'il soit infiniment remercié, pour sa générosité, sa diligence, ses lumières et son... regard !

Par Judith, le 13/12/2015 à 00h32 ( modifié le 13/12/2015 à 00h33 )

Jean François Rauger dit des choses intéressantes et justes (Scottie est amoureux d'une image), mais plutôt que de céder à la tentation auteuriste qui cherche à mettre en lumière comment la vision du monde d'Hitchcock se serait imposée contre le carcan des studios, il aurait été plus raisonnable et plus juste de montrer comment Hitchcock a dû nécessairement inscrire son film dans les schémas hollywoodiens, en l'occurrence comment Vertigo est un avatar du film noir, ce que démontre fort bien Jean-Pierre Esquenazi, qui est l'auteur du travail le plus complet sur Vertigo dans le domaine francophone. Pourquoi ne pas l'avoir invité ? Cela était un pari à prendre, celui de faire se rencontrer la critique journalistique et la recherche universitaire; l'universitaire aurait dû vulgariser ses recherches et la critique journalistique aurait dû accepter de dépasser ses impressions subjectives... Dommage... Voilà un défi qui aurait transformé cette émission en événement médiatique.

Par Phil, le 12/12/2015 à 23h35

Bonsoir Murielle,

Merci de vos réponses, de plus en des termes plus mesurés que mon commentaire pouvait en susciter.

Cependant, elles ne font que confirmer ce que j'essayais de vous dire.
Je ne développerai pas plus, mais je vais simplement reprendre une de vos réponses.
Quand vous dites :

"Pour le dire très sincèrement, elle est tellement omniprésente et importante que j'ai simplement oublié de l'évoquer comme on oublie souvent les évidences."

C'est exactement comme si je vous disais que l'on ne parlera pas de l'image dans le film, tellement elle est omniprésente et importante...

Tant que l'on persistera à ignorer cette partie indissociable de l'objet audiovisuel qu'est un film (Blake Edwards disait que Mancini était responsable à 50% du succès de ses films, Hitchcock a dit que la musique d'Herrmann était responsable à 33% de l'efficacité de Psycho, Fellini disait que ce qu'il demandait à la musique de Rota, c'était de sauver ses films, King Kong avait fait rigoler les spectateurs lors des screen tests avant que Steiner ne pose sa musique, Leone demandait ses musiques à Morricone avant de tourner afin de faire correspondre tournage et montage au rythme induit, etc.), on n'aura qu'une critique hémiplégique...

C'est hélas un des angles morts, biais, ignorance (choisissez...) d'une grande partie de la critique cinéma (et spécifiquement de la critique française, sans parler de l'absence totale d'enseignement sérieux des capacités narratives du son et de la musique dans les écoles de cinéma) qui font qu'une des constituantes majeures d'un film est la quasi totalité du temps totalement ignorée.

Bref...

Par sleepless, le 12/12/2015 à 22h58

Par ailleurs, même si je tends le bâton pour me faire battre, nous avons évoqué précédemment avec Bertrand Bonello le cinéma comme art "AUDIO-visuel" dans une émission précédente...présentée par Jérôme Momcilovic, mais également avec Jean-Marc Lalanne sur la comédie musicale. Peut-être aurais-je dû tirer les conclusions de ces deux émissions, mais encore une fois il ne s'agit pas d'une erreur fatale.

Par Murielle, le 12/12/2015 à 16h32 ( modifié le 12/12/2015 à 16h34 )

Merci pour vos commentaires,

effectivement le fait de ne pas évoquer la musique de Bernard Herrmann est un oubli de ma part, c'était prévu dans mes notes et j'ai tout simplement oublié de l'évoquer. Je m'en excuse car il est évident que nous sommes tout à fait conscients de la grande importance de la musique de Herrmann. Pour le dire très sincèrement, elle est tellement omniprésente et importante que j'ai simplement oublié de l'évoquer comme on oublie souvent les évidences.

Toutefois je trouve votre commentaire, sleepless, légèrement excessif car cet oubli n'invalide absolument rien de la pertinence et de l'intérêt des propos de mon invité. Nous n'avons aucune prétention à l'exhaustivité, nous esquissons simplement quelques pistes en espérant qu'elles sont un peu neuves, un peu inédites. Cela serait vraiment problématique si par ailleurs cet oubli rendait nos propos complètement ineptes.

Dans tous les cas je reconnais l'oubli, je ferai attention la prochaine fois et votre commentaire n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde seulement je crois que votre érudition en la matière vous fait nous juger un peu sévèrement. Merci de votre vigilance, même si à ce que j'ai compris, c'est la dernière fois que vous rendiez visite à Dans le film ;)

Par Murielle, le 12/12/2015 à 16h29 ( modifié le 12/12/2015 à 16h30 )

Et voilà.
Voilà où en est la « vraie critique » de cinéma au XXIe siècle…

Une heure d’émission, des tas de digressions sur une exégèse ou une autre, des anecdotes, des appréciations personnelles, et pas un mot sérieux sur ce qui une grande force de Vertigo, sa musique et sa bande sonore (on ne vous refera pas la cruauté de vous rappeler ce qu’est la bande sonore. Si ?).

La paire Hitchcock-Herrmann a bouleversé le monde du cinéma.
Le réalisateur n’a d’ailleurs plus jamais atteint la qualité de ses films précédant la séparation d’avec Bernard Herrmann (survenue lors de Torn Curtain).

Vertigo. Exemple exemplaire de cette alchimie entre deux créateurs, un réalisateur et un compositeur, travaillant ensemble pour produire un objet audio-visuel.
Vous avez comptabilisé le nombre de scènes dans laquelle la musique est co-narratrice ?
Des scènes entières sans dialogue, « simplement » contées par la musique (le restau, le musée, le baiser, dans l’église, etc.).
Peut-être l’un des films d’Hitchcock dans lesquels la musique a autant de place (le remake de L’Homme Qui En Savait Trop est hors catégorie), résultant d’un projet commun entre réalisateur et compositeur. Comment peut-on encore espérer parler sérieusement d’un film en lui enlevant une part entière de ses constituants ?

Que l’on ignore encore ce qui fait la moitié d’un film, 90 ans (bientôt…) après l’arrivée du son synchrone, alors que le premier théoricien sérieux des apports et de l’esthétique de la musique de films est français, Maurice Jaubert, et après les travaux de Michel Chion et tant d’autres ?
Ça me laisse pantois (j’ai hésité quant aux termes…).

Vous parliez de Psycho ? Saviez-vous que Hitchcock avait expressément demandé à Herrmann de ne pas mettre de musique sur la scène de la douche. Eh bien Herrmann ne l’a pas écouté, n’en a fait qu’à sa tête (comme d’habitude) et quand Hitchcock est revenu voir les résultats du travail du compositeur, il lui a dit, avec son humour habituel, que c’était exactement ce qu’il souhaitait…
Le résultat : l’une des scènes les plus iconiques du cinéma mondial.
Il suffit de regarder les versions avec ou sans musique si l’on doute encore…

Audio-visuel. Vous comprenez ? AUDIO-visuel !

On ne s’étonnera pas de l’indigence de l’utilisation du son et de la musique dans les films français (à quelques très rares exceptions près), quand la « critique » spécialisée ne lui accorde aucun intérêt, même quand le sujet choisi est un cas parfait pour expliquer les relations image-son.
Il suffit de discuter avec les étudiants en cinéma pour comprendre à quel point l’incompréhension, la méconnaissance des possibilités narratives de son et musique sont manifestes.
La faute à qui ? Pas à eux, en tout cas, toujours en soif de savoir…

Je sais que comparaison n’est pas raison, mais imaginez un seul instant un critique de ballet (autre art du mouvement) ne parler que de la chorégraphie et ne pas dire un mot sur la musique. Ou vice-versa.
Délirant, non ?

Après mon réabonnement pour pouvoir regarder Judith et Lordon, j’espérais malgré tout des émissions Dans Le Film. Je sais que je ne perdrai plus de temps à les regarder.
Autant je reconnais la pertinence de Hors Série dans d’autres domaines, autant l’émission sur le cinéma est en accord avec le reste de la critique française (que je m’abstiendrai de qualifier ici, je pense que mon propos est assez clair)…

Désolé.

Par sleepless, le 12/12/2015 à 16h07

Merci pour cette analyse d'un film que j'ai vu plus de dix fois en ratant plein de subtilités notamment de jeux de lumière. Ce que dit Murielle Jourdet sur la dualité du langage de Madeleine est très pertinent.Je repense à la scène devant la mer où elle dit: " There's someone within me, and she says I must die". Peut-être n'avez-vous pas assez mis en avant le rôle de la musique de Bernard Hermann qui, de mémoire, structure, plus qu'ailleurs et avec force, le film -autant que Psycho, je dirais - Passionnant dialogue; comme toujours.

Par Hubert_Non_Uber, le 12/12/2015 à 15h45

J'ai vu le film qu'une seule fois mais l'émission fait envie de le revoir.

Par little jo, le 12/12/2015 à 15h24