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Où est passée la comédie musicale ?

En accès libre

Jean-Marc Lalanne

Tout est parti d'un constat : de Jacques Audiard à Leos Carax en passant par Bruno Dumont : tous ces réalisateurs ont récemment exprimé leur désir de faire une comédie musicale. De là une question : pourquoi le cinéma français aurait-il ce soudain besoin impérieux de ressusciter un genre ? Comme s'il s'agissait d'user d'une trousse de secours venant réveiller un cinéma français dont on pense qu'il se vautre, pour aller vite, dans le naturalisme le plus mesquin. Aux grands maux les grands remèdes.

D'où cette envie, qui remonte à la naissance de Dans le film, de consacrer une émission, à la fois pédagogique et critique, au genre de la comédie musicale et de l'utiliser comme une sorte de miroir que l'on tendrait aux cinémas français et américain pour qu'ils s'examinent l'un l'autre. De fait, la comédie musicale est révélatrice de beaucoup de choses, les particularismes de chaque cinéma apparaissent avec netteté : si la comédie musicale dans son acception la plus pure n'existe qu'à de très rares exceptions en France, c'est que le cinéma français à partir des années 60 a toujours eu du mal avec l'idée d'être un spectacle. Le genre est lui-même partagé entre deux adages : « the world is a stage » et disons « the show must go on », constitutifs de l'ADN du cinéma hollywoodien. Toutes les énergies doivent être entièrement dévolues au seul spectacle, cette entité autonome qui se nourrit de toutes les compétences qu'elle trouve sur son passage et où la notion d'acteur s'agrandit pour contenir aussi bien les danseurs que les chanteurs. Bref, un acteur de comédie musicale doit être un sportif et la comédie musicale est peut-être elle-même un sport qui consiste, pour un cinéma, à s'auto-célébrer (Chantons sous la pluie, Tous en scène).

Un sport dont serait exclu le cinéma français ?
Les rares exemples français de comédies musicales sont alors des exercices de déconstruction du genre (Une femme est une femme) ou d'admiration (Lola) alors même que le genre demande un maximum d'innocence et de croyance, bien loin de la réflexivité de la Nouvelle Vague qui digère dans ses films à elle tout le cinéma américain qu'elle a aimé. Justement, n'est-ce pas cette mutation du spectateur, passé par une crise de croyance, qui fait du genre comédie musicale un genre délaissé, devant se justifier auprès du réalisme pour pouvoir exister ?

Plus tard, c'est un cinéaste comme Christophe Honoré qui citera la Nouvelle Vague, elle-même citant Hollywood...est-ce donc toujours un "à la manière de" qui motiverait la comédie musicale française ? C'est précisément oublier la particularité du cas Demy qui touche à une sorte d'alchimie miraculeuse (que seuls les grands cinéastes savent faire) en dépassant la citation pour transformer son amour de Hollywood en territoire typiquement français : Les Demoiselles de Rochefort, les Parapluies de Cherbourg sont des films bien à nous et constitutifs de notre imaginaire.
A force de redéfinitions du genre et de nuances dans ce que j'estime être une émission expérimentale, tout se renverse et toutes les distinctions de départ deviennent inopérantes. Au fil des exemples et d'une histoire accélérée et sélective de la comédie musicale, Jean-Marc Lalanne nous prouve qu'il n'y a peut-être pas plus réaliste que la comédie musicale et qu'à force de traquer sa présence, on a oublié de voir qu'elle innervait de façon plus profonde le cinéma français dans son ensemble.



PS : Quand le mouvement du monde se prolonge dans celui de la comédie musicale : un extrait magnifique de "The Pajama Game" (1957) de Stanley Donen, que nous évoquons lors de l'entretien et que je vous recommande chaudement de regarder :

https://www.youtube.com/watch?v=c2Xi_IyHYNc

 

En accès libre , émission publiée le 26/09/2015
Durée de l'émission : 77 minutes

Regardez un extrait de l'émission