Hors-Série
Arret sur Images
Me connecter
abonnez-vous


Lettre d'un psychanalyste à Spielberg

Dans Le Film

Jean-Jacques Moscovitz

Le seul nom de Steven Spielberg et les superlatifs qui s'y rattachent (réalisateur le plus connu, le plus populaire, l'incarnation du cinéma) ne peuvent que nous inciter à nous méfier. Quel est ce réalisateur qui peut séduire et fasciner autant de publics à la fois voire la planète entière ? On a le sentiment que cette séduction est affaire de « recette marketing », et pour une raison bien précise, c'est que Spielberg aura fait naître, avec Les dents de la mer, un terme problématique, qui nous ramène à l'impureté du cinéma comme industrie : celui de blockbuster.
Derrière l'usine à rêves et les budgets faramineux (car les rêves sont des superproductions) se cache néanmoins un grand artiste, un immense metteur en scène qui dialogue étroitement et de manière privilégiée avec notre inconscient. C'est ce que défend Jean-Jacques Moscovitz dans sa très belle Lettre d'un psychanalyste à Steven Spielberg : à puiser ainsi dans notre inconscient collectif, Spielberg, à l'instar de la psychanalyse, dépervertirait le futur, nous dégagerait l'horizon de l'avenir.
Comment procède-t-il ? En nous racontant des histoires de dinosaures, de requin, d'extraterrestres gentils ou méchants, de camion tueur, de Petit Poucet et de Pinocchio. Bref, en maniant des figures et des images horrifiques, traumatiques, dans l'unique but de les rendre vivables, habitables, regardables. Son cinéma a toujours été une éthique de l'image (comme la psychanalyse est une éthique du désir) : se posant la question de savoir ce qui est figurable et ce qui ne l'est pas, ce que l'on peut montrer à un enfant et ce qu'il vaut mieux lui cacher. L'échec resplendissant de La Liste de Schindler venant ainsi éprouver les limites de cette éthique.

Dans Le Film , émission publiée le 17/01/2015
Durée de l'émission : 76 minutes

Commentaires

16 commentaires postés

Le Cinéma n'est pas fait pour donner une leçon de vie (et morale) afin du nous aider a changer le futur, c'est n'importe quoi de penser les choses comme ça, c'est pas au cinéma de jouer ce rôle c'est a nous , d'ailleurs si l'histoire est si meurtrière et qu'aujourd'hui encore nous sommes incapables de faire bouger les choses je vois pas comment le cinéma pourrait réussir a le faire, sachant que c'est nous qui créons le cinéma, je ne vois pas pourquoi il aurait la capacité de changer ce que nous sommes pas capables de faire directement par nous mêmes. Le cinéma doit faire rever, mais il peux aussi éveiller, il faut arreter de toujours vouloir apposer au cinéma des grilles de lecture social, pseudo intellectuel et psychanalytique, en tout cas elles ne doivent pas prendre le pas sur l'émerveillement et la puissance de l'imaginaire ..

Par alexandre vinas, le 24/03/2016 à 16h56 ( modifié le 24/03/2016 à 17h00 )

Des interprétations hilarantes !!!

Par Marc MICHEL, le 20/02/2015 à 23h47 ( modifié le 20/02/2015 à 23h48 )

Des "interprétations" passionnantes !!!

Par Mélanie, le 19/02/2015 à 15h31

Je vais devoir me désabonner. Vos émissions sont trop prenantes.
Et puis tellement de choses que je n'avais pas vues chez Spielberg.

Par Robert., le 29/01/2015 à 16h45 ( modifié le 29/01/2015 à 16h46 )

@Arnaud Romain : Vous n'y êtes pas du tout ! Quand Murielle (et Jean-Jacques Moscovitz avec elle) parle d'"échec" cinématographique, jamais, ô grand jamais, il n'est question de "commerce". Grands dieux ! Mais d'échec "esthétique", que dis-je, "onthologique", même, concernant La Liste de Schindler !
Chacun pense ce qu'il veut du film en particulier et de l'impossibilité ou non de "fictionnaliser" la Shoah en général. Grosso modo, Moscovitz reprend les arguments avancés à l'époque de la sortie du film par Claude Lanzmann, qui m'ont toujours beaucoup agacés. Il y a une façon, assez "lanzmannienne", d'affirmer, à la limite de l'intimidation, qu'il n'y a pas d'autre façon que la sienne d'évoquer cinématographiquement la Shoah. Affirmation qui, depuis 30 ans, n'est globalement pas très contestée, ni même vraiment questionnée, par l'orthodoxie critique.

Au-delà de ça, l'entretien, souvent assez intéressant, m'a finalement moins agacé que je ne le craignais.
Spielberg est-il un Auteur ? Globalement oui, même si pas dans la conception bressonienne, bergmanienne, rossellinienne, etc., du terme. Mais un film de Spielberg me semble (presque) aussi reconnaissable qu'un film de Bresson, Bergman ou Rossellini.
Fait-il toujours le "même" film ? Disons que la quasi totalité de ses films sont en effet traversés par quelques obsessions ou motifs communs, effectivement de nature à régaler un psychanalyste.

Mais je regrette (sans en être surpris le moins du monde) que ne soit jamais envisagé ce qui me semble être un autre objectif de Spielberg à travers des films comme Schindler, Amistad, Lincoln, Munich... : celui de donner à voir une "page d'histoire", de faire oeuvre quasi pédagogique (ce qui est quand même un projet bien différent de celui de l'immense majorité de ses films).
A titre personnel (et je doute être le seul), en tant que "forme cinématographique", Lincoln ne m'a pas forcément passionné (même si j'apprécie sa facture très classique et efficace) mais je lui sais gré de m'avoir appris plein de choses !
Car, oui, un film n'est pas qu'un objet purement formel : il peut aussi nous aider à comprendre le monde qui nous entoure, ou celui qu'il fut (et donc mieux comprendre ce qu'il est devenu). Mais j'ai l'impression que c'est une idée totalement étrangère à Murielle et à son invité (à la plupart de ses invités, d'ailleurs ;-)

Par cyrilkenyatta, le 28/01/2015 à 00h00

Ah, un détail également, concernant "l'échec retentissant" de "La liste de Schnindler". Je prélève ceci dans Wikipédia :ce petit texte me semble neutre, ni agiographique ni critique... juste factuel :

"Aux États-Unis, sorti dans un premier temps dans un nombre limité de salles, le film se classe à la quatorzième place avec 278 627 $. Mais dès sa sortie en salles sur le reste du territoire, le film se hausse à la 10e place du box-office avec 7 257 805 $ en trois semaines.

Le film atteint la deuxième place du box-office dès sa quatorzième semaine, avec 62 656 498 $ de recettes pour finir honnêtement sa carrière avec 96 065 768 $ sur le territoire américain après 34 semaines.

C'est à l'étranger que La Liste de Schindler fait un meilleur score. Le film fut un grand succès mondial, rapportant 321 millions de dollars US, pour un budget de 22 millions."

... et j'ajouterais ... malgré un thème parfois peu propice à faire se déplacer les foules (voir le monumental gadin du film "La rafle" par exemple). Presque tout ce que Murielle produit sur Hors-série est de la même eau : un effort étrange pour distordre (cette fois, même factuellement) tout ce qui a trait au cinéma pour le faire entrer de force dans un carcan, et au moyen d'un prisme très étroit, et tellement personnel que, pour ma part, je ne m'y "retrouve" jamais... jamais ne sont levées les thématiques, les angles, les questions que j'aimerais voir posées.

"La liste de Schindler" autorise tous les délires en projetant nos deux interlocuteurs dans un mono-prisme épuisant sur la Shoah, qui "suinterait" dans les 32 autres films de l'auteur (ou peu s'en faut)... Ah bon ?... Euhhh... "Amistad", "La Couleur pourpre" et "Lincoln", 3 films sur l'esclavage et la condition des noirs dans l'histoire des USA. C'est pas tout aussi (pour le moins) marquant dans l'oeuvre de Spielberg ? A relever ? Même si l'angle de l'entretien est la psychanalyse (qui pose problème, puisque discipline ne tenant que sur la foi et rien d'autre... et que je suis "athée" en l'occurrence) Je dis ça, je ne dis rien...

Je me contenterai à l'avenir des entretiens de nos autres "coupeuses de cheveux en quatre" ! Trop frustrant, trop décevant...

Par Arnaud Romain, le 20/01/2015 à 19h12

Pourquoi nous imposer une séance d'auto-analyse de Monsieur Moscovitz... ses lubies, ses névroses, ses fixations, ses psychoses. J'eusse préféré une émission de cinéma sur Spielberg plutôt que sur un psy (qui m'indiffère assez puisque n'ayant que peu à voir avec le cinéma). Dommage...

Par Arnaud Romain, le 20/01/2015 à 18h49

Merci Murielle, c'est une très belle émission. Votre osmose intellectuelle avec M. Moscovitz est un excellent moteur.

Par J8liette, le 19/01/2015 à 23h26

Je viens d'arrêter la lecture de cette émission avec l'impression de m'être pris un coup de bâton sur la nuque.
Je suis heureux de voir dans les commentaires précédents des doutes quand à cette avalanche d'interprétations qui se réclame de la psychanalyse.
Elles en utilisent les concepts théoriques mais pas le positionnement. C'est je crois ce qui à été souligné dans le commentaire précédent.
Je trouve cela navrant, cela rappelle l'état de l'analyse dans les années 50.
Je tiens donc à préciser, que cela n'est pas nécessairement représentatif de LA psychanalyse mais plutôt d'une manière dont elle est souvent utilisée.
Freud nous dit très clairement qu'on ne ne peut interpréter un rêve sans les associations du rêveur, et c'est à partir de celles-ci que l'on travaille, pas forcement pour donner un sens, mais plutôt pour se dégager d'un surplus de sens. Sinon il s'agit juste d'une interprétation, qui peut bien en valoir une autre, argumentée différemment. C'est sans fin. Celle proposée ici viens faire bouchon et empêche de penser.
Elle en dit à mon avis beaucoup plus sur celui qui les énonce que sur Spielberg. Chacun vit et rêve ces films à sa manière, avec son histoire, sa sensibilité et son inconscient.
Je ne pense pas qu'on fasse le même rêve toute sa vie ! Tant mieux d'ailleurs !
La systématisation radicale n'amène rien d'intéressant, elle donne peut-être des allures de savant, ce n'est pas ce que le structuralisme à apporté de mieux à la psychanalyse.
Suivant le parallèle intéressant entre cinéma et rêve, ce serait à partir de ce que Spielberg dit de ses films que l'on pourrait inférer quelque chose de ce qu'ils signifient pour lui. Mais quel intérêt ? J'aime les films pour ce qu'ils mettent en mouvement chez moi, pas pour fliquer leur auteur.

Par Clem, le 19/01/2015 à 20h11

Dans le forum quelqu’un dit qu’il ne faut pas s’poiler…Je pense qu’il vaut quand même mieux spoiler, l’âne-humain est trop triste !
Non, mais sérieusement, je vois s’exprimer un certain nombre de doutes sur les rapports entretenus entre la psychanalyse et le cinéma…à juste titre, on pourra toujours faire toutes sortes de discours, parfois intéressants, en utilisant les concepts de la psychanalyse pour parler de disciplines aussi variées que la littérature, la peinture, la sculpture (ce qu’a fait Freud avec beaucoup de bonheur. Pas la musique, car il n’était pas mélomane), ou le cinéma, jamais, comme il nous le disait déjà, ou comme on peut l’expérimenter à travers sa propre analyse, cela ne permettra de comprendre les ressorts de celle-ci.
Nous sommes dans des contrées différentes. Dans une cure c’est le « Non-savoir » qui est à l’œuvre, d’où la phrase de Lacan épinglant d’ « Sujet Supposé Savoir » l’analyste.
Quand on s’essaie à expliquer une œuvre avec la psychanalyse, on bascule dans le discours des « Savants » !

Par sanslesdents, le 18/01/2015 à 21h49

J'ai aussi beaucoup apprécié l'entretien, très bien mené par Murielle. Pareillement il y a certaines interprétaions de JJ Moscovitz qui m'ont laissée perplexe mais cela vient surtout de l'approche freudienne... qui m'a toujours laissée perplexe justement!!
Je me suis effectivement rendue compte en regardant l'entretien à quel point Spielberg avait bercé mon enfance et sûrement contribué à me former au cinéma (je ne l'avais jamais vraiment réalisé): Hook, Indiana Jones, Jurassic Park, les Goonies (dont il est scénariste) sont des films que j'ai dû voir au moins mille fois!

Par Ali Naldy, le 18/01/2015 à 18h59

Je suis en total accord avec l'avant dernier commentaire d'Aurélien Noyer.
Il ne me parait pas absurde de considérer Spielberg comme étant équivalent à Kubrick, car ils se rapprochent sur bien des points. Merci à la cinémathèque d'avoir organisé cette belle rétrospective il y a quelques années, en espérant que cela a ouvert les yeux à d'autres amateurs éclairés ne se lançant guider que par de mauvaises pré-notions (nous en avons tous, moi le premier).
Je n'ai pas un goût très prononcé pour la psychanalyse et suis en désaccord avec nombre de choses qui se sont dites et qui ne sont pas tellement étayées (tous les cinéastes font le même film / tous les individus font le même rêve tout au long de leur vie), mais cette émission m'a intéressé et l'entretien est très bien conduit.
Pour les abonnés d'@SI, je recommande également l'émission de Rafik Djoumi où il est question, entre autre, de Spielberg : http://www.arretsurimages.net/emissions/2010-12-30/Le-cinema-n-a-rien-a-voir-avec-la-litterature-id3630

Par Mudita, le 18/01/2015 à 15h57 ( modifié le 18/01/2015 à 16h06 )

.

Par sleepless, le 17/01/2015 à 18h03 ( modifié le 17/01/2015 à 18h03 )

Emission très intéressante. J'ai l'impression que Jean-Jacques Moscovitz a tendance à plaquer une ou deux grilles de lecture sur tous les films de Spielberg... quitte à gommer ce qui diverge de son point de vue. Par exemple, réduire les dinosaures de Jurassic Park à une réactualisation du requin de Jaws me semble à la limite du contre-sens. Certes, les vélociraptors y sont, à l'instar du requin des figures de la terreur pure, mais même le T-Rex conserve malgré sa dangerosité une puissance d'émerveillement, voire un aspect bénéfique lors du climax. Néanmoins, les parallèles qu'offrent les hypothèses de Moscovitz valent bien qu'on accepte les défauts inhérents à l'analyse globale d'une oeuvre aussi massive (tant en nombre de films qu'en nombre de sujets et de genres abordés).

Par contre, j'avoue que je m'amuse un peu de voir Murielle admettre qu'elle n'a commencé à prendre Spielberg au sérieux qu'à partir du moment où celui-ci a fait l'objet d'une rétrospective à la Cinémathèque... après avoir défendu l'universalité du goût (et en particulier, du bon goût établi par les instances de la critique) dans l'émission avec Laurent Jullier. Il me semble que la reconnaissance de Spielberg après 40 ans de carrière et une trentaine de films illustre de façon flagrante la cécité dont peuvent faire preuve les tenants du bon goût pour des raisons totalement externes aux oeuvres elles-mêmes.

Même le texte de présentation de l'émission semble être un reliquat de l'époque où Spielberg était encore considéré au mieux comme un habile faiseur fortuné (alors que ses films ayant coûté plus de 100 millions de dollars se comptent sur les doigts d'une main), au pire comme un fabricant de produits formatés suivant des règles marketing (si c'était le cas, il y aurait des dizaines d'imitateurs tout autant populaires... alors que dans les faits, il n'y a qu'un Spielberg).

Par NonooStar, le 17/01/2015 à 18h02

Quel "échec" de "La Liste de Schindler" ? Il faut regarder l'émission pour comprendre le sens de ce "teasing" ? Un peu lourd, a priori — en tout cas, bizarre, comme chapeau...

Par lucbastard, le 17/01/2015 à 16h36 ( modifié le 17/01/2015 à 16h36 )

Voilà qui plane haut.
Je suis toujours aussi heureuse de constater avec quelle méticulosité Murielle Joudet prépare ses émissions.

J'ai trouvé les arguments de l'invité tout-à-fait recevables. J'adore les films de Spielberg, et cette lecture des images m'a paru très bien faite alors que Spielberg est en train de devenir un vieillard vénérable ayant marqué de son oeuvre la culture mondiale.
J'ai juste un bémol, c'est sur le film "Les Héritiers", sorti récemment, et que je conseille fortement.
D'après moi, il mériterait une émission à lui tout seul.

Sans déflorer le scénario du film, le spoiler comme on dit maintenant, il est clair pour moi que le film explique comment le traumatisme de la Shoah et du nazisme en général, est le point inavoué et central de la culture occidentale de la modernité. En tout cas, on peut le lire ainsi. Puisque l'intégration accélérée des jeunes se fait à travers cette prise de conscience.
A la fois focale et point d'entrée constamment tu, cette blessure narcissique collective est primordiale : comment cette absolue flétrissure des idées humanistes européenne a-t-elle pu advenir au milieu de nous, qui nous considérions comme les chantres absolus de la civilisation ? Cette question fait de nous les enfants d'un désordre intime, et fait de nous des adultes qui ne sont des enfants-adultes, et au bout du compte des rescapés de la colonisation, de la décolonisation, et de la Shoah.
C'est ainsi qu'on peut lire toute cette cata qui est en train de se passer autour des récents attentats, la responsabilité, l'irresponsabilité, ce que nous pouvons faire, ce qui est tabou, ce qui est blasphème.... Ce qu'on peut dire et ce qu'on doit taire

Par Yanne, le 17/01/2015 à 16h20