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Musique(s) contemporaine(s)

Diagonale Sonore

Benjamin de la Fuente

Qui a peur de la musique contemporaine ? Il est vrai que ce nom évoque une certaine abstraction, une forme d'inaccessibilité, un élitisme intrinsèque qui rebute au premier abord, comme si seuls les initiés avaient accès à cette forme d'art "supérieure" que serait la musique savante. Et en effet, la musique classique a toujours été pensée par et pour les élites sociales - par opposition aux musiques traditionnelles (censées porter en elles une essence authentique) et à la musique populaire (bassement commerciale). Pourtant, même si elle fait mine de n'en rien savoir, la musique savante est elle aussi étroitement associée aux évolutions de son temps - pensons à la récupération qu'en a fait le régime nazi. Comment la faire descendre de son piédestal et l'aborder autrement ? C'est tout le projet du compositeur Benjamin de la Fuente.

La première fois que j'ai entendu Benjamin de la Fuente, c'était au sein du groupe Caravaggio, un mélange dark et savant de rock indus et de musique expérimentale baptisé "art-rock", en référence à "art music" ("musique savante" en anglais). C'était dans un club de jazz, le Triton, aux Lilas, car le groupe est composé pour moitié de musiciens de jazz (Eric Echampard et Bruno Chevillon), et pour moitié de musiciens contemporains (Samuel Sighicelli et Benjamin). Mais en y réfléchissant, il semble naturel qu'un club de jazz accueille un projet pareil, parce que le jazz a l'habitude des mélanges - savants ou non.

Plus tard, j'ai découvert l'album solo de Benjamin de la Fuente, La Longue marche. Mon morceau préféré est sans doute le dernier, improvisé en urgence, en vingt minutes avant de partir prendre un avion : c'est du rock par l'énergie et le son, de l'impro par le geste, de la musique contemporaine par le traitement et le résultat final. Et puis l'année dernière, je suis allée écouter le dernier programme de l'Orchestre National de Jazz d'Olivier Benoit, pensé autour de la ville de Rome. Deux compositeurs y sont invités : Andrea Agostini et Benjamin. Pas étonnant, vu qu'il y a passé presque deux ans, dans le saint des saints, à la Villa Médicis. Comment passe-t-on des hauteurs ethérées de la Villa Médicis à l'Orchestre National de Jazz ?

Moi, j'ai fait le chemin inverse : du jazz à la musique contemporaine, grâce à Benjamin de la Fuente, mais aussi Joëlle Léandre, Myra Melford, le Quatuor Bela et Jean-Louis... Même si les résultats sont souvent très différents, les démarches sont souvent similaires : détournement des instruments, mélange des rythmes et des couleurs, éclatement de la progression linéaire... Aujourd'hui, il n'y a plus tellement de sens à vouloir séparer les genres, même s'ils viennent de traditions opposées au départ. Mais alors pourquoi est-ce que, le soir, quand je rentre chez moi, je me mets un disque de jazz et pas un disque de musique contemporaine ? C'est ce que j'ai voulu comprendre en interrogeant ce compositeur, violoniste, improvisateur, qui a coché toutes les cases (Conservatoire National Supérieur de Musique, Ircam, Villa Médicis), mais qui vient s'encanailler non seulement dans les clubs de jazz, mais aussi sur les scènes de spectacle vivant et même au cinéma.

 

Bibliographie et discographie :

Benjamin de la Fuente, La Longue marche, Aeon, 2009

Benjamin de la Fuente, Contrecoup, Signature, 2016

Benjamin de la Fuente, "In Vino Veritas" dans Orchestre National de Jazz, Europa Rome (direction Olivier Benoit), ONJ Records, 2016

Caravaggio, Turn Up, La Buissonne, 2017

Guillaume Kosmicki, Musiques savantes, 1882-1989 (2 tomes), Le Mot et le Reste, 2012-2014

Diagonale Sonore , émission publiée le 25/03/2017
Durée de l'émission : 85 minutes

Regardez un extrait de l'émission

Commentaires

4 commentaires postés

Bonjour !

> superbe emission > merci!

> puis je vous demander s il y a une raison (genre droits d auteurs ou autres.) a l absence disons de "nombreuses" illustrations/d insert video des compositeurs cites.
En re-pensant a l entretien avec Antoine Hervé (et puis d autre d ailleurs ;) mais pour etre juste > pour le plaisir je la revisionne en meme temps que j ai envie de vous partager ce commentaire qui arrive plusieurs jour apres la vision de cet entretien avec Benjamin de la Fuente), >> BREF >> il me semblait dans cette derniere emission que leurs nombres etaient en baisse.
Je trouvais cela juste un peu domage, car ecouter la musique au moment ou vous en parlez est extraordinaire pour l impulsion de donner envie a prendre en note pour creuser la recherche plus tard.
c est vrai qu on peut faire une recherche en meme temps que d ecouter l emission... hehehe ! et la vous me direz que le faineant c est moi ;) oui ...
Mais c est juste que dans le plaisir du rythme de l emission qui devient alors une composition musicale ::: et bien... c est chouette ! on peut "ECOUTER" l emission comme une emission de radio, faire autre chose et partir en mode decouverte auditive grace a ces respirations dans l entretien qui ondule sur un mode disons intelectuel, qui agite certain neurones du cerveau, quand on entend la musique l emotion est alors titillee, et c est chouette ;))
hop voila... merci!
yann

Par yann, le 03/04/2017 à 08h58

On pourrait croire à l'écouter à la fin qu'il y a une relation causale entre refus de l'atonalisme (et du style "musique contemporaine") et conservatisme politique, mais elle n'existe pas vraiment. Richard Millet et Renaud Camus ont chacun écrit des ouvrages enthousiastes sur cette musique et ils ne sont pas très à gauche… Et inversement, la difficulté d'écoute de cette musique amène beaucoup de gens de gauche à la rapprocher d'un certain élitisme social.

"On est forcé d'être dans notre temps". Le problème qu'on sent bien à l'écouter, c'est qu'on ne sait plus très bien ce qu'est notre temps, sinon un kaleïdoscope d'influences qui s'étalent géographiquement et historiquement à l'infini. Jamais dans l'histoire les compositeurs n'ont eu accès à tant de musiques différentes en quelques clics sur la toile, du chant grégorien à Stockhausen en passant par toutes les musiques ethniques, la musique pop, etc., alors que Mozart par exemple n'a découvert Bach qu'à la fin de sa vie et n'a jamais eu à se poser la question sur la contemporainéité de sa musique. L'étendue de sa culture musicale était très restreinte. Son cas historique d'ailleurs pose une question intéressante, maîtrise t-on bien les langages musicaux qu'on emprunte? Mozart a imité le style fugué de Bach mais ses fugues sont médiocres, infiniment moins abouties que celles de Bach (qui a passé sa vie à travailler ce style), mais il a incorporé le contrepoint Baroque au style de son époque et ça a donné le fameux requiem.

Il y a comme un vertige de la liberté chez beaucoup de compositeurs actuels, la sensation d'être un peu perdu au milieu d'une infinité d'expériences sonores, et qu'on sent un peu dans cette interview.

Par cyberprimate, le 27/03/2017 à 12h18 ( modifié le 27/03/2017 à 12h22 )

Chouette émission ! De bonnes découvertes. Merci.

Par ignami, le 25/03/2017 à 18h13

ligeti c'est l'auteur entre autre de la musique du monolithe dans 2001

Par laure magnet, le 25/03/2017 à 16h22